La Terre compromise

Depuis 60 ans, Israël connaît une situation de guerre permanente. Les accords de paix se succèdent et éloignent chacune un peu plus l’espoir et la résolution de ce conflit par des voies négociées. Nous voici désormais aux flancs d’une inversion historique : la victime est devenue le bourreau, le faible s’est métamorphosé en une force redoutable et impitoyable. On peut avoir été la victime des uns et se transmuer en tortionnaire des autres. Le supplicié palestinien expie la faute de tiers qui servent de caution à la spoliation de ses terres, de ses maisons, de son histoire et de son avenir. L’accoucheur de rêve est devenu le fossoyeur de la liberté, la terre sainte un lieu maudit.

La légitimité de l’Etat sioniste est d’essence mythologique : le peuple-race juif, descendant du peuple hébraïque biblique, disséminé à travers le monde depuis des millénaires aurait repris le chemin du retour. Des études historiques incontestables font pièces à cette thèse idéologique. Les juifs seraient au vrai des berbères et des khazars convertis à travers les siècles.
La création d’Israël est d’autant d’inspiration religieuse que pratique : les juifs sionistes sont des colons détachés au Moyen-Orient pour servir leurs intérêts et les intérêts des sionistes étasuniens. Ils partagent avec les pèlerins américains une approche messianique et une passion acquisitive communes. Tous deux s’illusionnent sur leur mandat divin.

Malgré tous ces forfaits, Israël continue de jouir d’un prestige sans égal. La France et l’Italie ont honoré Israël en l’invitant cette année à la Foire du Livre de Paris et de Turin. L’absolution inconditionnelle dont bénéficie Tel-Aviv lui permet de prendre des licences avec le droit international, les lois de la guerre sans en subir les conséquences. La Communauté européenne est depuis sa création le premier partenaire commercial d’Israël et ce rapport économique n’a cessé d’ailleurs de se renforcer sans égards aux circonstances politiques et militaires.

Le soutien étasunien et européen est non seulement économique mais aussi politique. Ils participent tous de cette même duperie qui tient à faire croire qu’Israël cherche vainement un interlocuteur crédible et la paix. Il faut savoir cependant que l’OLP n’était pas plus fréquentable en son temps pour les sionistes que le Hamas aujourd’hui. Israël négocie pour mieux faire la guerre. Il veut aboutir à la seule conclusion que la guerre est incontournable et qu’elle est le fait de ses adversaires. Camp David a été la meilleure illustration de cette imposture.
Pendant que l’on parlemente à perte de vue, l’inachevé projet sioniste d’un foyer « ethnico-religieux » homogène se concrétise. La population israélienne est maintenant de 7 millions d’habitants grâce aux apports massifs de l’immigration de l’ex-URSS. Israël n’a nullement l’intention de fixer des frontières et de figer de la sorte sa croissance. Le sionisme est ontologiquement expansionniste.

Israël est un anachronisme qui marche à rebours de l’histoire. La quête de l’émancipation d’un groupe particulier au détriment des droits d’un autre peuple appartient à une autre époque. Il n’y aura jamais de règlement de ce conflit et de salut pour le peuple palestinien si la communauté internationale ne révise pas son approche et ne contraint pas Israël à se pacifier.

Emrah KAYNAK