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LÀ OU JE SUIS

par Pierre Degeyter

Publie le mardi 16 avril 2013 par Pierre Degeyter - Open-Publishing

LÀ OU JE SUIS...

Chers camarades Lillois,

C’est de Saint-Denis que je vous écris,là ou je suis depuis bien longtemps .Mes amis Dyonisiens m’ont toujours bien accueillis dans leur ville après mon licenciement par les patrons de l’Usine de Fives pour avoir eu l’affront de chanter l’Internationale. Dans ma nouvelle ville,comme bien de gens venus d’ailleurs,j’ai pu retrouver du travail. J’y ai rencontré cette solidarité ouvrière bien connue a Lille et qui a permis depuis de grandes conquêtes sociales.

Ne vous détrompez pas,je ne suis pas exposé dans la basilique royale ou tant de tyrans gisent sous leur catafalque de marbre,mais plus humblement dans le cimetière communal. Auprès de mes humbles voisins,ouvriers et trimardeurs,mes amis m’ont déposé en 1932 sous nos outils communs,la faucille et le marteau.
J’y ais depuis une chance immense.
Pas un jour,pas un soir sans que j’entende de par le monde,le chant des travailleurs. De Shanghai a Buenos-Aires,des prisons de Barcelone aux bidonvilles de Soweto, de Wazemmes a Ouarzazate,pas un jour, pas un soir sans que l’Internationale ne soit reprise en rythme et en cadence par les multitudes, dans la lutte contre le capital qui meurtrit les peuples et pour construire ensemble une vie meilleure.
Là ou je suis,l’ennui n’existe pas. Mais hier,mes chers camarades,je me suis retourné dans ma tombe en apprenant ce qui suit.

Vous savez tout comme moi que la municipalité Lilloise m’a fait l’insigne honneur d’être géantifié. Je le sais,certains d’entre vous avaient trouvé le résultat bien terne et peu ressemblant. Alors,ma blouse grise a été troquée pour une bleue et ma moustache a pris de l’ampleur grâce a un ravalement de façade .l’idée que mon géant puisse accompagner dans Lille et ailleurs une foule de prolétaires,c’est un signe qu’ici,on ne m’oublie pas,d’autant plus qu’une nouvelle place porte mon nom a Fives. Pas question de faire la fine bouche et de mégoter sur le sujet.

Mais voilà qu’hier,un de mes camarades m’apprend que le Premier Mai qui vient,un groupement syndical qui vient de courber l’échine en signant un pacte scandaleux avec les patrons,compte me trimbaler avec lui au long de cette journée de lutte internationale des travailleurs !*
Déjà,dans les années vingt,le maire de l’époque avait travesti la vérité .Mon frère Adolphe,employé municipal,donc son subordonné,s’était vu attribuer par Delory la paternité du morceau ;même si le chant des travailleurs appartient a tout le monde,je me suis battu et remis dans mes droits quelques années plus tard .Alors,géant peut-être,mais pas guignol !

Mes chers camarades Lillois ,ouvriers,employés,techniciens,jeunes et vieux,vous aussi qui êtes élus des travailleurs,dans un syndicat de classe, élus du peuple dans la municipalité,je fais solennellement appel a votre conscience et a votre vigilance ;
Vous qui préparez activement cette belle manifestation revendicative du Premier Mai,vous qui reprenez en cœur ce jour là ,le chant de l’Internationale,estimez -vous juste de laisser me faire balader dans la procession de ceux qui,la veille et ensuite le lendemain , se couchent devant les diktats des capitalistes ?

Tous ceux qui agissent au quotidien pour faire place au peuple ne le comprendraient pas.

Confiant dans votre détermination et votre ténacité,je vous adresse,mes chers camarades,mes souhaits les plus sincères pour l’aboutissement de vos justes revendications.

Pierre Degeyter

Ouvrier Lillois, Compositeur de l’Internationale

*pour votre information : consulter le site : »Geant DeGeyter » rubrique « agenda des sorties »