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La gauche constitue des états-majors régionaux à sa main
Publie le lundi 11 octobre 2004 par Open-Publishingde Béatrice Jérôme (avec Sophie Landrin à Lyon et Nicolas Bastuck à Metz)
Après les élections de mars, les nouveaux présidents PS de régions et de départements ont profondément remanié leurs services. Pour la première fois, plusieurs anciens directeurs de cabinets ministériels occupent des postes-clés.
Changement de majorité, changement d’équipes : la vague rose des élections de mars dans les conseils régionaux et généraux a étendu la pratique du "système des dépouilles" à l’échelon local.
Treize régions et douze départements ont basculé à gauche. Au-delà des cabinets, cette alternance politique au profit du PS a impliqué un profond renouvellement dans les services des collectivités. Dans les régions, tous les directeurs généraux des services (DGS) et la moitié des directeurs ont déjà changé ou sont en passe d’être renouvelés.
Face aux nouvelles compétences qu’ils vont devoir exercer et dans la perspective du transfert de 130 000 agents de l’Etat en 2005, les nouveaux patrons socialistes de régions et de départements ont cherché à se constituer des états-majors capables de tenir tête aux services de l’Etat. Parmi les nouveaux embauchés, nombreux sont les transfuges de la fonction publique d’Etat (directions départementales de l’agriculture, de l’équipement, des affaires sociales) ou de grosses agglomérations.
Mais aux préoccupations techniques se sont ajoutées des considérations politiques. "Certains présidents ont recruté leur équipe comme s’ils composaient un ministère", relève un cadre territorial.
Pour la première fois dans l’histoire de l’institution régionale, cinq anciens directeurs de cabinet ministériel sont devenus DGS. Poste-clé, le DGS est l’équivalent du directeur de cabinet dans un ministère, celui qui fait "tourner la machine".
La présidente (PS) de Poitou-Charentes, Ségolène Royal, a fait appel à son ancien directeur de cabinet au ministère de la famille, Jean-Luc Fulachier. Administrateur civil et conseiller social de Dominique Strauss-Kahn à Bercy, il s’est vu confier la double casquette de directeur de cabinet et de DGS. En Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne a choisi Gilles Le Chatelier, ancien directeur du cabinet de Roger-Gérard Schwartzenberg (PRG) au ministère de la recherche et maître des requêtes au Conseil d’Etat.
En Lorraine, Jean-Pierre Masseret s’est appuyé sur Serge Barcellini, son ancien directeur de cabinet au ministère des anciens combattants, inspecteur général des armées. En Bourgogne, François Patriat a fait appel à Didier Paris, un magistrat qui fut son ex-directeur de cabinet au secrétariat d’Etat aux PME. En Bretagne, Jean-Yves Le Drian a choisi Gilles Ricono. Celui-ci a dirigé le cabinet de Jean-Claude Gayssot, ministre de l’équipement dans le gouvernement de Lionel Jospin jusqu’en 2002. Ingénieur général des Ponts et Chaussées, ancien directeur régional de l’équipement d’Ile-de-France, ancien directeur du cabinet de Louis Besson, ministre du logement en 1990, M. Ricono incarne la volonté des élus de s’entourer de "gros calibres".
Parmi les nouveaux DGS, la part des membres de la fonction publique d’Etat est stable par rapport à l’ancienne mandature : ils occupent plus de la moitié des postes. Mais, parmi eux, les magistrats, conseillers d’Etat et polytechniciens sont plus nombreux qu’auparavant.
En Ile-de-France, Jean-Paul Huchon, reconduit à la présidence de la région, a profité du départ de son DGS pour promouvoir Sophie Mougard, jusqu’alors numéro deux de ses services. Cette polytechnicienne, ingénieur des Ponts et Chaussées, est la première femme à occuper cette fonction. Mme Mougard était conseillère technique au cabinet de M. Jospin, à Matignon, de 2000 à 2002, chargée des transports.
"Les grands corps ne considèrent plus que c’est déchoir que d’aller travailler dans une région", relève Yves Colmou, ancien conseiller de M. Jospin à Matignon et consultant chez Progress, cabinet de chasseurs de têtes, très sollicité, ces derniers temps, par les patrons de région et de département.
Pas question de couper toutes les têtes pour autant. Sur les quelque 15 000 agents qui travaillent dans les régions, le système des dépouilles ne s’est appliqué qu’aux fonctions les plus stratégiques : soit quelques dizaines de postes.
La grande majorité des cadres des services sont protégés par leur statut. En cas d’alternance, seuls les emplois dits "fonctionnels" - les directeurs - peuvent être remplacés, et seulement après un délai officiel de six mois.
Du coup, "il n’y a pas de chasse aux sorcières !", assure Jean-Luc Bœuf, nouveau DGS de la Franche-Comté, débauché par Raymond Forni, nouveau président de la région. Ce qui n’empêche pas une partie des régions, par le truchement d’un audit ou d’une réorganisation interne, de mettre certains agents sur la touche.
Chaque région a vécu la transition à sa manière. A l’amiable en Bretagne : le premier geste de M. Ricono, en prenant ses fonctions de DGS, aura été de donner les clés de son appartement parisien à son prédécesseur. La Lorraine a vécu un processus à l’envers. Sitôt battue, l’équipe de Gérard Longuet (UMP) est partie avec téléphones portables, disques durs et ordinateurs. Une fuite de matière grise "éthiquement inadmissible et très grave en termes d’action", regrette M. Barcellini, nouveau DGS de la région. Il lui a fallu "six mois" pour monter une équipe à sa main.
En Rhône-Alpes, la reprise en main politique s’est faite de manière subtile. M. Queyranne a profité de la vacance de certains postes dans l’administration pour recruter 22 chargés de mission et 10 secrétaires mis à la disposition des vice-présidents. Cela, dit-on, pour lutter contre la "lourdeur administrative". La CFDT a dénoncé ce tour de "passe-passe" et déploré que ces postes aient été pourvus sans aucune publicité. La centrale syndicale allant jusqu’à craindre l’avènement de "commissaires politiques" des services.
En Languedoc-Roussillon, en revanche, la passation de pouvoirs entre l’équipe de Jacques Blanc (UMP) et celle de Georges Frêche se serait réglée, selon des témoins, "à la tronçonneuse". Une centaine d’agents de Montpellier, dont M. Frêche était le maire, ont débarqué dans son sillage. "Ils ont récupéré des bureaux manu militari, explique un ancien chargé de mission. Entre 50 et 100 agents ont été mis au placard. Certains se sont retrouvés dans une annexe de la région baptisée "Guantanamo" par ses occupants." De 440, les agents des services sont passés à plus de 600. Dans l’entourage de M. Frêche, on assure que "les règles statutaires ont été respectées".
Béatrice Jérôme (avec Sophie Landrin à Lyon et Nicolas Bastuck à Metz)
Rhône-Alpes travaille sur son image
Jean-Jack Queyranne, nouveau président (PS) de la région Rhône-Alpes prétend faire de celle-ci un "contre-pouvoir" local au gouvernement. Constatant la faible notoriété de l’institution, au travers de plusieurs études d’opinion qu’il a fait réaliser, il a confié à une agence de publicité lyonnaise - Kalyana -, déjà sollicitée pendant sa campagne pour les régionales, le soin de travailler sur "l’identité" de la région. Au printemps, il a prévu une campagne de communication pour laquelle il s’apprête à lancer un appel d’offres afin d’élaborer un nouveau logo et une nouvelle charte graphique de la région. Toujours afin de donner une plus grande visibilité à l’institution, M. Queyranne souhaite également quitter les bâtiments actuels. Situés dans la banlieue ouest de Lyon, à Charbonnières-les-Bains, ceux-ci sont excentrés et difficiles d’accès. M. Queyranne envisage la construction d’un nouveau siège à Lyon, sur le site du "confluent" où le maire (PS) de la ville, Gérard Collomb, a lancé un grand projet urbanistique pour la construction du "nouveau quartier du XXIe siècle". - (Corresp.)
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