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LA VIE CONTINUE de Thierry Lepaon, Ed. du Cherche Midi,2015.Notes de lecture.

par nemo3637

Publie le jeudi 1er décembre 2016 par nemo3637 - Open-Publishing
11 commentaires

Qui se souvient de Thierry Le Paon ? Pour nombre de syndiqués de la CGT de 2016 ce nom demeure inconnu. Ce fut pourtant le secrétaire de cette organisation de 2013 à 2015. Mais on peut dire, malgré des louanges de circonstances qui ont suivi son éviction, que son parcours militant s’est mal terminé. Et c’est aussi pourquoi, au « pays du novlangue », où la mémoire est sélective, on se garde bien à présent de l’évoquer.

Si nous l’évoquons ici ce n’est pas tants sa petite personne qui nous intéresse, mais plutôt sa vision partagée par d’autres, sa description de l’intérieur de la « force tranquille » que se veut la CGT, son organisation, ses perspectives. En creux, à travers ce qu’il nous dit ou ce qu’il ne nous dit pas, se révèle ainsi le témoignage important d’un aparatchik déçu.

Thierry Lepaon a été en effet l’objet de mises en cause, d’attaques de la part de la presse, en premier lieu du « Canard Enchaîné ». Mais ces attaques auraient eu aussi pour origine des tensions au sein même de l’organisation syndicale. Il fut ainsi révélé qu’entre octobre et décembre 2014,Thierry Lepaon aurait fait réaliser des travaux d’aménagement dans son appartement de fonction, facturés plus de 100 000 € au syndicat, que son bureau aurait été rénové pour un montant de 62 000 € environ, en début d’année 2014, et qu’avant d’accéder au poste de secrétaire général de la CGT en 2013, Thierry Lepaon a perçu 100 830 € d’indemnité de départ de la CGT Basse-Normandie qui l’employait, alors qu’il ne quittait pas la CGT.

Ces chiffres sont remis en question par Thierry Le paon dans son livre, sans que pour autant il n’accepte un débat de fond sur un fonctionnement et des dépenses qui dépassent effectivement la querelle de personnes. Même si Thierry Lepaon n’apparait pas comme un syndicaliste se contentant d’une sobriété conforme à un syndicalisme désintéressé, personne ne va jusqu’à dire qu’il a grimpé tous les échelons de l’organisation pour s’en mettre plein les poches. Il n’empêche que ces dizaines de milliers d’euros – pour le moins – ne pouvaient provoquer qu’un malaise que l’auteur ne parvient pas à dissiper. La question qui vient vite à l’esprit est celle concerne ses prédécesseurs – et même l’actuel secrétaire Philippe Martinez - : combien ont-ils ainsi perçu, combien perçoivent-il vraiment aujourd’hui ?

Voulant relativiser ces sommes, l’auteur, un syndicaliste, ose comparer certains de ces émoluments à ce que touche un haut cadre du privé quand il démissionne ou est remercié ! (p.42-43)

Les explications que Thierry Lepaon nous donne le font certes apparaitre comme un « honnête » aparatchik, ne faisant qu’appliquer les méthodes et la philosophie d’une organisation longtemps marqué par le léninisme et le stalinisme (1).

Sa contre attaque est simpliste. S’il est attaqué c’est qu’en réalité ce serait la CGT elle-même que l’on voudrait abattre. La stratégie de l’auteur est alors de repousser sans considération et en bloc, toutes « les attaques » qui ne sont que complots habituels de la « presse bourgeoise » visant à dénigrer autant qu’elle le peut, à travers son secrétaire général, la courageuse CGT. Cette vieille stratégie des partisans du totalitarisme qui décrivent l’attaque contre le leader comme étant une tentative destructrice contre l’organisation elle-même apparait éculée. Sans aller plus loin dans le passé, on pense à Georges Marchais se défendant maladroitement de l’accusation d’un engagement volontaire dans le STO (2).

L’ex secrétaire général repousse d’abord d’un revers de main toutes « ces basses attaques » pour montrer qui il est vraiment, quelles sont ces conceptions.

Débutant dans la vie professionnelle comme soudeur à l’âge de 17 ans, Thierry Lepaon, comme nombre de permanents faisant leur vraie carrière dans le syndicat, va vite abandonner l’outil de travail pour les discussions de bureaux et les discours. C’est chez Moulinex, à Cormeilles-Le-Royal, en Normandie, où il entre en 1983, qu’il se révèle. Délégué syndical, il joue un rôle important dans les négociations qui suivent la faillite de Moulinex et sa reprise par SEB en 2001 qui se solde par le licenciement de 3000 salariés. Bien qu’il se donne le beau rôle, son action a été contestée par nombre de salariés de l’entreprise qui l’accusent d’opportunisme personnel (3).

Cela ne l’empêche pas de gravir les échelons de l’organisation syndicale et d’y intégrer la Commission Exécutive en 2006.

Finalement en 2013 après une lutte de succession où la candidate Nadine Prigent, soutenue par Bernard Thibaut, est évincée, Thierry Lepaon, est choisi par défaut pour devenir secrétaire général de la CGT. Et dans cet épisode, son récit, même s’il est partial, sonne juste.

La suite va être plutôt mouvementée pour le nouveau secrétaire qui est donc l’objet d’attaques pour les raisons déjà évoquées. Mais des conflits sans doute plus profonds divise la CGT qui, rappelons le, est une grande organisation où des clivages peuvent apparaître entre différents secteurs.

Une des grandes questions est la place du travail. Comment l’organisation syndicale doit-elle répondre face aux mutations de celui-ci, voire sa disparition annoncée par le système lui-même. L’augmentation du capital fixe (les machines et la technologie), l’atomisation des lieux de production, l’attaque frontale contre les droits sociaux acquis par les générations précédentes ne provoquent pas une riposte suffisante de la part des salariés, ou de ceux qui se retrouvent paupérisés. Quelle stratégie ? Comment mobiliser et agir sans dépasser du cadre bureaucratique ? Toutes ces questions Thierry Lepaon, comme ses camarades aparatchiks, se les posent….sans être en capacité d’y répondre. Car faire la critique du travail reviendrait à mettre en cause radicalement l’organisation syndicale telle qu’elle a pu exister depuis 1920. Cela reviendrait surtout à mettre sur le tapis le désir de Démocratie Directe qui est partout dans l’air lors des récents conflits sociaux.

Thierry Lepaon et ses camarades de bureau sont-ils dangereux pour le système, pour le patronat et l’Etat ? Non, eux ne risquent pas les procès et la prison. Tout au contraire - que les groupies se rassurent - notre auteur de « La vie continue » a obtenu en 2016, comme maints anciens ministres ou politiciens, une sinécure taillée sur mesure : président de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illetrisme (4). Auparavant présidée bénévolement par Marie-Thérèse Geoffroy, elle a été refondue et permet aujourd’hui à Thierry de percevoir des émoluments. Il a continué auparavant à percevoir de la CGT la « modeste » somme mensuelle de 4200 euros. ..

Concluons ici en répétant l’évidence que nous inspire cette mésaventure d’aparatchik évincé : la CGT peut certes apparaitre de prime abord comme un rempart dans les luttes. Néanmoins, aussi honnêtes que soient nombre de ses militants, elle fait belle et bien partie du Pouvoir et saura trahir encore le moment venu comme elle l’a fait en mai-juin 1968 avant et après.

(1) Après 1920, la CGT délaisse le principes de la Charte d’Amiens qui mettaient en avant la Démocratie Directe pour s’intégrer à l’Internationale Syndicale Rouge où le syndicat devient en réalité la « courroie de transmission » du Parti Communiste… C’est cette ligne qui fait aujourd’hui l’identité de la CGT.

(2) Georges Marchais (1920-1997) a été le secrétaire du Parti Communiste de 1972 à 1994. Fin 1970 il est accusé, d’être parti volontairement travailler en Allemagne. Georges Marchais adopte tout d’abord une attitude de mépris pour ce qu’il juge être une manœuvre politique pour l’affaiblir lui et surtout le Parti communiste…

(3) »La nomination de Thierry Lepaon à la tête de la CGT suscite de vives réactions chez les anciens de Moulinex »France Bleue Basse Normandie, 16/10/2012.

(4) »Thierry Lepaon recasé par le gouvernement » Le Point 14/04/2016.
Cette nomination ne manque pas de piquant quand on relit l’ouvrage où l’auteur avoue avoir du mal à écrire, à rédiger des textes. Le maniement de la langue de bois par contre, ne lui est pas étranger…

Messages

  • J’ai toujours fait le distinguo entre le syndicat au niveau de la boîte, indispensable, auquel tous les salariés devraient adhérer, et les Confédérations, qui font partie du système. Il faudrait remettre en cause le paritarisme, un système qui fait que patronat et syndicats sont liés pour faire tourner la machine. N’appelle-t-on pas, d’ailleurs, le MEDEF et les syndicats des "partenaires sociaux" ?
    Si l’on prend l’exemple des négociations de l’Assurance chômage, quand bien même la CGT tiendrait bon sur ses positions, il suffit qu’un syndicat jaune comme la CFDT signe avec le MEDEF pour que le MEDEF emporte le morceau.
    Il faut se souvenir qu’il y a quelques décennies, la Sécurité sociale (dont l’assurance chômage était l’une des branches) était gérée essentiellement par les salariés. Tout simplement parce qu’à l’époque il allait de soi que les cotisations, qui sont du salaire différé et mutualisé, appartiennent aux salariés et que les patrons n’ont pas à décider de ce qu’on fait de nos sous.
    Il faudrait que les Confédérations se battent pour revenir à cet état des choses. Mais elles ne le feront pas, parce que les syndicats, aujourd’hui, ne vivent pas des cotisations des adhérents et sont englués dans un système qui leur assure d’avoir de nombreux permanents et de nourrir quantité de bureaucrates déconnectés du terrain et des luttes.
    Thierry Lepaon n’était sans doute pas le plus pourri, mais il a payé pour tous ceux des étages intermédiaires qui étaient (qui sont encore ?) dans la même situation que lui à Montreuil.

    • Tout à fait d’accord avec toi.
      Cependant l’existence du syndicat dans la boite est liée à des accords nationaux, comme ceux de 1945, par exemple, qui font de cinq organisations syndicales les représentantes de l’ensemble des salariés en France.
      La section syndicale dans l’entreprise n’existe en France que par un modus vivendi avec l’Etat et le patronat qui date de la naissance même de la CGT en 1895.
      Aujourd’hui la représentativité des organisations syndicales est contestée par le patronat et l’Etat qui, en fait le représente. Plus que la CGT elle-même, c’est son aspect jugé trop radical qui est combattu par le système. C’est cette combativité que l’on abattre.

    • Non la Section syndicale dans l’entreprise n’est pas un " modus vivendi avec l’Etat et le patronat qui date de la naissance même de la CGT en 1895"

      En France, la section syndicale d’entreprise a été acquise par les luttes de 68, créée par la Loi du 27 décembre 1968 en application des accords de Grenelle.

      Fillon rêve de mettre à bas tout ca !

    • Ce que j’ai dit c’est que "la section syndicale n’existe que par un modus vivendi avec l’Etat et le patronat". Même s’il s’il s’est agi d’un acquis obtenu par la lutte, l’existence même des syndicats - du syndicat puisqu’il n’y avait alors que la CGT - est le résultat de ce "modus vivendi" datant de la naissance de ladite CGT.
      S’il n’y avait pas eu cet accord de fait, le syndicalisme aurait eu beaucoup de mal à se développer, surtout dans le sens d’un réformisme.
      Modus vivendi ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’acquis obtenus par la lutte. Tout ce que nous avons aujourd’hui comme protection sociale vient de ces combats. Mais les syndicats représente aussi un modérateur social et un fossoyeur d’espoir de changements quand ceux-ci semblent trop radicaux auix tenants du pouvoir.

  • Mes ami(e)s, il n’y a qu’à voir les luttes héroïques des camarades Agathe, Xavier et Mickaël pour comprendre que ce qui fait le sang de la CGT ce sont ses bases... Montreuil est un problème qu’il faudra résoudre si on veut peser dans les grandes luttes actuelles. Avec une telle bureaucratie syndicale bouffeuse d’énergie notamment par le fait qu’elle est quelque part redevable aux instances étatiques qui lui octroient une part de l’argent de la formation professionnelle, il ne faut pas s’attendre à ce que les "chefs" de la CGT poussent la base à changer radicalement la société... Lepaon ne fut qu’un avatar de cet immobilisme, je pense qu’on pourrait aussi (re)parler de Thibault qui était toujours prompt à se rendre à l’Élysée quand retentissait le coup de sifflet, ne voulait surtout pas entendre parler de grève générale (cf. 2010 les retraites) et qui siège aujourd’hui dans une instance cornaquée par l’État... La CGT, oui, Montreuil, non !!!

  • la cgt a trahi personne en mai juin 68 !vaste connerie beaucoup chante dans les annees qui ont suivis les evenements surtout par la gauche proletarienne ! mais au fait que sont devenus les responsables de la gp july ! kessler menbre infuent du medef !rollin !geismard !sauvageot !les copains de henry levy !les mecs comme de la ligue de l epoque goupil cambadelis rossignol dray tous devenus social liberal marre de ces discours !j avais 16 ans en 68 je me souviens de mai sans cgt pas de conflit dans les mois qui ont suivis des mecs de la gp a la suite d une greve a compiegne voulais mettre le delegue de la cgt dans l oise devant chez colgate palmolive lui est reste a la cgt les mecs qui voulez le foutre a la baille ce sont syndiques a la cfdt et ensuite ils sont tous devenus cadres !

    • Refuser d’admettre les trahison de la CGT en mai-juin 1968 avec pour seul argument la dénonciation de menées-gauchistes-à-la-solde-de-la-bourgeoisie c’est sortir du sujet, tenter de détourner les regards de la question première.
      Nous avons tous, un jour ou l’autre, en tant que salarié, adhéré à la CGT. Si nous avons pu ainsi nous défendre, en comptant essentiellement sur nos forces locales, nous avons pu être choqué par l’ascension de certains syndicalistes qui, par exemple, se voyaient offrir un plan de carrière.
      Autant que possible, suivant les circonstances, je préfère SUD ou la CNT. Bien que tout syndicat puisse à un moment ou un autre, corrompu.

    • quand sud a vu le jour a la poste j en etais !ce syndicat est devenu un syndicat comme les autres !quand a la cnt ou j ai des camarades ils sont inexistant dans 90 pour cent des cas dans les entreprises !donc si la cgt n existait pas ce serais le desert !j ai connu et cela est facilement verifiable un centre de tri postal ou il y avais un syndicat cnt mais il refusais tout compromis avec la boite donc pas de candidat au cap ! et quand un copain avais besoin de gens qui sieger dans les instances pour ce faire defendre les camarades de la cnt nous les envoyes car comme il ne participer a aucune élections ils n avaient personne dans les instances !en cas de coup dure c est nous qui défendions les gens pour les defendre en cap ! le syndicalisme c est aussi du concret !

    • je ne refuse rien je fais des constats sur le mythe de 68 ! il y avais 3 grosses boites dans le compiegnois les grévistes n etaient minoritaires ! nous nous baladions nous lyceens de boite en boite !le plus gros nombre de grévistes etaient sur des journéesmais ceux qui occupaient plus de 10 jours etaient minoritaires !et heureusement que la cgt existait puisque les seuls endroits ou il y avait occupations etaient des boites tenues par la cgt ! les autres ailleurs attendais était spectateur et eux etaient majoritaires et une petites augmentations de salaires les contenter !tout le reste est du phantasme sans la cgt que dalle reecrire l histoire est a la mode.casser le cgt la salir cela a toujours était le boulot des patrons et a ce jour ce qui ont craches dans les annees qui ont suivis 68 sur la cgt sont devenus toliers et emmerdes les prolos ! on ne fait pas le bonheur des gens malgre eux ! cela c est du vrai stalinisme !et de fait les seuls camarades qui ce sont fait casser la geule a l epoque était des militants de la cgt ! mais cela tout le monde s en fout pour lla pseudo ultra gauche de l epoque tous devenus cadres et syndique a la cgc ou la cfdt la cgt était reformiste et pour la grande majorite des salaries la cgt était stalinienne ! rien n a change !

    • Encore une fois, tu réponds à côté. Ce n’est pas parce que des figures de 68 sont allés à la gamelle (on cite toujours les mêmes personnages médiatiques) que tout le monde a suivi la même pente et que ça devrait dispenser de s’interroger sur le rôle des confédérations syndicales aujourd’hui qui, comme on l’a rappelé, vivent de subventions plutôt que des cotisations des adhérents. Ceci expliquant cela.

    • Il y une fétichisation de l’organisation alors que ce sont les buts et les moyens d’y parvenir qui devraient avant tout nous intéresser. La réalité, malgré les évocations du passé, n’est pas toujours celle que l’on conçoit pour se rassurer de fausses certitudes.