Le FN lance un appel à "Michel Onfray et ses soutiens"

Opération de communication : le bras droit du vice-président du FN Philippot appelle les "intellectuels de gauche" à dialoguer avec Marine Le Pen.

Par Ségolène de Larquier

À force d’être portée aux nues dans les sondages, Marine Le Pen rêve de victoires électorales. Mais en lectrice assidue du penseur italien Antonio Gramsci, la prétendante à l’Élysée est convaincue que la prise du pouvoir idéologique et culturel précède la prise du pouvoir politique. "Le voile de la bien-pensance s’est déchiré. Qu’il est bon d’entendre des voix discordantes... Notre victoire idéologique doit se transformer en victoire politique", confiait-elle récemment. Qui sont ces "voix discordantes" dont Marine Le Pen parle ? Il s’agit des intellectuels qui populariseraient, selon elle, les idées du Front national comme, par exemple,Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Éric Zemmour ou l’écrivain Michel Houellebecq qui a fait grand bruit cet hiver en publiant Soumission.

Appel au dialogue

Ce jeudi, par la voix de Bertrand Dutheil de La Rochère, le FN a fait un pas à l’endroit des "intellectuels de gauche qui se veulent toujours à gauche" en les appelant au dialogue. Dans une tribune publiée sur le site du FN, le trésorier du Rassemblement bleu marine (RBM) – également bras droit de Florian Philippot – s’adresse aux intellectuels qui se réuniront le 20 octobre à la Mutualité pour exprimer leur soutien à Michel Onfray, accusé par Libération de "faire le jeu du FN" (édition du 15 septembre). Sont annoncés à cet événement organisé par l’hebdomadaire Marianne Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Jean-François Kahn, Régis Debray, ou encore Jean-Pierre Chevènement. "Je connais vos préventions à l’égard du FN et du RBM. Il ne s’agit pas de les rallier. Il s’agit de constituer un vaste mouvement dans lequel chacun doit conserver son entière liberté de pensée et d’organisation", propose Dutheil de La Rochère, lui-même ancien chevènementiste ayant rallié Marine Le Pen en 2011. L’objectif est bien de récupérer ces intellectuels dans l’objectif de porter Marine Le Pen à l’Élysée en 2017. "Le peuple a tranché. Marine Le Pen a déjà réuni plus du quart des suffrages sur son nom", fanfaronne le bras droit de Philippot.

Dîners en ville

Avec cette tribune, le FN lance une vaste opération de communication. Nul doute que sa main tendue aux intellectuels restera sans suite puisque ces derniers regrettent d’être instrumentalisés. "Qu’on me reproche d’être l’allié objectif de Marine Le Pen est aberrant. Qu’elle le dise n’est pas étonnant dans sa course à la respectabilité, dans son envie d’avoir des noms d’éventuels compagnons de route, dans son besoin stratégique et tactique et d’un point de vue électoral de remplir le vide intellectuel de son parti", a expliqué le philosophe normand Michel Onfray dans les colonnes du Monde daté du 21 septembre. "Je n’ai rien à voir avec le parti y-a-qu’à-site et poutinien de Marine Le Pen et je combats, comme les antifascistes patentés, la haine de l’Autre et l’esprit de clocher", affirmait pour sa part Alain Finkielkraut dans Le Point en avril dernier. Mais, pour le FN, l’important n’est pas là. Les dirigeants frontistes se réjouissent que ces penseurs très médiatiques "popularisent" leurs idées. "Grâce à eux, on pénètre dans les classes supérieures plutôt réfractaires aux idées du FN. Le FN s’intellectualise et un sympathisant frontiste a des références qu’il peut citer dans des dîners en ville", glisse un élu.

Tentative de récupération

Dans La Revue des deux mondes à l’automne 2014, le professeur de sciences politiques Olivier Roy parlait déjà d’un "succès intellectuel du FN". Le parti de Marine Le Pen a réussi à "développer un modèle idéologique moderne, acceptable et en phase avec les évolutions sociales", expliquait le chercheur dans un article intitulé "Pourquoi le FN est-il moderne ? Parce qu’il a compris Gramsci". Ainsi, pour devenir moderne, explique Roy, primo, le FN est passé "d’un racialisme biologique devenu inacceptable à un différentialisme culturel fondé sur l’anthropologie moderne" ; deuzio, il a "entériné la révolution des moeurs" (l’avortement n’est plus condamné, les gays sont les bienvenus au FN, Marine Le Pen ne s’est pas rendue aux manifs pour tous, même si elle promet d’abroger la loi sur le mariage gay) ; et enfin, le FN se présente désormais comme le "champion de la laïcité" – pour pouvoir mieux combattre l’islam – et a abandonné sa proximité historique avec le christianisme. Bref, "la modernité du FN, c’est d’avoir compris Gramsci et de savoir quoi en faire", conclut Olivier Roy. Néanmoins, n’en déplaise au FN, il n’existe aucun intellectuel organique au sein du parti. Une faiblesse qu’il entend donc pallier en tentant de récupérer les intellectuels qui plaideraient, selon lui, pour ses idées.

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