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La cohésion sociale manque de ciment

Publie le vendredi 24 septembre 2004 par Open-Publishing

de Cyrille Poy, Montpellier

C’est une année charnière pour tous les acteurs du logement social. Un moment de vérité même, puisque, au-delà des ambitions gouvernementales en matière de logement, il va s’agir de savoir si les moyens mis en oeuvre sont suffisants. Or, sur cette question, de nombreux congressistes ont fait part de leurs doutes et de leurs craintes. Le logement est-il, comme le laisse entendre le gouvernement qui en a fait l’une des trois priorités du plan de cohésion sociale, un choix de société partagé ? Si, lors du précédent congrès, à Lille, le constat de la crise du logement avait été largement partagé par tous et tout particulièrement par Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Ville, un an plus tard, l’effet positif qu’avait impulsé la « caution sociale » du gouvernement Raffarin s’estompe quelque peu.

Un budget insuffisant

Le premier point de discorde réside évidemment dans les moyens alloués au logement dans le budget 2005. Ce budget n’est pas marqué par la volonté affirmée de donner les moyens supplémentaires pour la construction de logements à loyers modérés, malgré un affichage en hausse, résultant surtout d’habiles manipulations comptables et de transformations de crédits en non-recettes fiscales. Fait

remarquable, le président de l’Union sociale pour l’habitat, Michel Delebarre lui-même, a dit son « scepticisme » sur le plan de relance de la construction de logements sociaux.

En volume, « c’est un budget bien maigre », a poursuivi Jean-Yves Mano, maire-adjoint chargé du logement à Paris qui accuse, par ailleurs, Jean-Louis Borloo « d’aller chercher ailleurs l’argent qu’il n’a pas », surtout concernant les contributions des organismes HLM et du 1 % patronal à la politique de rénovation urbaine. Selon lui, ce budget « ne permettra pas de réaliser la construction de 90 000 logements » prévus annuellement sur cinq ans. Scepticisme partagé par un certain nombre de responsables d’organismes HLM : ainsi, Claude Massu, vice-président de la Fédération nationale des offices, a dénoncé la dette de l’État aux organismes HLM qu’il évalue à 600 millions d’euros, soit un an et demi de crédits alloués par le ministère du Logement pour la construction locative sociale.

De son côté, Stéphane Peu, président de Saint-Denis Habitat (Seine-Saint-Denis), relève « un désengagement de l’État » sur le secteur du locatif social, que ce soit en terme budgétaire ou en terme de volonté d’intervention étatique. Et ce dernier de déclarer qu’il « ne [voit] pas dans les actes du gouvernement des mesures propres à résorber la crise du logement ». Même constat pour Christian Chevé (CGT), représentant de l’UESL (Foncière logement) à l’Agence nationale pour le renouvellement urbain (ANRU). « Nous n’avons aucune garantie que l’État va s’engager davantage. Nous négocions avec lui pour financer une partie des 500 000 logements, et une fois de plus, c’est l’argent, celui des salariés, qui l’intéresse », déplore-t-il.

Quand à Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, qui dénonce par ailleurs la non-application de la règle des 20 % de logements sociaux (lire entretien page suivante), ses inquiétudes budgétaires se portent sur le transfert des fonds de solidarité logement (FSL) aux départements ou aux collectivités territoriales dont il craint qu’ils ne jouent pas le jeu. Enfin, autre point sensible relevé par la Fondation Abbé Pierre, le nombre élevé de logements PLS. Ces derniers, qui correspondent à des logements intermédiaires, donc qui ont des loyers plus chers que les logements sociaux classiques (PLAI et PLUS), constituent quasiment 30 % de la production de logements sociaux pour l’année 2005, hors logements reconstruits dans le cadre de la politique de rénovation urbaine.

Crainte d’une hausse des loyers

Le congrès de l’Union sociale de l’habitat est donc loin de l’euphorie ! Et si les acteurs du logement HLM doutent, les locataires, eux, redoutent. Hier après-midi, alors que Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d’État au logement, prenait la parole en clôture du congrès HLM, les délégués de la CNL ont déployé une banderole réclamant « un droit au logement pour tous » ainsi qu’« un budget à la hauteur des enjeux » avant de quitter la salle. Dans la matinée, son président, Jean-Pierre Giacomo, fustigeait le « député Daubresse » par qui l’amendement sur le projet de conventionnement global était arrivé. Adopté à coup de 49-3 dans la loi relative aux responsabilités locales en août dernier, ce projet est, en effet, dans la ligne de mire des associations de locataires (CGL, CLCV, CNL et CSF) qui, pour la deuxième année consécutive, ont choisi de parler d’une seule voix. Ce texte, prévoyant de recalculer les loyers en fonction d’une évaluation de la qualité des logements et de leur situation géographique, risque d’entraîner des hausses significatives des quittances et de créer de véritables ghettos urbains. « Les plus modestes se retrouveront cantonnés en périphérie » et « les locataires verront leur taux d’effort s’accroître », s’inquiète la CLCV, qui déplore que les locataires n’aient pas été conviés à ces discussions avec les organismes HLM.

L’autre souci majeur des locataires est, bien sûr, le montant des aides personnelles au logement, qui souffrent depuis longtemps de revalorisations à la marge. Marc-Philippe Daubresse a affirmé, hier, qu’il était « hors de question de les supprimer ». Cependant, il a évoqué une « réforme » qui prendrait pour base « un taux d’effort acceptable pour les ménages ». Une façon habile de réduire leur enveloppe qui s’élève à 12 milliards d’euros par an environ et sur laquelle Bercy ne cesse de loucher, en ne concentrant les aides que sur les ménages les plus modestes.

En clôture du congrès, Michel Delebarre a appelé « le gouvernement et la représentation nationale à un réexamen en profondeur du traitement du logement social dans les finances publiques ». Précisant que le secteur, dans sa globalité, représentait 21 % du PIB et ne bénéficiait que de 2,5 % des dépenses budgétaires de l’État, il a souligné la forte disparité des crédits alloués au secteur HLM et de ceux dont bénéficie le secteur privé. « De toutes les aides de l’État confondues - aides à la pierre, aides à la personne, aides fiscales - cle secteur locatif privé qui pèse le plus sur les finances publiques, avec 41 % des aides, devant le secteur HLM qui représente seulement 30 % », a souligné le président de l’USH. Le logement est-il vraiment un « choix de société », selon le titre du congrès HLM ? Pour le gouvernement, il s’agit plutôt d’un non-choix qui risque de peser lourd dans la cohésion nationale, pourtant si chère à Jean-Louis Borloo.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-09-24/2004-09-24-401233