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La France s’élève contre l’insulte

Publie le vendredi 23 juillet 2004 par Open-Publishing

de Camille Bauer

Protestations après les déclarations d’Ariel Sharon enjoignant les Francais de confession juive d’émigrer en Israël pour fuir " un antisémitisme déchaîné ".

La question du départ des Français juifs " ne se pose pas ". " Nous sommes une partie de l’âme de ce pays ", a expliqué, hier, Haïm Korsia, collaborateur du grand rabbin de France, en réponse aux propos d’Ariel Sharon. La veille, au cours d’une réunion à Jérusalem des associations américaines, le premier ministre israélien avait publiquement déclaré : " Je propose à tous les juifs de venir en Israël ; mais c’est absolument nécessaire pour les juifs de France, et ils doivent bouger immédiatement. En France, il se répand un antisémitisme déchaîné. ". Jugeant " ces propos inacceptables ", le Quai d’Orsay a " immédiatement pris contact avec les autorités israéliennes pour leur demander des explications ". Des représentants confessionnels également sont montés au créneau. Même s’ils expriment leur inquiétude devant l’augmentation des actes antisémites, (94 agressions dénombrées pour les six premiers mois de 2004 contre 47 en 2003 selon les statistiques officielles), ils condamnent cette intervention dans un débat interne à la France. " Qu’il laisse la communauté juive de France réagir sur les problèmes qui la concerne ", a déclaré Théo Klein, président d’honneur du Conseil représentatif des juifs de France (CRIF). Patrick Klugman, ancien président de l’Union des étudiants juifs de France et actuel vice-président de SOS Racisme a, pour sa part, estimé que Sharon était " très mal informé de ce qui se passe en France ".

En justifiant son appel à la migration par le fait qu’" aujourd’hui en France, à peu près 10 % de la population est musulmane, ce qui permet l’essor d’une nouvelle forme d’antisémitisme fondée sur les sentiments anti-israéliens ", Ariel Sharon joue sur une corde dangereuse. Il alimente ainsi deux vecteurs de l’antisémitisme : la confusion entre la politique d’Israël et les Français juifs, et la stigmatisation des Français musulmans, pourtant également victimes de la montée du racisme et loin de sombrer, pour une immense majorité, dans une rhétorique anti-juive. Appeler ainsi les Français juifs à partir en Israël, c’est " mettre de l’huile sur le feu de façon inacceptable ", a rappelé Richard Prasquier, membre du bureau exécutif du CRIF. Patrick Gaubert, président de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) a, lui aussi, jugé que Sharon " aurait mieux fait de se taire " et que ses propos " n’amèneront pas le calme et la paix dont nous avons tous besoin ".

Ce n’est pas la première sortie de ce type de la part des autorités israéliennes. En janvier 2002, le ministre des Affaires étrangères d’alors avait accusé la France d’être " le pire des pays occidentaux en matière d’antisémitisme ". Un mois plus tard, Sharon parlait d’une " très dangereuse vague d’antisémitisme " en France et annonçait des préparatifs pour recevoir les Français juifs. En avril de la même année, le gouvernement israélien avait de nouveau multiplié les appels à la migration, au point que Jacques Chirac avait demandé que soit mis fin à " la campagne anti- française visant à présenter la France comme un pays antisémite ". En janvier dernier, le ministre israélien de la Diaspora était reparti à l’attaque en jugeant, " la situation des juifs en France très problématique ".

En montant ainsi en épingle un problème, certes réel, mais que ses propos contribuent à amplifier, le gouvernement israélien poursuit deux objectifs. D’abord, décrédibiliser la position française dans le conflit israélo- palestinien. En présentant la France comme un État antisémite, Israël jette un soupçon sur le soutien politique de Paris aux Palestiniens. La sortie de Sharon intervient d’ailleurs après la visite faite à Yasser Arafat, le 30 juin dernier, par Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères, qui avait suscité la colère d’Israël. Ensuite, en alimentant la peur, Ariel Sharon cherche à attirer les juifs de France, qui sont les plus nombreux appartenant à cette confession, après ceux des États-Unis. Un apport appelé de ses voux par le premier ministre qui a toujours présenté l’arrivé de nouveaux juifs comme la réponse à apporter à la croissance démographique des Palestiniens. Une migration d’autant plus appréciée que les Français bénéficient en majorité d’un niveau de formation susceptible de faciliter leur intégration dans l’économie israélienne.

Camille Bauer

PCF. Le Parti communiste français, dans un communiqué, " condamne " les propos du premier ministre israélien. " En stigmatisant notre pays, Ariel Sharon tente d’affaiblir la voix originale pour la paix au Proche-Orient qu’exprime la France ", souligne le texte. En opposant musulmans et juifs français, cette déclaration " attise le mal qu’elle prétend combattre ", poursuit-il.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-07-20/2004-07-20-397571