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Le cauchemar des Touaregs à In-Ideq (Algérie)

par Tamazgha

Publie le jeudi 22 août 2013 par Tamazgha - Open-Publishing

Avant de revenir sur la situation à In-Ideq (Borj Mokhtar), nous nous permettons une petite mise au point d’ordre terminologique qui consiste à rétablir certaines vérités historiques que les régimes arabo-islamiques en Terre amazighe tentent d’enterrer à jamais.

"In-Ideq" est le véritable nom de ce que l’administration algérienne a choisi de baptiser par le toponyme arabo-turc "Bordj Badji Mokhtar". En effet, pendant les années 70 encore, les habitants de la région ne connaissaient que le toponyme In-Ideq, qui veut dire "l’endroit de la terre argileuse", une terre de potiers. Les Touaregs qui vivent encore dans la brousse ne connaissent toujours que le toponyme In-Ideq pour désigner cet endroit. La destruction d’In-Ideq, comme l’ensemble du pays amazigh, par l’État l’algérien a donc commencé déjà lorsqu’il s’est attaqué à l’identité même de cet endroit. C’est cette logique d’arabisation et d’islamisation des territoires qui anime cet État hérité du colonialisme français. Car faudrait-il rappeler que c’est l’administration française qui a entamé, comme partout en Afrique du Nord d’ailleurs, la dépossession du lieu de son identité en le nommant Borj Le Prieur, du nom de Louis Le Prieur, un lieutenant méhariste chargé en décembre 1939 de diriger le chantier de l’aménagement de la piste qui traverse une partie de l’Azawad et qui mène à Reggane. Le lieutenant français construit alors un abri pour les voyageurs de passage qui a été nommé Bordj Le-Prieur et c’est ainsi que l’administration française a attribué ce toponyme au lieu dit, au mépris du toponyme autochtone : In-Ideq. Au départ des Français, l’administration algérienne a remplacé "Le Prieur" par "Badji Mokhtar".

Quant à nous, nous adopterons systématiquement le nom d’In-Ideq pour parler de ce que l’administration algérienne appelle "Bordj Badji Mokhtar".

Intox des autorités algériennes.

Le samedi 17 août 2013, l’APS (Agence presse service) parle d’un ″accord pour mettre fin au conflit tribal à Bordj Badji-Mokhtar″ qui aurait été scellé la veille au soir entre des représentants des deux communautés, touarègue et arabe. L’information émane de la préfecture d’Adrar qui aurait rendu public un communiqué selon l’agence qui précise que « l’accord a été établi à l’issue d’une rencontre ayant regroupé, vendredi soir au siège de la daïra de Bordj Badji Mokhtar, des représentants des tribus arabe "Brabiche" et targuie "Idnane", en présence de notables de la région et des représentants de l’Assemblée populaire communale (APC) de Bordj Badji-Mokhtar. ». Et selon cette même agence, les membres des deux communautés en conflit ont salué les "efforts déployés par les autorités civiles et sécuritaires et leur mobilisation constante pour parvenir à cet important résultat". La réalité est tout autre. Si les deux communautés se sont mises d’accord sur une trêve afin de réfléchir justement à une sortie de crise, aucun accord n’a été scellé. Il est vrai que l’idée d’une commission réunissant quarante personnes, vingt représentant chaque communauté, était en projet, mais la dite commission n’est pas encore constituée et ne s’est jamais réunie. Il semblerait que la communauté arabe ne dispose pas de représentants crédibles. Ajouter à cela le manque de toute volonté de la part des autorités algériennes qui semblent tout faire pour alimenter ce conflit meurtrier et l’attiser.

Mais la trêve annoncée était plutôt bon signe pour aller vers une solution au problème si les membres de la communauté arabe l’avait respectée. Si la nuit du 17 au 18 août n’a effectivement pas vu d’affrontements, des membres de la communauté arabe se sont de nouveau attaqués aux quartiers touaregs le dimanche après-midi, faisant des dégâts importants : six maisons ont été incendiées après avoir été pillées. Ceci a contraint les Touaregs à réagir. Et ce non-respect de la trêve par la communauté arabe montre effectivement qu’ils n’ont pas de représentants crédibles. Cela montre en tous cas la volonté de ceux qui manipulent cette communauté d’envenimer la situation et poursuivre ce plan machiavélique visant les Touaregs. C’est aussi ce dimanche 18 août, sur la route qui relie In-Ideq à Tamanrasset, à 200 km, que les corps de trois touaregs ont été retrouvés. Les affrontements ont donc repris de plus belle et les Touaregs plus que jamais menacés.

L’intox et la désinformation pratiquées par l’APS contribuent ainsi à détourner l’opinion de la réalité de la situation à In-Ideq, ce qui permet l’accomplissement d’un véritable nettoyage ethnique à huis clos.

Les forces militaires algériennes couvrent les expéditions punitives visant les Touaregs.

Pour être objectif et réaliste, il convient de parler d’organes de répression algériens qui regroupent les militaires, les gendarmes et les services de renseignement. L’armée et la gendarmerie qui a encerclé les quartiers touaregs ont procédé à l’arrestation de plusieurs jeunes. Même les médias algériens, autorisés à traiter de ce sujet, affirment que les accès à la ville sont fermés par les gendarmes qui filtrent les entrées et sorties et décrivent une ville en état de siège.

Les personnes surprises notamment entrain de prendre des photos ont été systématiquement arrêtées et leurs téléphones portables confisqués. En effet, les services algériens veillent à ce que rien ne filtre des dégâts subis et des traces de la barbarie subie par la population. Nombre des personnes arrêtées sont transférées à Reggane [1], ville située à 650 km au nord-ouest d’In-Ideq et à 140 km au sud d’Adrar.

Le lundi 19 août, les violences ont repris et ce sont toujours les membres de la communauté arabe, bien protégés par les militaires algériens, qui s’attaquent aux quartiers touaregs. Trois attaques au moins ont eu lieu ; ce sont des familles (des femmes et des enfants) qui ont fait les frais de ces attaques. Les jeunes touaregs ont alors réagi violement ce qui a causé le décès de quatre des assaillants. Et ce n’est que là, lorsque les jeunes touaregs ont mis en difficulté les assaillants, que les militaires algériens sont intervenus sur le lieu des affrontements et ont procédé à l’arrestation de jeunes touaregs qui habitent dans le quartier au lieu de se pendre aux assaillants étrangers venus attaquer les habitants de ce quartier. Cet épisode mérite qu’on s’y attarde :

Lorsque le quartier touareg a été pris d’assaut par des éléments de la communauté arabe, une petite unité de l’armée algérienne conduite par un officier kabyle était dans les environs. L’officier avait alors alerté son chef hiérarchique qui n’était pas loin pour lui demander du renfort. Le renfort a met au moins quarante minutes avant d’arriver ; c’est une fois le mal est fait. Les éléments du renfort se sont alors pris aux jeunes touaregs qui étaient dans leur quartier et le chef décide alors d’embarquer ces jeunes touaregs sans chercher à inquiéter les assaillants venus d’ailleurs. Scandalisé par cette attitude qu’il trouve absurde, l’officier kabyle s’était opposé à l’arrestation des jeunes touaregs estimant que ce sont plutôt les assaillants qui devaient être poursuivis et arrêtés. Et devant l’entêtement du chef de l’unité, les deux militaires en sont arrivés aux mains. La population touarègue témoin de cette attitude courageuse du militaire kabyle ont beaucoup apprécié le geste ce qui les a, quelque part rassuré, même si dans les faits la situation n’a pas changé et l’attitude coloniale des forces répressives algériennes se poursuit.

Dans un autre quartier, ce sont des gendarmes qui interviennent et ont battu une femme touarègue ce qui a fait réagir, cette fois-ci, un gendarme touareg qui s’est interposé. Un jeune étudiant touareg aperçu entrain de filmer avec son téléphone portable a été poursuivi jusqu’à chez lui par des gendarmes qui l’ont gravement blessé et lui ont confisqué son appareil, et il a, bien entendu, été embarqué.

Aujourd’hui, on compte plus d’une cinquantaine de morts. La voix des autorités algériennes, l’APS, parle de huit morts seulement. El-Watan quant à lui parle de quinze victimes. L’autre instrument d’intox à grande envergure, entendez par là l’AFP, a fini par publier une dépêché datée du 19 août. Le but est de donner une audience internationale à la propagande algérienne. En effet, la dépêche de l’AFP n’est qu’une reprise de l’intox de son homologue algérienne ainsi que d’autres médias algériens, autrement dit il s’agit de relayer la propagande des autorités algériennes : schéma classique.

Le spectre du complot.

Les relais des services algériens dans les médias ou au sein de la "classe politique" font courir l’idée d’un complot anti-algérien.

Par une dépêche de l’APS, datée du 19 août, nous apprenons l’existence d’un Bureau communal de l’académie de la société civile de la commune de Bordj Badji Mokhtar, lequel bureau qualifie les événements d’In-Ideq (Borj Mokhtar) de "véritable Fitna semée par des parties occultes" et appelle le « peuple algérien, "arabes et amazighes", à "ne pas se laisser entraîner par les semeurs de fitna […] ». Salima Tlemçani, journaliste à El-Watani, dans un article intitulé "Bordj Badji Mokhtar en état de siège", paru dans l’édition du 18 août du quotidien algérien, fait parler "un notable très connu dans la région qui a refusé de décliner son identité" et qui lui a expliqué que "L’Algérie n’a jamais été visée dans son unité comme cela est le cas depuis quelque temps. Il y a des mains étrangères qui veulent embraser le sud du pays. Il faut que les autorités algériennes soient suffisamment conscientes de ce danger et doivent réagir avant que le feu ne se propage.", et comme pour exporter le conflit, "notre notable très connu, mais qui ne décline pas son identité à Salima Tlemçani" évoque des″rumeurs sur des affrontements à Tamanrasset [qui] circulent depuis déjà quelques jours″ avant de conclure sur le fait que "les tribus, qu’elles soient touareg ou arabes, ont toutes des prolongements dans les villes du Sud et la solidarité peut les entraîner dans des situations de crise extrêmement dangereuses".Ces propos attribués à un prétendu "notable très connu" sentent, en réalité, beaucoup l’intox si chère au DRS.
Dans une dépêche, en date du 19 août 2013, l’APS nous apprend que le secrétariat du bureau politique du Parti des travailleurs (PT) qui s’est exprimé sur les événements d’In-Ideq considère que "l’ingérence d’un mouvement politique séparatiste malien dans ce conflit, dans le but évident de dresser les tribus touaregs et arabes les unes contre les autres, participe des plans divers et variés concoctés par les centres impérialistes". Le PT vise clairement, sans le nommer, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) soutenue par al quasi-totalité des Touaregs d’In-Ideq. Faudrait-il d’ailleurs, au passage, souligner que la communauté arabe (berabiches) d’In-Ideq est dans sa quasi-totalité acquise à AQMI et au MUJAO qui agissent sous couvert du Mouvement des arabes de l’Azawad (MAA).

Un illustre inconnu, du nom de Naçer Hanani, délégué de l’Association algérienne de l’émancipation du citoyen, s’est également exprimé dans les colonnes du Temps d’Algérie, le 16 août 2013, dans un entretien intitulé "Des parties étrangères cherchent à semer la fitna aux frontières algériennes". Ainsi ce promoteur de l’émancipation citoyenne affirme que "ce qui se passe à Bordj Badji Mokhtar a un lien direct avec la situation au nord du Mali. Il y a des parties qui veulent imposer au Sud algérien la situation enregistrée au nord du Mali, pour instaurer l’instabilité. C’est une fitna dont le but est de porter atteinte à la stabilité des frontières algériennes". Il également ceci : "Nous refusons que les citoyens algériens soient entraînés dans les problèmes de l’Azawad", a-t-il lancé.

Il faut dire que ce sont les mêmes propos qui reviennent quel que soit l’intervenant. Des propos confectionnés sans aucun doute dans les bureaux du DRS.

Le silence inexplicable de la classe politique algérienne.

Exception faite de la prise de position du Bureau politique du PT, citée ci-dessus, et à moins que des choses nous échappent, aucun parti politique ni organisation des droits de l’Homme algériens n’a réagi pour dénoncer l’injustice que subissent des populations d’In-Ideq.

Même les partis algériens à base kabyle catalogués comme partis démocrates, le FFS et le RCD pour e pas les nommer, n’ont pas souffler un mot sur ces évènements. Aucun mot de sympathie à l’égard des Touaregs qui subissent la haine des autorités algériennes. Plus grave encore, la Maison des droits et du citoyen de Tizi-Ouzou dont nombre d’animateurs son issus du Mouvement culturel berbère (MCB) et des partis démocratiques basés en Kabylie n’a pas réagi. Ou encore la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) qui s’intéresse à des situations qui sont parfois à mille lieux d’Afrique du Nord qui n’a pas jugé important de dénoncer ce qui se passe à In-Ideq.

Peut-être que pour tout ce beau monde, les Touaregs d’In-Ideq ne sont pas considérés comme des algériens !? En revanche, un mouvement politique kabyle, le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), en l’occurrence, a pris position et a dénoncé l’agression barbare dont sont victimes les Touaregs d’In-Ideq et accuse le pouvoir d’Alger de racisme.

Un État algérien qui ne cache pas son mépris à l’égard des Touaregs.

 Plusieurs familles touarègues dont les maisons sont brûlées se sont réfugiées devant la brigade de gendarmerie e la ville et ont élu domicile sous des arbres. Plus e 500 personnes s’y sont installées sans aucune assistance ni des autorités algériennes ni d’organisations internationales comme HCR. Si ces centaines de personnes dont la majorité sont des personnes vulnérables (vieillards, enfants, ..) ont trouvé refuge cet endroit où les assaillants ne peuvent les atteindre, elles sont en revanche livrés à elles-mêmes dans des conditions d’hygiène dramatiques. Les blessés sont laissés sans soins ; seulement les cas graves ont été déplacés vers les centres de soin par les gendarmes. La seule réponse que les gendarmes ont apporté aux demandes d’aide et aux appels de ces citoyens venus trouver refuge était de leur dire d’aller voir plutôt la France ou encore le Burkina-Faso. [2]

 Un détail qui mérite d’être rappelé… Les affrontements ont toujours lieu dans les quartiers touaregs. Cela montre que ce sont des membres de la communauté arabe qui sont les agresseurs et qui s’attaquent aux Touaregs et à leurs biens. Les maisons brûlées, les commerces et biens saccagés et détruits appartiennent quasiment tous aux Touaregs. Ces derniers ont toujours été, et depuis le début du conflit, dans la défensive et ce sont eux qui subissent les attaques. Et malgré cela, les militaires et les gendarmes interviennent quasi-systématiquement dans les quartiers touaregs et c’est parmi cette population qu’ils arrêtent le plus.

Ces deux éléments à eux seuls prouvent l’implication des autorités algériennes dans ces attaques organisées qui visent les Touaregs à In-Ideq. Ce qui conforte notre précédente analyse quant aux motivations de l’Etat algérien dans cette action machiavélique menée à l’encontre des Touaregs.

L’opinion internationale, à la merci de médias inféodés aux diplomaties de leurs pays concernant les questions internationales notamment dans les régions dites sensibles, est loin de s’intéresser à ce que peuvent subir les Touaregs de la "bourgade" d’In-Ideq (déjà que le sort des Touaregs de l’ensemble de l’Azawad ne les a pas intéressé !), les Touaregs d’In-Ideq osent espérer une solidarité amazighe. Plus qu’un mouvement de solidarité, c’est un soulèvement généralisé partout en Afrique du Nord qui devient incontournable pour que cesse l’humiliation que nous font subir ces régimes voyous décidés à éradiquer l’amazighité. Il n’y a aucune raison pour que les Amazighs ne puissent réaliser leur libération et accéder à leur indépendance et se débarrasser définitivement du colonialisme. Il n’y a aucune raison pour que leur Terre soit livrée aux obscurantistes de tous genres et aux ennemis de la civilisation. Oui, Imazighen ne peuvent se passer d’une révolution, leur Révolution...

Masin Ferkal.

Notes

[1] Reggane est une ville où se trouve un centre d’expérimentation militaire qui remonte à l’époque de la colonisation française. C’est une ville très militarisée.

[2] Les accords MNLA-Etat malien ont été signés à Ouagadoudou, au Burkina-Faso, et supervisés par la France. L’Etat algérien n’a pas été associé à ces accords ce qui lui est resté au travers la gorge. Du coup a eu une raison supplémentaire d’en vouloir au MNLA, et par la même à l’ensemble des Touaregs.

Source : http://www.tamazgha.fr/Le-cauchemar...

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