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Le Monténégro dans l’UE ? Pas sans un bon nettoyage de printemps…
par M. Grasset
Publie le mercredi 11 janvier 2017 par M. Grasset - Open-PublishingUn gigantesque trafic de tabac. Au cœur des années 1990, le Monténégro fait figure de plaque tournante des mafias italiennes et balkaniques. Par ce qui n’est encore qu’une région de l’ex-Yougoslavie transitent des milliards de cigarettes à destination des marchés d’Europe de l’Ouest. Objectif des cigarettiers, de mise avec les trafiquants : contourner les lourdes taxes européennes sur le tabac. Et obtenir les bonnes grâces des autorités monténégrines, à la tête desquelles trône déjà l’inamovible Milo Djukanovic.
A partir des années 2000, les pratiques illégales des cigarettiers seront épinglées par la Commission européenne. Selon les termes d’un accord conclu entre les quatre plus gros producteurs de tabac au monde et l’Office de lutte antifraude (Olaf), les cigarettiers s’acquittent d’un versement de plus de 2 milliards d’euros et s’engagent à assurer une meilleure traçabilité de leurs produits. Fin, donc, de la « Montenegro Connection » ?
Selon l’agence de police européenne Europol, en 2012, « le trafic de cigarettes continue » bien au Monténégro. Quelque 119 tonnes de tabac auraient ainsi été détournées des circuits légaux durant la seule année 2013. Des activités mafieuses dont beaucoup soupçonnent qu’elles sont tolérées, si ce n’est encouragées, par le régime en place. Et gare à ceux qui tenteraient de dénouer les fils du trafic de cigarettes au Monténégro : à l’image du journaliste Dusko Jovanovic, assassiné en 2004 dans de mystérieuses circonstances, ou encore, quatre ans plus tard, d’Ivo Pukanic, rédacteur en chef du journal croate Nacional, mort dans un attentat à la bombe.
Le point commun entre ces deux journalistes assassinés ? Tous deux étaient des témoins du procureur italien Giuseppe Sceli, qui enquêtait sur le rôle prépondérant joué par le premier ministre monténégrin d’alors, un certain... Milo Djukanovic. A la tête du petit pays balkanique depuis plus de 25 ans, alternant présidence de la République et direction du gouvernement, l’homme fort de Podgorica, protégé par son immunité diplomatique, règne d’une main de fer sur la destinée de son pays et de ses habitants.
Le Monténégro, « un trou noir »
Les dernières élections législatives, organisées au Monténégro le 16 octobre 2016, furent un concentré des méthodes douteuses employées par le régime afin de se maintenir en place. Selon l’opposante et directrice de l’ONG monténégrine Human Rights Action, Tea Gorjanc-Prelevic, « ici, même les morts votent à chaque élection. Et le parti (le DPS, Parti démocrate des socialistes de Milo Djukanovic) envoie depuis des semaines des SMS promettant 17 euros à qui votera pour lui. 17 euros, (au Monténégro), c’est une somme ». Et pour Vanja Calovic, la fondatrice de la principale association locale de lutte contre la corruption, Mans, « pour être sûrs que les gens votent ’’bien’’, ils leur demandent de faire des selfies avec leur bulletin de vote dans l’isoloir ».
Dejan Milovac, le directeur de l’association Mans, est encore plus catégorique : « le Monténégro est un petit peu comme un trou noir » quant il s’agit de s’atteler aux innombrables problèmes auxquels il fait face : corruption généralisée, trafics en tout genre, mainmise de l’appareil d’Etat et de l’administration sur les secteurs économiques ou universitaires... « Le régime contrôle tout : justice, police, médias », abonde Milena Perovic-Korac, rédactrice en chef de l’hebdomadaire Monitor. Un pouvoir omnipotent, et peu pressé de faire aboutir les enquêtes sur les violences et meurtres qui frappent ceux qui s’opposent à lui, à commencer par les journalistes. « Les coupables de ces agressions bénéficient d’une impunité quasi-systématique », déplore ainsi Reporters sans frontières. L’ONG a d’ailleurs classé le Monténégro à la 106e place mondiale en termes de liberté de la presse.
Face à ces accusations, le régime de Podgorica se défend avec énergie, niant toute pression exercée sur l’opposition ou les médias encore indépendants. Et de mettre en avant les « progrès » réalisés afin, notamment, d’accélérer l’adhésion du Monténégro à l’Union européenne (UE). Une bonne volonté de façade qui peine à séduire Bruxelles.
« Les Européens ne doivent pas fermer les yeux »
Débuté en 2008, le processus d’adhésion du Monténégro à l’UE suit, bon an mal an, son cours. Un chemin semé de « rapports d’avancement », « d’accords de stabilisation et d’association », de « demande officielle » et « d’ouvertures de chapitres ». Rien que de très classique, en somme, si n’étaient les récurrents rappels à l’ordre venus de Bruxelles.
En accordant au Monténégro le statut de candidat officiel à l’adhésion, en 2010, le Conseil européen est passé outre une recommandation de la Commission exigeant davantage d’efforts en faveur « des droits, comme la lutte contre les discriminations (ou) la liberté d’expression ». En 2013, s’il saluait un certain nombre de réformes engagées, un rapport du Parlement européen insistait à son tour sur la nécessité d’engager des actions « concernant la protection de la liberté des médias (…) ainsi que l’intensification de la lutte contre la corruption et le crime organisé ». Et, en 2014, la Commission européenne enfonçait le clou : « le nombre de condamnations (…) pour corruption et crime organisé est limité. (…) Combattre le crime organisé et la corruption est fondamental pour lutter contre l’infiltration criminelle dans le politique, la justice et l’économie ».
Les précautions sémantiques et diplomatiques prises par les arcanes bruxelloises ne doivent pas tromper. Entre les lignes de la prose des institutions européennes, il faut bien lire l’insatisfaction des négociateurs quant à la collusion entre activités criminelles et mafieuses et le régime de Milo Djukanovic. La responsable d’Human Rights Action, Tea Gorjanc-Prelevic, ne s’embarrasse pas de telles nuances : « S’ils veulent nous intégrer, les Européens ne doivent pas fermer les yeux ».