Accueil > La chronique du Tocard. Dans un trou comme un rat pendant 3O ans

La chronique du Tocard. Dans un trou comme un rat pendant 3O ans

par Nadir Dendoune

Publie le mercredi 23 octobre 2013 par Nadir Dendoune - Open-Publishing

Le TGV filait à toute vitesse et il ne fallait que 3 heures pour rejoindre Marseille, deuxième plus grande ville française et première pour l’exagération des choses.

J’avais failli le louper le train, à cause du temps qui défile, mais surtout à cause de la conférence de presse organisée à la Cité du Cinéma à Saint-Denis 93, où Robert De Niro et Michelle Pfeiffer en compagnie de Luc Besson étaient venus défendre Malavita.

Un film sur la mafia qui sort demain, une histoire de bandits qui se passe dans un village normand et qui aurait dû être filmé à Marseille, tellement là-bas, les politiques de droite comme de gauche se comportent comme des malfrats.

Je regardais les deux monstres sacrés du cinéma et j’en revenais pas de les voir de si près. Pfeiffer était habillée et joliment habillée tu parles, tout en noir, de la tête au pied, comme une Catwoman mais je l’avais déjà vue à poil dans certains de ces films et je trouvais que nue ou habillée, elle était toujours aussi canon. Miaouuuuu.

De Niro avait l’air de se faire chier. Trop de thune, trop connu, il ne gagnait rien à être là et je l’aimais de moins en moins et quasiment plus du tout. J’ai quitté assez vite Saint-Denis et je suis monté dans le RER D qui avait quelques soucis « d’aiguillage ».

Tout le monde gardait le sourire parce que les transports à Paname, c’est souvent un sketch. A Gare de Lyon, j’ai couru, cavalé comme une panthère, bousculant des tas de gens sur mon passage mais on m’attendait 1000 kilomètres plus bas alors j’avais pas le choix que d’accélérer.

Le TGV allait fermer ses portes et juste devant, une nana plutôt bien roulée était là à me demander mon billet.De nos jours d’abrutis, les contrôleurs te laissaient plus monter dans le TGV si t’étais pas parfaitement en règle et je pensais à tous les pauvres gens qui pouvaient plus faire comme nous quand on était mômes et qu’on voyageait aux frais du gouvernement, qui essayait de récupérer son blé en nous foutant des amendes mais comme c’était toujours sous de faux noms, ça comptait pour du beurre.

Le soleil était au rendez-vous en arrivant à Marseille on t’encule, c’était au Parc des Princes que j’avais entendu ça pour la première fois. A Saint-Charles, la poto marseillaise était arrivée avec près d’une demi-heure de retard mais va savoir pourquoi elle était pas stressée du tout.

On est parti dans une librairie, en plein cœur de Marseille, une belle salle peinte en blanc avec un bar au fond et des livres couillus tout autour. Forcément une librairie militante pour accueillir ce soir là, un débat sur Georges Abdallah, un Libanais d’obédience marxiste, ou Georges Ibrahim Abdallah, GIA, pour qu’il fasse encore plus bougnoule terroriste, donc pour qu’il fasse encore plus flipper les gens qui ont un sérieux problème avec tout ce qui est bronzé.

Georges Abdallah à l’heure où je vous parle, entamait sa 30ème année de prison, le plus ancien prisonnier de France et sûrement l’un des moins connu du grand public. Même si officiellement en France, les prisonniers politiques n’existaient pas, Georges Ibrahim Abdallah avait toutes les caractéristiques pour en être un.

Sinon pourquoi les prisonniers de droit commun, comme les assassins d’enfants, pouvaient sortir, eux, à l’air libre au bout de 20 ans ? Lui Georges, c’était différent, son cas concentrait toute la haine que portait l’Occident, les américains en tête, sur les Gnoules de son espèce.

C’était Soraya, membre du collectif de soutien à Georges, et Ahmed qui avait un média local, qui m’avaient invité à ce débat où je devais intervenir, qui était un débat de haut niveau avec la présence de Chloé Delaume, la nièce de Georges et aussi de Jean-Jacques Rouillan, l’ancien d’Action Directe que j’avais vu plusieurs fois à la téloche et j’avais tout de suite remarqué que sa langue n’avait pas pris une ride.

On avait laissé par galanterie et aussi à cause des liens du sang Chloé s’exprimer en premier. Elle nous racontait des petites anecdotes sur Tonton Georges et c’était à certains moments très touchants. Elle ne l’avait pas revu depuis trois décennies et c’était pas faute d’avoir essayé mais le ministère de la Justice de la France « indépendante » lui refusait un droit de visite pour qu’elle aille voir son oncle.

J’écoutais Chloé et j’arrivais pas à croire que dans notre pays, on pouvait refuser un parloir à un membre de la famille d’un prisonnier. Quand tu savais en plus que Soraya, elle, une parfaite étrangère au départ mais qui était aujourd’hui très proche de Georges, pouvait aller le voir de manière assez régulière.

Un refus qui prenait des allures de règlement de compte ou comment on essayait de briser un homme. Georges Ibrahim Abdallah avait été arrêté en 1984, puis condamné en 1986 à « seulement » quatre ans de placard pour détention d’armes et usage de faux papiers. Alors qu’il purgeait sa peine, de nouvelles charges étaient venues s’ajouter à son pédigrée de délinquant notoire.

On l’accusait désormais d’avoir tué trois ans plus tôt deux diplomates, un américain et un israélien parce que les flics auraient trouvé dans son appartement l’arme du crime. Des accusations douteuses alors qu’il était de notoriété publique que son avocat de l’époque renseignait la DGSE sur son client et rien que ça, d’après tous les avocats que je connaissais, aurait suffi à faire annuler le procès.

De plus, Yves Bonnet, l’ancien boss de la DST, à l’origine de l’arrestation du libanais, avait fini par avouer qu’il avait fabriqué de fausses preuves pour que Georges Ibrahim Abdallah, coupable idéal, soit tenu responsable des deux assassinats.

Malgré tout ça, « en toute logique », il fut condamné alors à perpétuité. Ce qui ne veut pas dire pour le reste de ses jours puisqu’il pouvait demander selon le droit pénal français une libération conditionnelle au bout de tant d’années en prison.

Depuis 1999, date à laquelle il pouvait prétendre à une conditionnelle, il avait fait 9 demandes de liberté et à chaque fois au dernier moment les juges lui avaient refusé le droit de retrouver les siens, de retourner dans son petit village libanais à la lisière de la frontière syrienne. Et ça c’était plus que dégueulasse.

Ca faisait donc 14 ans qu’il aurait pu sortir, comme n’importe quel autre justiciable. On parlait pendant des heures de son cas, parfois ça partait en sucette comme dans tous les débats. On se sentait tellement impuissants surtout quand on voyait que peu de gens s’intéressaient à son histoire de taulard à 3 décennies.

Je ne comprenais pas le pourquoi d’un tel acharnement des institutions françaises à l’égard d’un homme dont aucune preuve de son implication directe dans les attentats n’avait été trouvée. J’imaginais ce type, cheveux grisonnants, qu’on avait enfermé dans un trou comme un rat pendant 3O ans, qui était la durée de vie d’un homme, un pur scandale.

Je me demandais comment Georges Ibrahim Abdallah pouvait encore tenir debout depuis toutes ses années. En voyant toutes ces personnes qui étaient là pour le soutenir, comme Soraya, je me disais que lui aussi, nous aidait à rester debout….

http://www.lecourrierdelatlas.com/584322102013La-chronique-du-Tocard.-Dans-un-trou-comme-un-rat-pendant-3O-ans.html

Portfolio