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"La triste droitisation du PS", Eric Fassin (Sociologue, université Paris-VIII)

par Lire

Publie le vendredi 25 octobre 2013 par Lire - Open-Publishing
8 commentaires

par Eric Fassin (Sociologue, université Paris-VIII), Le Monde du 24 10 2013

Pour la gauche gouvernementale, le "réalisme" s’avère irréaliste : le ralliement au sens commun de droite attise "l’insécurité culturelle" sans apaiser l’insécurité économique. La cote de François Hollande dans les sondages baisse à mesure que progresse celle de Manuel Valls. De même, la "démagogie" sarkozyenne s’était révélée impopulaire : les "grands débats" sur l’identité nationale ou l’islam n’ont pas évité la défaite de 2012. Bref, "réalisme" de gauche et "démagogie" de droite ne paient pas.

Pour autant, la désaffection pour la gauche "réaliste" ne bénéficie guère à la gauche de gauche. En revanche, l’extrême droite prospère à la faveur de la dérive idéologique de la droite. C’est une raison supplémentaire pour ne pas reprendre à son compte la fausse symétrie entre les "extrêmes". De fait, si la droitisation du paysage politique, depuis les années 1980, justifie plus que jamais de qualifier le Front national de parti d’extrême droite, être à la gauche du Parti socialiste n’est plus synonyme de radicalité !

Pourquoi l’échec de la première ne fait-il pas le succès de la seconde ? On aurait tort d’invoquer quelque logique mécanique, la crise économique déterminant la droitisation de la société française. D’une part, l’expérience historique nous rappelle que, en même temps que les fascismes européens, les années de la Grande Dépression ont vu fleurir le New Deal aux Etats-Unis et le Front populaire en France.

D’autre part, l’analyse des évolutions de l’opinion dément l’hypothèse d’une droitisation de la société – culturelle mais aussi économique. Quant au racisme, il ne date pas d’aujourd’hui ; il a surtout changé d’habits, puisqu’il s’autorise le plus souvent de rhétorique républicaine. Bref, la droitisation de la politique n’est pas l’effet d’une droitisation de la société française. Il faut expliquer la politique par la politique – et non par la société qu’elle prétend pourtant refléter.

SUR LE TERRAIN DU FN POUR LE CONTRER

Cette droitisation résulte donc d’un choix politique – celui qui prévaut depuis trente ans. En 1984, comment comprendre la percée du Front national ? Au lieu d’interroger le tournant de la rigueur de 1983, droite puis gauche vont s’employer à contrer le parti de Jean-Marie Le Pen en allant sur son terrain – insécurité, immigration. C’était faire comme si l’extrême droite posait les bonnes questions. On mesure toutefois le chemin parcouru : aujourd’hui, les mêmes diraient que le Front national apporte les bonnes réponses. Certes, la gauche socialiste continue de revendiquer un "juste milieu" entre les "extrêmes" ; mais à mesure que le paysage se déporte, ce "milieu" est moins juste. Il suffit, pour s’en convaincre, de le comparer à celui de 1974.

Reste le paradoxe actuel : le Front national accuse droite et gauche de mener la même politique. Il est vrai qu’il est le seul ou presque à vouloir rompre avec l’Europe. Mais en matière d’immigration, si la gauche finit par rejoindre la droite, depuis longtemps, celle-ci chasse sur les terres de l’extrême droite. S’il faut faire l’amalgame, en matière "identitaire", c’est donc d’UMPSFN que devrait parler Marine Le Pen. Or, comme le disait son père, les électeurs préfèrent l’original à la copie. Les partis majoritaires semblent ainsi pasticher Sacha Guitry : contre le FN, tout contre…
Loin de rompre avec cette stratégie, François Hollande la reconduit. C’est ainsi qu’il choisit de mettre en avant le candidat le plus marginal, car le plus droitier, des primaires socialistes. C’est valider l’opposition chère à la droite entre angélisme et réalisme – qui débouche toujours sur le renoncement aux principes.
On en voit les effets : comme Nicolas Sarkozy hier, comme Jean-Marie Le Pen avant-hier, Manuel Valls prend régulièrement le parti de choquer par des propos sulfureux (sur le regroupement familial, ou l’incapacité culturelle des Roms à s’intégrer). Et à chaque fois, un sondage vient valider son pari "auto-réalisateur" de droitisation. C’est que, comme toujours, "l’opinion" répond aux questions qu’on lui pose. Lui en soumettrait-on d’autres (si d’aventure la gauche parlait redistribution, et plus largement lutte contre les inégalités) qu’elle donnerait d’autres réponses.

C’est dans ce contexte que la "gauche de gauche", qui se veut populaire, se trouve marginalisée. Le consensus politique, que redouble le sens commun médiatique, repose en effet sur un préjugé : le "peuple" serait forcément "populiste", xénophobe et raciste. Mais c’est surtout qu’il devient impossible de parler d’autre chose. Jusqu’aux années 2000, il fallait 200 000 à 300 000 sans-papiers pour occuper le terrain médiatico-politique ; aujourd’hui, dans un pays de 65 millions d’habitants, il suffit de 20 000 Roms.

Mieux : François Hollande préfère s’exprimer sur le cas Leonarda, au risque de l’absurdité d’un jugement de Salomon, plutôt que de devoir justifier son choix d’une politique conforme aux attentes des marchés. Sans doute aura-t-il réussi, tel Mitterrand, à affaiblir sa gauche ; mais en se livrant aux seules pressions de la droite, il paiera son habile victoire au prix fort. Pour l’Histoire, il pourrait bien rester le président "de gauche", entre guillemets, qui a permis en France l’avènement de l’extrême droite – sans guillemets.

source http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/24/triste-droitisation-du-ps_3501774_3232.html

Messages

  • « Le FN est presque le seul » à vouloir rompre avec l’Europe. Pourtant, une majorité en 2005 jugeait que la dite Europe n’était pas sur le bon chemin... et juge encore que l’arnaque de Hollande sur la renégociation du traité nous plombe.
    Le FN est presque le seul à refuser la complicité de la France avec les pétromonarchies pour infliger une « démocratie » sectaire en Syrie quasi détruite. Il reste pourtant dans l’opinion un large refus des guerres, notamment néo-coloniales : le souvenir de Villepin à l’ONU faisant la leçon aux USA menteurs, avant l’invasion de l’Irak, ne nous rend-t-il pas le Galouzeau moins odieux ?
    Le FN est presque le seul, sur des thèmes que « la gauche », et même La Gauche, lui ont cédés. Plutôt que d’accuser les français d’avoir abandonné toute réflexion politique (et morale) et de lorgner à l’extrême droite, reconnaissons que c’est la politique qui abandonne les français !
    De la même façon, des orgas syndicales qui osent laisser le PS raboter encore les retraites, je dis qu’elles abandonnent les salariés. Une CFDT est dans son rôle de jaune, on connaît. Mais les FO, CGT, Sud, FSU ? Ont-elles mené la lutte, organisé la bagarre, ou plutôt décidé que c’était plié d’avance ? Quitte à accuser le peuple de ne pas suivre leurs appels de convenance. Lequel peuple, anesthésié par le racisme ambiant, aura moins de scrupules à écouter la Marine, qui justement se fait fort de défendre "presque seule" les petits contre les gros !

  • l’analyse des évolutions de l’opinion dément l’hypothèse d’une droitisation de la société – culturelle mais aussi économique. Quant au racisme, il ne date pas d’aujourd’hui

    Effectivement. Il ne saurait y avoir de droitisation dans un pays qui a toujours été de droite extrême. En près d’un quart de millénaire, les "héros" de la République se nomment Bonaparte, Napoléon III, Thiers, Pétain, De Gaulle. Les Blum, Mitterand, Jospin, Hollande ne sont de brêves parenthèses illustrant avant tout des trahisons.
    Quant au racisme, c’est effectivement un élément essentiel de "l’idéologie" française, gangrenée par le colonialisme, dont le fil rouge va de Jules Ferry, à Manuel Valls

    • La Révolution française, l’abolition de l’esclavage dès 1794,1848, la Commune, l’anarcho-syndicalisme et la Charte d’Amiens, les Brigadistes en Espagne, la Résistance communiste, l’exrême-gauche qui dépasse 10 % en 2002, des caractéristiques d’un pays de droite extrême ?

    • La Révolution française

      Est en panne depuis le 9 thermidor 1794.
      ,

      l’abolition de l’esclavage dès 1794,

      rétabli par Bonaparte, se pousuit de nos jours sous des formes plus présentables.

      1848, la Commune, l’anarcho-syndicalisme

      noyés dans le sang par les soldatesques de la bourgeoisie dans l’indifférence de la majorité des français.

      les Brigadistes en Espagne

      il ne s’agit pas d’un mouvement français mais international, écrabouillés par les fascistes avec la complicité du front populaire.

      , la Résistance communiste

      rapidement supplantée par les collabos genre Papon, recyclés gaullistes.

      l’exrême-gauche qui dépasse 10 % en 2002

      pendant que la droite-extrême (FN+UMP+"Centre"+ Moitié du PS) dépasse constamment les 60%

      , des caractéristiques d’un pays de droite extrême ?

      Ce sont celles d’un pays où la gauche est, hélas, très largement minoritaire.