Accueil > La Colombie en crise
De René Fredon
La Chine et le Tibet occupent ces derniers temps une grande place dans l’actualité hexagonale. On en aurait presque oublié qu’Ingrid Bettancourt n’a toujours pas été libérée et que l’avion français a fait l’aller et retour à vide.
Entre temps, on a appris que le président Sarkozy n’avait pas tout bien fait –y compris en Colombie- mais qu’il ne renonçait pas. Kouchner part lundi prochain reprendre les contacts dans le secteur. L’agitation n’est pas toujours efficace…
Un peu plus bas au cœur du continent sud-américain, le Paraguay s’est donné un président de gauche –un de plus- un ancien évêque proche du peuple qui était à la tête de l’APC (Alliance Patriotique pour le Changement) ! Un évêque à gauche, on n’en voit qu’en Amérique latine. Il faut dire que le Paraguay, l’un des plus pauvres, sort de plus de 60 ans de dictature dont 40 sous Schoessner.
En Colombie, il se passe des choses très importantes sur le plan intérieur, ces tout derniers jours. Uribe est aux cent coups, son cousin, l’ex-sénateur Mario Uribe Escobar, ancien président du Congrès, est en prison depuis le 22 avril, comme 64 autres députés et sénateurs, la plupart membres de la coalition qui soutient le président colombien, pour leurs liens supposés avec les paramilitaires, théoriquement dissous, mais amplement reconvertis dans les institutions politiques du pays.
Il est reproché au cousin ses relations étroites avec les groupes paramilitaires à des fins d’enrichissement personnel moyennant discrétion pour les actes criminels commis par ces mercenaires d’extrême droite crées par le pouvoir, financés et formés avec l’aide américaine.
Et ce cousin a commis la maladresse de demander l’asile politique au Costa Rica, comme s’il n’avait pas la conscience tranquille et pas beaucoup confiance dans la justice de son pays ! Il est vrai qu’en ce moment les relations justice - gouvernement sont en train de « virer au rouge vif » selon la formule d’un grand quotidien pourtant proche du pouvoir.
On prêterait à Uribe l’intention de créer un tribunal spécial ce que la Cour Suprême de Justice ne prend pas bien du tout. Même chez les libéraux on craint un durcissement d’Uribe qui prendrait une voie anticonstitutionnelle. Ils parlent d’organiser des élections anticipées.
Et, pour couronner le tout, Uribe lui-même est accusé par un paramilitaire d’être impliqué dans un massacre d’une quinzaine de paysans en 1997 à El Aro, ce qu’il nie, bien entendu.
Cette situation intérieure, on ne peut plus tendue, fragilise le président de la guerre à outrance contre les Farc qu’il refuse de considérer comme des belligérants. Il a réussi jusqu’à présent à rassurer les conservateurs sur cette ligne intransigeante, véritable fuite en avant qui divise la société colombienne et aggrave tous les problèmes économiques et sociaux.
Son dernier trophée, l’assassinat de Raul Reyès (en Equateur), a eu pour effet de compromettre la libération d’Ingrid Bettancourt et l’échange de prisonniers, à renvoyer à plus tard les négociations qu’il faudra bien, tôt ou tard, ouvrir pour parvenir à débloquer cette situation et à redonner à la Colombie la possibilité d’en finir avec cette guerre civile, avec cette chasse aux sorcières meurtrière de syndicalistes et d’opposants politiques en libérant tous ces prisonniers et en établissant un régime politique démocratique qui permette leur réinsertion dans la vie civile.
Il est faux de prétendre qu’Uribe avait fait des propositions dans ce sens, récemment, pour favoriser un échange humanitaire : en fait il tendait la main avec un bâton caché dans l’autre, derrière le dos, car il refusait de démilitariser la zone d’échange et maintenait son objectif d’en finir militairement avec les FARC qui, après l’assassinat de Reyès, avaient quelque raison de ne pas se jeter dans la gueule du loup.
Uribe n’est manifestement pas l’homme de cette transition. Et c’est ce constat qui lézarde sa majorité et met la Colombie en ébullition