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Le choix de l’inflation par la BCE est désastreux pour la jeunesse européenne

par Boris Pilichowski

Publie le jeudi 16 août 2012 par Boris Pilichowski - Open-Publishing
2 commentaires

Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE) a donc décidé d’utiliser la "planche à billets" pour régler les dettes insurmontables de plusieurs pays européens. Cela signifie que le bilan financier de la BCE va continuer à basculer dans la démesure, atteignant des niveaux jamais vus dans les économies capitalistes modernes. Elle prêtera encore des milliers de milliards d’euros supplémentaires pour aider tous ceux qui ne peuvent pas rembourser, à savoir les gouvernements et autres institutions privées ou publiques mal gérées.

Ce procédé est aussi vieux que l’existence de la monnaie. Il s’agit d’imprimer de l’argent pour payer les dettes d’un Etat et de ses banques en faillite. Moult gouvernements y ont eu recours dans le passé et le résultat fut toujours le même : l’argent perd peu à peu de sa valeur car l’augmentation de la masse monétaire entraîne la hausse des prix des actifs (immobilier, matières premières, actions, etc.) et des biens de consommation. C’est une solution politiquement pratique à court terme mais qui fait monter les prix à moyen terme, et érode in fine le pouvoir d’achat de ceux qui ont un revenu fixe. En somme, ce que l’Etat paye d’un côté avec de l’argent sorti de nulle part, il le reprend par l’augmentation des prix. Cette "inflation monétaire" est donc une taxe imposée par la BCE agissant pour le compte des Etats.

De toutes les taxations possibles, l’inflation monétaire est la plus inégalitaire. En effet, l’impôt sur le revenu est progressif et ne touche que les plus aisés, ce qui est acceptable. Pour ce qui est de la TVA, il suffit juste de moins consommer pour moins la payer ! Elle favorise donc l’épargne au détriment de la consommation. En revanche, l’inflation monétaire créée par la BCE est plus meurtrière puisque non seulement elle obère le pouvoir d’achat des salariés et des pensionnés, mais elle favorise les détenteurs de biens en induisant une hausse des actifs financiers. Elle pénalise en revanche ceux qui ont épargné pour préparer leur avenir et voient s’effriter la valeur de leurs économies. Ainsi, en défendant les patrimoines, les banques centrales brisent la confiance dans tout contrat social, car elles taxent ceux qui sont les plus faibles et ceux qui sont les plus prudents.

Enfin, l’inflation est mal comprise et c’est donc une taxe qu’on ne maîtrise pas. Aujourd’hui, on ne sait pas si toute la monnaie créée mondialement depuis cinq ans déclenchera de l’inflation à hauteur de 3 %, 5 %, 15 % ou 1 000 %, ni quand cette inflation apparaîtra et dans quel domaine elle s’exprimera. Prix de l’immobilier ? Prix de l’énergie ? Prix de l’alimentation ? On sait juste qu’elle arrivera un jour, et les gouvernements feront alors mine d’être surpris pour s’exonérer.

L’inflation monétaire est donc une taxe lâche, puisque levée de façon détournée, et irresponsable, puisque non contrôlée. Nous voyons déjà comment l’augmentation du bilan des banques centrales depuis dix ans crée des flambées des prix successives loin d’être compensées par une augmentation des revenus des populations actives européennes. L’exemple récent de l’envolée du prix des céréales et du pétrole doit être pris comme un avertissement : chaque choc exogène, comme une guerre au Moyen-Orient ou une sécheresse aux Etats-Unis, a un effet démultiplié sur les prix.

Voilà pourquoi quand nous demandons à la BCE d’intervenir pour éponger le surendettement bancaire et étatique, comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, nous faisons payer les frais de la crise aux épargnants mais aussi à ceux qui n’ont pas acquis de patrimoine : les plus jeunes et les plus pauvres. Cette supercherie peut fonctionner un temps dans un pays structuré et solidaire, mais elle ne saurait constituer le point de départ fondateur d’une Europe fédérale. L’UE ne va pas trouver son unité en copiant le modèle financier américain en pleine faillite et générateur d’inégalités sociales.

L’Europe fédérale ne peut pas proposer un modèle moins équitable que celui des Etats qui la composent. Elle ne survivra que si les jeunes y trouvent leur intérêt, et, pour cela, il faut accepter la déflation naturelle des patrimoines et donc tolérer que certains Etats fassent défaut sur leur dette souveraine. Autrement dit, admettre la faillite inexorable de certaines banques. Il s’ensuivra alors une accélération de la crise financière mais aussi un dénouement plus rapide et plus juste : les jeunes seront les grands bénéficiaires de cette crise car ils pourront enfin acheter les biens acquis par leurs parents à des prix acceptables !

Les baby-boomers seront les grands perdants, mais à juste titre. Ce sont eux qui ont généré et accumulé les dettes du système depuis trente ans et prospèrent sans travailler sur des lauriers usurpés. Ils auront néanmoins toujours besoin des jeunes pour payer leurs retraites et leurs frais médicaux. La crise financière européenne de nos parents aura alors été réglée dans la justice sociale et cela pourra servir de socle démocratique à l’intégration européenne. Mais voilà, nos leaders politiques refusent les défauts souverains. Ils nous parlent de conséquences désastreuses dont on ne se relèverait pas. Tout doit donc être mis en place pour éviter la crise et défendre ainsi les patrimoines et les retraites de leurs congénères. On demande à Mario Draghi d’intervenir avec sa planche à billets. Tant pis pour l’inflation ! Tant pis pour les pauvres ! Tant pis pour les jeunes ! Tant pis pour l’Europe ! C’est une erreur historique.

Les baby-boomers font partie d’une génération qui s’est définie dans la lutte des classes d’âge en se rebellant contre ses aînés. Leur grande découverte fut la consommation et le plaisir individuel, et leur grand projet politique l’augmentation du pouvoir d’achat par la dette. Dans les années 1970, ils ruinèrent leurs parents en s’octroyant par la force des hausses de salaires et des nouvelles protections sociales.

Aujourd’hui les papy-boomers, devenus patrons, actionnaires tous azimuts, propriétaires immobiliers, responsables politiques, refusent de payer leurs dettes ou de voir leurs actifs financiers baisser car ceux-ci garantissent leur train de vie. Ils n’augmentent plus les salaires des jeunes (moins nombreux) parce qu’ils veulent préserver les marges de leurs entreprises qui fournissent leurs rentes. Lorsque leurs intérêts financiers sont menacés par la crise, ils utilisent l’Etat et désormais la BCE pour se protéger.

En refusant d’accepter les défauts des Etats, ils lèguent de l’inflation et des dettes insurmontables à leurs enfants. Les partis politiques européens de gauche, qui prônent pour la plupart la nécessité de faire intervenir la BCE pour augmenter l’inflation, doivent se rendre compte que l’envolée des prix n’est plus corrigée par une hausse des salaires.

Les jeunes Européens ne vont pas tarder à comprendre que les solutions économiques proposées pour sauver l’Europe servent avant tout leurs aïeux. Ils auront alors perdu confiance dans des leaders discrédités et se tourneront vers des solutions politiques, certes alternatives, mais extrémistes et dangereuses. L’Europe n’y survivra pas.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/08/16/le-choix-de-l-inflation-par-la-bce-est-desastreux-pour-la-jeunesse-europeenne_1746770_3232.html

Messages

  • Ah ben, si c’est le Monde qui le dit, ... !

    Un autre point de vue :

    ... ... On se souvient par exemple de Pierre Bérégovoy, qui, dans les années 1980, d’abord comme ministre des Finances, puis comme Premier ministre, présentait la « désinflation » comme un gain de pouvoir d’achat. Pourtant, c’est durant cette période que la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée des entreprises a diminué de 7 points. Tandis que c’est grâce à l’inflation que des millions de ménages ont acquis leur logement dans les années 1960 et 1970 : le remboursement et le coût de leurs emprunts immobiliers était allégé chaque année au rythme de l’inflation.... ...

    http://www.alternatives-economiques...

    • Ah ben, si c’est le Monde qui le dit, ... !

      1) Ce n’est pas Le Monde qui le dit, c’est un gars qui écrit une tribune dans Le Monde.

      2) Moi ça m’intéresse, ce que pensent différents analystes, ça m’aide à réfléchir, à tenter de me faire une opinion, et je n’ai aucune envie que quelqu’un trie pour moi les infos et opinions qui me parviennent. Le pire à mes yeux est la pensée unique, d’où qu’elle vienne.

      3) Sur le fond, cette opinion est effectivement discutable, et la présence de cet article t’a permis d’exprimer une autre vision et de produire une citation intéressante (Bérégovoy), donc... tout va bien !

      Chico