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La chronique du Tocard. Mandela : le Bal des amnésiques

par Nadir Dendoune

Publie le mardi 10 décembre 2013 par Nadir Dendoune - Open-Publishing

C’était le 11 février 1990, Mandela était enfin libéré, après 27 années de placard et moi, je rentrais à Fleury-Mérogis en détention provisoire au centre de jeunes détenus, pour une histoire d’adolescents énervés, de bagarre entre bandes mal léchées.

Je m’en souviens encore comme si c’était il y a deux jours, mon frangin m’avait d’ailleurs envoyé une carte postale avec les mots suivants : « T’as attendu que Nelson Mandela sorte de prison pour y entrer ».

J’avais appris, grâce à la blague du fréro que Madiba était enfin libre. De ses mouvements. Sa parole l’avait toujours été, depuis le début. Il avait été arrêté le 5 août 1962 alors qu’il était en cavale depuis dix-sept mois.

Mandela l’avocat, patron du MK, la branche armée de l’ANC, s’était présenté quelques mois après son arrestation, en octobre 62, devant un tribunal de Pretoria, sapé d’un kaross, une belle tunique traditionnelle en peau de léopard.

Nelson Rolihlahla Mandela avait assuré sa défense seul, son avocat étant en résidence surveillée mais aussi parce qu’il était un tribun hors pair. Le procès s’était très vite transformé en tribune. Devant ses juges, le résistant avait parlé, et bien parlé.

"Votre honneur, je hais la discrimination raciale, intensément et quel qu’en soit le visage, je l’ai combattue toute ma vie. Je la combats aujourd’hui et le ferai jusqu’à mon dernier souffle." A sa sortie de prison en 1990, il était devenu très vite un héros.

Pour tous, les Noirs d’abord mais aussi pour une grande majorité de Blancs, dans son pays, mais aussi partout dans le monde, sauf en Israël, patrie de l’apartheid qui avait soutenu jusqu’au bout le système afrikaner alors que la campagne internationale de boycott battait son plein.

Au lieu de se venger, Mandela avait décidé de pardonner et une commission de vérité et de réconciliation avait été mise en place. Les nombreuses victimes s’exprimaient devant la commission, « afin de retrouver leur dignité » et les bourreaux venaient se repentir devant les familles concernées en avouant tous leurs méfaits.

C’était bizarre comme manière de faire, tirer aussi rapidement un trait sur le passé, oublier les massacres, mais ça rendait Mandela et les autres Sud-Africains noirs encore plus beaux. Madiba répétait que pour faire la paix avec un ennemi, il fallait travailler avec lui. A terme, "cet ennemi deviendrait alors votre associé ».

Ces phrases résonnaient dans ma tête, surtout depuis ma « notoriété soudaine », un cadeau empoisonné en fait, malgré moi, j’avais suscité quelques inimitiés ; pas dans le "camp d’en face" mais chez des gens comme moi, plus moches tout de même, faut pas déconner !

Mais sur le papier le même « profil » social et culturel, ma « pseudo réussite » ( du moins vue de l’extérieur) devait sans doute les renvoyer à leurs propres échecs, la frustration de voir qu’on était tous partis de la même ligne de départ et de se rendre compte de mon chemin parcouru et surtout du leur….

J’avais réagi au début, tu m’attaques je te rentre dedans, pauvre merde, puis j’avais enfin compris que répondre à leurs attaques, c’était tomber dans leur piège et donner de l’importance à des personnages négligeables. Seuls les actes comptaient.

Je repensais à la jolie phrase de Jules Claretie « Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire et surtout la grande armée des gens, d’autant plus sévères, qui ne font rien du tout. ».

Et puis, il y avait d’autres combats à mener : l’échec scolaire dans les quartiers populaires, l’égalité pour tous dans l’accès au travail, le droit au logement, l’islamophobie, la négrophobie, l’impunité policière, la libération de Georges Ibrahim Abdallah, de la Palestine, et bien d’autres sujets encore.

Aujourd’hui, on enterrait Mandela à Johannesburg, le monde entier lui rendait hommage, les mêmes qu’ils le jugeaient infréquentables au moment de son arrestation, les mêmes qu’ils le traitaient de terroriste.

Marine Le Pen, Copé ou Valls versaient des larmes pour ce grand homme et la minute d’après ils crachaient leur haine des Roms et des musulmans, ils étaient exactement l’inverse de ce qu’incarnait l’ancien leader sud-africain. Leur hommage était puant mais il ne pouvait pas nous faire oublier leur racisme de tous les jours.

Néthanyahu avait même rejoint le bal des hypocrites, en parlant de Mandela comme du « personnage le plus honorable de cette époque, le père d’un peuple, un combattant qui avait rejeté la violence ».

Et c’était ça, l’arnaque : on répétait partout, des médias à la classe politique, que Madiba avait renoncé à la violence, alors qu’il ne s’était jamais renié : jusqu’à sa mort, il était resté un résistant et pensait toujours que la lutte armée était un droit absolu pour les opprimés.

D’ailleurs, il aurait pu être libéré huit ans plus tôt s’il avait accepté de renoncer à la violence. Mais, considérant toujours que le jeu n’était pas égal, il n’avait pas accepté les conditions imposées par un pouvoir blanc hypocrite.

Il n’y avait pas à distinguer l’homme de réconciliation et l’homme de combat, il n’y avait eu qu’un seul homme ! Et c’était parce qu’il ne s’était jamais renié qu’il avait pu être crédible aux yeux de tous et réussir la suite, la réconciliation.

Ca faisait quatre jours qu’il était parti, quatre jours de deuil, une perte colossale pour l’humanité. C’était non-stop les émissions qui parlaient de lui, lui rendant hommage sur la forme, mais en oubliant les messages politiques qu’il avait portés toute sa vie.

On ne parlait quasiment pas de son attachement à la Palestine. A sa sortie de prison, il avait déclaré que la liberté de son peuple serait incomplète tant que « les Palestiniens ne seraient pas libres ». Il militait de toute façon pour la liberté de tous les peuples opprimés.

Aujourd’hui, plus d’une centaine de chefs d’Etat étaient à Johannesburg pour saluer une dernière fois la mémoire de Mandela. Pendant ce temps, dans la nation arc-en-ciel, les Blancs gagnaient toujours six fois plus que les Noirs….

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