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Le monde après le pic pétrolier

Publie le lundi 30 octobre 2006 par Open-Publishing
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Le monde après le pic pétrolier

Lester R. Brown pour Earth Policy Institute
Le 08-09-2006 (Publié sur internet le 25-10-2006 )

Le pic pétrolier correspond au point à partir duquel la production de pétrole cessera d’augmenter et commencera son inévitable déclin à long-terme. Dans un contexte de croissance rapide de la demande, cela implique une augmentation des prix du pétrole.

[Traduction : Julie Bartoli pour Planète Urgence]

Même si la croissance de la production ne fait que ralentir ou stagner, la pression qui en résultera sur l’offre poussera le prix du pétrole à la hausse, mais moins rapidement.

Peu de pays prévoient actuellement de réduire leur utilisation de pétrole. Alors que le pic de production est peut-être imminent, la plupart des pays comptent sur une consommation de pétrole beaucoup plus importante dans les prochaines décennies et construisent des usines d’assemblage automobile, des routes, des autoroutes, des parkings et des lotissements de banlieue comme si le pétrole bon marché allait durer indéfiniment. De nouveaux avions de ligne sont livrés dans la perspective d’une expansion illimitée du transport aérien de passagers et de marchandises. Pourtant, dans un monde où la production de pétrole décline, ce n’est qu’aux dépends des autres qu’un pays peut en augmenter son utilisation.

Certains secteurs de l’économie mondiale seront plus touchés que d’autres simplement parce qu’ils utilisent les hydrocarbures de manière intensive. Parmi eux figurent
l’industrie automobile, l’industrie agro-alimentaire et le transport aérien. Les villes et les banlieues évolueront également sous la pression causée par la raréfaction des ressources pétrolières.

Des tensions se faisaient déjà sentir au sein de l’industrie automobile américaine avant que les prix pétroliers ne commencent à grimper au milieu de l’année 2004. Cette année, General Motors et Ford, dont les profits dépendent lourdement des ventes de SUV (sport-utility vehicles), gros consommateurs d’essence, ont vu l’agence Standard & Poor’s réviser leurs notes de crédit à la baisse, faisant passer leurs titres au statut d’obligations pourries. Si ce sont les constructeurs automobiles en difficulté qui font la une des journaux alors que le prix du pétrole augmente, les industries qui leur sont liées, comme les fabricants de pièces détachées et de pneus, seront aussi touchées.

Le secteur alimentaire sera affecté de deux façons. D’une part, la nourriture sera plus chère car des prix pétroliers plus élevés pousseront les coûts de production vers le haut. D’autre part, l’augmentation des prix du pétrole aura un impact sur les régimes alimentaires des populations qui devront descendre dans la chaîne alimentaire et consommer des produits locaux et de saison. Les régimes devront donc s’adapter aux aliments produits localement et deviendront plus saisonniers. Dans le même temps, une augmentation des prix pétroliers réorientera certaines ressources agricoles vers la production de carburants verts, que ce soit de l’éthanol ou du biodiesel. Ainsi, des prix pétroliers plus élevés poussent les automobilistes aisés et les consommateurs à faibles revenus à se faire concurrence pour les mêmes produits issus de l’agriculture, mais qu’ils utilisent à des fins différentes, présentant ainsi au monde une nouvelle question éthique complexe.

Les compagnies aériennes, tant pour le transport de passagers que de marchandises, continueront de souffrir de l’augmentation des prix du carburant puisque celui-ci représente leur coût opérationnel le plus important. Les projections de l’industrie ont beau montrer une croissance du transport aérien de passagers de 5% par an pour les dix prochaines années, cela semble très peu probable. Les billets d’avion bon marché pourraient bientôt appartenir au passé. Le fret aérien pourrait être encore plus durement, et peut-être même fatalement, touché. L’une des premières victimes de la hausse des prix du pétrole pourrait être l’utilisation de jumbo jets pour le transport de produits frais de l’hémisphère sud vers les pays industrialisés pendant l’hiver dans l’hémisphère nord. Le prix des produits frais hors saison pourrait bien devenir tout bonnement prohibitif.

Pendant le siècle du pétrole bon marché, une énorme infrastructure automobile a été construite dans les pays développés et son entretien nécessite de grandes quantités d’énergie. Les États-Unis par exemple ont 4,2 millions de kilomètres de chaussées, recouvertes d’asphalte en majorité, et 2,3 millions de kilomètres de routes non goudronnées à entretenir même si la production mondiale de pétrole vient à chuter.

Les villes modernes sont aussi un produit de l’ère du pétrole. Du temps des premières cités érigées en Mésopotamie il y a quelques 6000 ans jusqu’au début du XXème siècle, l’urbanisation était un processus lent et à peine perceptible. En 1900, quelques villes seulement comptaient plus d’un million d’habitants. Aujourd’hui, il y en a plus de 400, dont 20 rassemblent 10 millions de résidents ou plus. Le métabolisme des grandes villes repose sur la capacité à concentrer de vastes quantités de nourriture et de matériaux, et ensuite, à se débarrasser des déchets et des excréments humains. Avec la capacité et la portée limitées des véhicules attelés, il était difficile de créer de très grandes villes. Les camions roulant à l’essence bon marché ont tout changé. Alors que les villes ne cessent de s’étendre et que les décharges environnantes atteignent leur capacité maximale, les ordures ménagères doivent être transportées vers de nouveaux sites sur de plus longues distances. Si l’on considère la hausse des prix du pétrole et le fait que les décharges disponibles sont de plus en plus éloignées des villes, le coût de la gestion des déchets augmente également. À un certain point, beaucoup de produits jetables pourraient disparaître en raison du coût de leur rejet.

Si les grandes villes seront durement touchées par le déclin à venir de la production de pétrole, les banlieues le seront encore plus. Les habitants de banlieues mal conçues doivent non seulement tout importer, mais ils sont aussi souvent isolés géographiquement, loin de leurs emplois et des magasins. Ils doivent utiliser leur voiture pour se procurer la moindre denrée, comme du pain ou du lait. Les banlieues ont engendré une culture de trajet quotidien pour se rendre au travail, trajet qui prend près d’une heure par jour en moyenne aux États-Unis. Alors que les grandes villes européennes étaient déjà presque à maturité avant l’arrivée massive de l’automobile, le développement des grandes villes américaines, beaucoup plus jeunes, a été dicté par la voiture. Tandis qu’en Europe les limites de la ville sont généralement clairement définies et que les Européens ne convertissent pas des champs fertiles en lotissements sans rechigner, les Américains n’y voient pas d’objection car les terres arables ont longtemps été considérées comme excédentaires.

Ces étendues inesthétiques et décousues de banlieues et de centres commerciaux ne se voient pas qu’aux États-Unis. On les trouve en Amérique Latine, dans le sud-est asiatique et, de plus en plus, en Chine. En allant de Shanghai à Pékin en avion, on peut voir une ligne de bâtiments, habitations et usines se dessiner le long des nouvelles routes et autoroutes, en contraste total avec les villages serrés qui ont caractérisé le mode d’utilisation des terrains à usage d’habitation en Chine pendant des millénaires. Les centres commerciaux et les immenses magasins discount, symbolisés par le groupe Wal-Mart, ont tous été subventionnés par un pétrole à un prix artificiellement bas. Isolées par des prix pétroliers élevés, les banlieues pourraient s’avérer écologiquement et économiquement impossibles à soutenir.

Lors de la transition énergétique à venir, il y aura des gagnants et des perdants. Les pays qui ne se préparent pas pour l’avenir, qui traînent à investir dans des technologies plus rentables en termes d’utilisation du pétrole et dans des sources d’énergie nouvelles, pourraient connaître un déclin de leur niveau de vie. L’incapacité des gouvernements à gérer la transition énergétique pourrait engendrer une perte de confiance vis-à-vis des leaders politiques et mener à des états d’échec. Bien qu’il s’agisse sans doute d’une des grandes cassures de l’histoire de la civilisation, les responsables politiques nationaux semblent peu enclins à faire face à la diminution à venir de la production de pétrole et à s’y préparer. Les tendances que nous considérons comme acquises, telles que l’urbanisation et la globalisation, pourraient s’inverser presque du jour au lendemain lorsque le pétrole deviendra une denrée rare et coûteuse.

Les pays en voie de développement seront touchés deux fois plus durement quand leur population en expansion se combinera à une offre de pétrole en diminution pour réduire petit à petit le taux d’utilisation de pétrole par personne. Un tel déclin pourrait rapidement se traduire par une baisse des niveaux de vie. Si les États-Unis, le plus gros consommateur et importateur de pétrole du monde, peuvent réduire leur utilisation de pétrole de manière significative, ils pourront donner au monde du temps pour permettre une transition plus douce vers l’ère post-pétrolière.

http://www.infosdelaplanete.org/article.php?ID=1208

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