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Le dilemme de la lutte armée dans le sud globalisé

Publie le mardi 14 février 2006 par Open-Publishing

Par Garry Leech Traduction : Numancia Martinez Poggi

L’entreprise danoise Fighters and Lovers [Combattants et Amants] vend un tee-shirt qui fait la promotion de deux groupes armés du sud globalisé : les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) et le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP). Non seulement l’entreprise de mode produit des vêtements avec les sigles de ces deux groupes armés, mais 6 dollars sur chaque vente seront donnés aux organisations armées en question. Il s’ensuit que les fonds provenant du tee-shirt portant le nom des FARC financeront une station de radio rebelle tandis que les tee-shirt portant le nom du FPLP apporteront un soutien financier à un studio graphique dans les territoires occupés. Ces deux organisations se trouvent sur les listes européennes et états-uniennes des organisations terroristes. Par voix de conséquence, aussi bien l’entreprise que ses clients sont accusés de soutenir le terrorisme. Le geste de l’entreprise, cependant, soulève des questions plus larges, quant à savoir qui décide qui est terroriste, et quelles sont les méthodes qui peuvent être utilisées dans le combat pour la justice sociale.

Des années 1950 à la fin des années 1980, la lutte armée dans les pays du sud globalisé était généralement acceptée comme une stratégie légitime dans le cadre de la recherche d’un changement politique et social. Il existait également une tolérance de la part de beaucoup de gouvernements du nord globalisé envers leurs propres citoyens qui organisaient la solidarité avec les organisations armées de libération comme l’Armée de Libération Palestinienne (sic, ndt), les Sandinistes du Nicaragua et le Front Farabundo Martí de Libération Nationale (FMLN). L’acceptation de la lutte armée comme stratégie légitime pour le changement politique et social a commencé à baisser avec la fin du socialisme à la soviétique et avec la fin de la Guerre froide. L’arrivée du nouveau système économique de libre-échange globalisé a coïncidé avec les politiques états-uniennes de « promotion de la démocratie ». Donc la lutte armée, argumentait-on, deviendrait largement illégitime parce que les citoyens disposeraient des urnes pour effectuer les changements désirés.

Naturellement, le genre de démocratie promue était un modèle libéral occidental basé sur des principes économiques de libre-marché. En fait, cela n’offrait aux citoyens guère plus que le droit de voter pour des dirigeants qui ne s’en remettaient pas tant à leurs électeurs mais plutôt aux institutions internationales -le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce- responsables de la gestion de l’économie globale de libre-marché. En effet, les élus étaient contraints de gérer l’économie de leur pays conformément aux linéaments du libre-marché établis par les institutions internationales. Sans surprise, la participation électorale dans beaucoup de pays, notamment en Amérique latine, déclina tout au long des années 1990 à mesure que les citoyens réalisaient que la « démocratie » ne s’intéressait pas à leurs besoins fondamentaux. Pour la majorité des habitants de l’Amérique latine qui vit dans la pauvreté, cela signifiait un échec de la part des dirigeants nationaux élus pour améliorer leur situation économique. L’attaque terroriste du 11 septembre contre les Etats-Unis s’est produite à une époque où la foi en la démocratie et en la doctrine du libre-marché était peu populaire en Amérique latine. La nouvelle guerre contre la terreur du gouvernement Bush, cependant, a davantage assuré que la lutte armée ne reviendrait pas comme une stratégie tolérée internationalement en soulignant que les organisations anti-capitalistes comme les FARC se trouvaient sur la liste états-unienne des organisations terroristes et que donc elles ne pouvaient pas être considérées comme des acteurs légitimes.

Mais « la promotion de la démocratie » et la guerre à la terreur ne sont pas toujours parvenu à garantir que tous les pays d’Amérique latine jouent de façon soumise le jeu des intérêts de Washington. Un exemple, le Venezuela, où une majorité des citoyens a rejeté les partis politiques traditionnels et le modèle de libre-marché en élisant Hugo Chávez à la présidence en 1998. Les Etats-Unis ont réagi énergiquement en cherchant à isoler et même à renverser le gouvernement démocratiquement élu du Venezuela, en soutenant des grèves générales et un coup d’Etat manqué. Le leader vénézuélien a été qualifié de personne autoritaire qui gouverne de façon anti-démocratique, malgré le fait que Chávez a remporté clairement la majorité lors de deux élections présidentielles et lors d’un referendum national, tous déclarés loyaux et libres par des observateurs internationaux. Washington a également accusé Chávez d’être une force déstabilisatrice dans la région et a déclaré sans preuve qu’il soutient des organisations « terroristes », telles que les FARC. Il est clair que du point de vue de Washington la démocratie n’est perçue comme légitime que lorsque les citoyens élisent des leaders du goût des Etats-Unis.

Avec Chávez au pouvoir au Venezuela et Evo Morales en Bolivie, les années qui viennent seront décisives pour savoir si les pays d’Amérique latine et du sud globalisé peuvent vraiment parvenir à la souveraineté économique et politique et pour savoir si Washington acceptera et soutiendra ces objectifs. Dans le cas contraire, et si les citoyens croient que les Etats-Unis sont responsables de l’affaiblissement et du renversement de leurs gouvernements élus, ils ne seront pas loin de perdre complètement la foi dans les processus démocratiques. Beaucoup de citoyens en Amérique latine pourraient en venir à la conclusion que la lutte armée est la seule voie pour parvenir à la justice économique, sociale et politique. Il y aurait donc non seulement résurgence de la lutte armée menée par des organisations se battant pour la justice sociale, mais également résurgence d’organisations violentes criminelles ne recherchant que leurs intérêts propres.

Nous percevons déjà ce processus dans l’augmentation dramatique de la violence criminelle en Amérique latine quand des individus et des gangs enracinés dans la pauvreté ont perdu la foi dans les processus démocratiques. Finalement, le résultat probable serait une plus grande quantité d’Etats inachevés dans la région, alors que les structures sociales seraient brisées, ce qui se produit déjà en Haïti et dans certains pays d’Afrique. Cependant, dans un tel scénario, ces groupes armés du sud globalisé recherchant la justice sociale trouveraient un surcroît de soutien parmi les peuples du nord globalisé. De ce point de vue, peut-être que l’entreprise de mode Fighters and Lovers est juste un peu en avance sur son temps.

http://www.colombiajournal.org/colombia226.htm