Accueil > Le peuple irakien est en train de s’unir
Le père Mekhail Nageeb, supérieur des Dominicains de l’Irak est en France pour 
quelques jours. Il repart la semaine prochaine, pour aider à construire
" Père Mekhail Nageeb, vous êtes hébergé en Alsace par celui que vous avez 
connu pendant vos études de théologie à Strasbourg, le père Rodolphe 
Vigneron, qui est un ami de l’Irak, où il se rend souvent. Pouvez-vous nous 
dire ce qui se passe chez vous, à Mossoul, dans le nord du pays ? "
Pendant les trois premiers mois de la présence américaine, c’était la lune de 
miel. Tout le monde voulait s’approcher des soldats américains. Ils venaient 
prier dans nos églises ou dans les mosquées, en laissant leurs armes à 
l’entrée. Personne n’y touchait ! Les gens ont beaucoup rêvé, et j’ai rêvé 
moi-même. Certains voulaient même devenir le 51e État américain ! Mais le 
rêve est retombé très vite. Les Américains se sont comportés en terrain 
conquis, ils ont humilié les chefs de tribus, les chefs religieux. Avec leurs 
casques, leurs lunettes noires et leur chewing-gum ils ressemblent à des 
extra-terrestres arrogants. Un homme meurtri par des années de dictature a 
besoin d’être mis en valeur et d’être aimé. Au lieu de cela les Américains 
n’ont montré que du mépris. Ils n’ont rien fait pour assurer la sécurité de la 
population, ni pour reconstruire le pays. J’ai personnellement enterré, juste 
avant mon départ, une famille de séminaristes qui venait d’être écrasée par 
un char américain qui n’avait pas réussi à freiner. Pour toute parole, les 
Américains ont dit : "sorry".
" Qu’aurait-il fallu faire ? "
Il aurait fallu mettre en place tout de suite un chef irakien qui aurait été le 
porte-parole direct du peuple. Un Américain ne peut pas diriger l’Irak. Le 
peuple a besoin d’un leader fort, un nouveau Saddam, libre, humain. Au lieu 
de s’abriter derrière un tel homme, les Américains ont mis en place un 
conseil provisoire. Quand les gens se sont rendus compte qu’il n’y avait pas 
de véritable pouvoir national, il ont commencé à s’agiter. Ce phénomène était 
un peu normal. Sous Saddam, personne ne pouvait bouger. Entre les 
différentes communautés, l’Irak était comme un volcan qui bouillonnait et 
Saddam était le couvercle. Les Américains ont ôté le couvercle, et tout a 
éclaté. L’Irak connaît depuis, sa crise d’identité.
" Est-ce forcément négatif ? "
Ce qui est négatif, c’est qu’on a changé un dictateur par une occupation qui 
ne vaut pas mieux qu’avant. L’Irak est même devenu beaucoup plus violent. A 
l’époque de Saddam, il y avait des assassinats, mais aujourd’hui la flaque de 
sang s’élargit. Elle est devenue nationale.
" Et Moqtada Sadr ? "
Depuis un mois, l’unité commence à naître, spécialement depuis que le 
peuple irakien a entendu une voix qui ressemble à celle de Saddam : celle 
d’un emblème, d’un homme qui crie fort. C’est Moqtada Sadr, que beaucoup 
considèrent comme un nouveau Khomeiny. La famille Sadr est très connue 
en Irak. Le fait qu’il soit chiite n’est pas le plus important. Les Irakiens sont 
prêts à s’unir derrière un symbole national, qu’il soit sunnite ou chiite.
" Que deviennent les chrétiens ? "
Ils représentent 3 % de la population. Ils ont d’abord été étroitement 
assimilés aux Américains, qui sont très majoritairement chrétiens. En outre, 
Bush a prononcé le mot de croisade qu’on a payé très cher. Deux grenades 
ont été lancées dans mon église, et j’ai dû demander aux soldats américains 
de ne plus venir y prier. Depuis un mois, deux courants contradictoires se 
font jour : d’un côté les comités religieux chrétiens commencent à dénoncer 
la violence américaine, notamment à Falloujah, ce qui rapproche les 
communautés. D’un autre, les fondamentalistes musulmans parlent de se 
servir des chrétiens comme monnaie d’échange. On entend dire que pour 
chaque mosquée attaquée par les Américains, il y aura une église attaquée 
par les musulmans. Ce serait une nouvelle tactique, comme les enlèvements 
d’étrangers…
" Quelles solutions préconisez-vous pour mettre fin au chaos ? "
Tout dépend des Américains. Veulent-ils un Irak calme ou durablement agité 
 ? Pour l’instant, on a l’impression qu’ils ont choisi la deuxième solution. La 
violence leur donne prétexte à rester sur place, voire à envoyer des troupes 
supplémentaires. L’encerclement de Najaf, qui est en quelque sorte la Meque 
des chiites, est très inquiétant. S’ils donnent l’assaut, ils risquent d’étendre 
le conflit à l’Iran et à la Syrie. S’ils faisaient le choix du retour au calme, il 
faudrait qu’ils se retranchent dans leurs bases. Mais je ne suis pas pour que 
les troupes internationales se retirent totalement d’Irak. Les Américains 
devraient laisser faire l’ONU et les pays musulmans. Le bon scénario serait 
que, dans un premier temps, les troupes d’occupation se replient. Il faut 
laisser les Irakiens retrouver la fierté de dire : "On a gagné", une phrase 
qu’ils n’ont pas pu prononcer depuis des années. Mais ensuite, il faut que des 
pays amis ou que les Nations Unies viennent assurer la sécurité.
" N’est-ce pas utopique ? "
Les intégristes sont minoritaires. Ils ne gagnent du terrain que dans le chaos 
et la violence. Aujourd’hui en Irak, je connais des responsables chrétiens et 
musulmans, de toutes tendances, qui travaillent ensemble. C’est à ces gens 
là qu’il faut donner leur chance, et c’est pour eux que je retourne en Irak.
Journal l’Alsace




