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Le silence brisé

par Denis Sieffert

Publie le jeudi 21 juillet 2016 par Denis Sieffert - Open-Publishing
9 commentaires

Que n’a-t-on entendu dans les jours qui ont suivi le massacre du 14-Juillet à Nice ? Rarement notre classe politique se sera montrée aussi médiocrement indécente.

C’est peu dire que les minutes de silence décrétées par l’État ne me passionnent pas. Mais comme tout le monde, ou presque, je les respecte. Et j’ai détesté les huées qui ont accueilli le Premier ministre venu à Nice rendre hommage aux victimes du massacre du 14-Juillet. Ce silence brisé en dit long sur l’état de notre société, ses lignes de fracture, et les forces qui rôdent, à l’affût du pouvoir. Il ne s’agit pas seulement du Front national. Plusieurs responsables de la droite ont donné d’eux-mêmes en ces circonstances une image pathétique. Bien sûr, chercher des coupables, croire que l’on aurait pu facilement arrêter le bras du crime, c’est humain. C’est sans doute une façon de se rebeller contre l’absurde et de surmonter notre sentiment d’impuissance devant tant de vies fauchées à l’heure de la plus grande insouciance. Mais ce discours n’est pas excusable quand il vient des politiques. On aperçoit trop les arrière-pensées.

Que n’a-t-on entendu dans les jours qui ont suivi le massacre ? Combien de Guantanamo construits par MM. Sarkozy et Ciotti ? Combien de lance-roquettes distribués par M. Guaino ? De compagnies de CRS créées par M. Estrosi ? Combien de perquisitions, de gardes à vue, d’emprisonnements préventifs, d’appels à la dénonciation, d’assignations à résidence, de rassemblements interdits ? La primaire à droite s’est invitée grossièrement sur une promenade des Anglais encore ensanglantée. Rarement notre classe politique se sera montrée aussi médiocrement indécente.

Il est vrai que les médias sont à l’affût. Les Latins disaient que « les grandes douleurs sont muettes ». Ils ne connaissaient pas BFM. Les politiques ne résistent pas à un micro qui se tend. Les médias audiovisuels croient devoir faire de l’antenne à proportion du tragique de l’événement. Mais que faire, que dire, que montrer quand on ne sait rien ? D’où une pénible hésitation entre compassion et voyeurisme, des redites, des supputations et des dérapages en série. Et ces invités qui défilent. Et ce général qui trouve inadmissible que l’on tolère un rassemblement sur la place de la République (il pensait sans aucun doute à Nuit debout) en plein état d’urgence. Et cet ancien porte-parole de l’armée israélienne, invité (de France Inter, hélas) à prodiguer ses conseils sécuritaires au peuple français. Daech et les Palestiniens dans le même sac du « terrorisme ». On est au comble du mauvais goût et de la provocation !

Contrairement à l’après-13 novembre, les jours qui ont suivi l’attentat de Nice ont montré une France agitée, prête à verser dans tous les excès. Inquiétante autant qu’inquiète. Est-ce la répétition des attentats ? Sans doute. Mais je ne suis pas loin de penser, comme Michel Wieviorka, que le climat politique hystérisé par notre Premier ministre tout au long des mois précédents, avec cette loi travail dont nos concitoyens ne veulent pas, n’est pas étranger à ce malaise. C’est un pays déjà terriblement fragilisé qui a reçu cet énorme choc.

Et puis, il y a les caractéristiques du crime et du criminel. Il est vrai que le profil du tueur a précipité les autorités dans un abîme de perplexité. Très vite, les motivations de ce personnage sont devenues un enjeu politique. Il fallait qu’il soit un « islamiste ». Mais ce Mohamed Lahouaiej Bouhlel ne rentrait pas vraiment dans les catégories de François Hollande et de Manuel Valls. On a noté, d’ailleurs, que le ministre de l’Intérieur s’est montré beaucoup plus prudent, et sans doute moins idéologue. Quant au procureur de la République, François Molins, il n’a pas eu la tâche facile quand il lui a fallu faire la synthèse de toutes ces caractérisations à l’emporte-pièce, et transformer ce psychotique, soudard, alcoolique, violent, bouffeur de cochon, délinquant, en un islamiste fanatisé. Bon an mal an, il y est parvenu en affirmant que le tueur manifestait un « intérêt certain » mais « récent » pour la « mouvance jihadiste radicale ». Et que, d’ailleurs, « il s’était fait pousser la barbe depuis huit jours ».

Entendons-nous bien : il est probable que le tueur s’est imprégné du discours jihadiste. Comme l’a noté le psychanalyste Gérard Haddad à propos d’autres cas, la volonté de sublimer le crime en le parant d’une « cause politique » est une hypothèse plausible. A-t-il agi pour Daech, sur ordre de Daech, ou inspiré par un site jihadiste que quelqu’un aurait conseillé à cet esprit malade ? On voit bien que nous sommes là dans une zone d’ombre que la raison a du mal à pénétrer. On ne sait pas. Ce que l’on sait en revanche, c’est que cette enquête est aussi une bataille idéologique. Les uns, Manuel Valls en tête, mais aussi Nicolas Sarkozy, veulent à tout prix « islamiser » le débat ; les autres veulent au contraire éloigner Daech de l’islam et des musulmans, et tenir ce groupe pour une secte étrangère à l’islam, comme l’analyse fort bien Jean-Pierre Filiu. Cet enjeu-là est un enjeu de société. L’ombre du Front national rôde derrière les tenants de la première thèse. La haine des musulmans et des Arabes peut s’y abreuver. Et l’état d’urgence, plus intrusif et inquisitorial que jamais, y trouve sa justification.

http://www.politis.fr/articles/2016/07/le-silence-brise-35139/?override=f96e2f38-4a73-4c22-b346-fcc14ad73f58

Messages

  • "... et tenir ce groupe pour une secte étrangère à l’islam"
    Oui et non.
    Oui parce que la très grande majorité des musulmans n’ont rien à voir avec Daech et même certains subissent leur tyrannie dans leur chère et leur vie quotidienne.
    Non parce que ceux qui sont à Daech (ou Al Quaïda ou ...) sont malgré tout des musulmans qui ont seulement une lecture intégriste du Coran. Ils ne sont pas étrangers donc à cette religion pas plus que les intégristes catholiques le sont de la religion catholique bien qu’ils n’y soient pas majoritaires.
    Ce qui compte c’est leur pouvoir de nuisance et pour cela ils utilisent le terrorisme intellectuelle et physique, pour marcher vers la société qu’ils veulent, basée sur la Charia.

    Question subsidiaire : est-ce à nous communistes de distribuer des certificats de bons ou mauvais musulmans ?

    • Evidemment le tueur de Nice avait quelque chose qui ne tournait pas rond (comme celui qui a poignardé une mère et ses trois filles dans le Dauphiné). Mais aurait-il eu idée de faire ça s’il n’y avait pas eu Daesh ?
      Il est exact que de son vivant Abd al Wahab (fondateur du wahabisme) était considéré comme un âne bâté par la quasi totalité des théologiens musulmans mais il a eu une "gloire" posthume, particulièrement en Arabie Saoudite (mais en effet ça concerne de loin les communistes).

  • Faire l’autruche en trouvant des causes psychologiques à des problèmes sociétaux ne nous fera pas avancer vers la paix. Plus que la droite, la gauche - par idéologie- a fermé les yeux sur le développement d’un communautarisme religieux quand elle ne l’a pas soutenu. cela au nom de nos idéaux humanistes. alors que cette gauche a longtemps été championne de la laïcité et de l’athéisme. L’opium du peuple n’a visiblement pas les mêmes causes et ni les mêmes effets pour tous. Il y a aussi , derrière certaines postures, des motivations plus inavouables , plus politiques et opportunistes que l’on paye cher. vous n’avez pas apprécié les huées qui ont accueilli valls ? Parce qu’elles ont été lancées par les fachos ? Mais pourquoi la gauche est restée muette alors que l’on sait que le régime a plus que de la mansuétude pour les groupes terroristes et ceux qui les soutiennent ? Il y a des attentats , un climat de guerre civile et j’en suis responsable, nous en sommes tous responsables et la suite risque d’être terrible. parce que les vérités ne sont ni bonnes à dire ni à vivre.

  • En guise de solution pour combattre ces salauds :

    http://www.vp-partisan.org/article1655.html

    A vos commentaires ....

    • Etre "Partisan" n’est pas synonyme d’objectif et de réalisme ; Je ne vois dans ce texte qu’une reconnaissance de la pratique religieuse et la condamnation de sa critique. C’est là notre erreur. Croire en une entité spirituelle, aux extra-terrestres, au père-noël ou aux promesses d’un politicard est un droit mais je regrette de voir trop de camarades défendre ceux qui y croient alors que ,justement, ils ne partagent pas notre vision de la société en raison de ces mêmes superstitions. même si celles-ci ne les rendent pas heureux et les font souffrir.

    • mais je regrette de voir trop de camarades défendre ceux qui y croient alors que ,justement, ils ne partagent pas notre vision de la société en raison de ces mêmes superstitions. même si celles-ci ne les rendent pas heureux et les font souffrir.

      Tu crois que la ligne de partage passe entre le travailleur athée et le travailleur croyant ?

      Moi plus le temps passe et plus je suis convaincu que la seule frontière importante est celle qui passe entre les classes, entre capital et travail. La seule qui peut à mes yeux justifier, dans certains contextes, la violence voire la guerre.

    • Bien entendu, je pense comme toi. Mais je sais aussi que d’autres pensent autrement avec la conviction d’avoir raison puisque c’est écrit dans les livres !!! Au temps de Marx, le prolétariat était déjà confronté aux mêmes adversaires ; les cul-bénis conservateurs et les exploiteurs libéraux. En ne faisant aucune concession aux premiers et en les affaiblissant, il a pu faire reculer les seconds. Pas en les aidants ou les ignorants. Enfin, je vois les choses comme ça,
      je n’en fais pas une...religion.

    • Evidemment, fondamentalement, la frontière est entre bourgeoisie et prolétariat. Mais cette frontière passe aussi entre le travailleur conscient et le travailleur islamiste, celui qui vote FN, hier le sympathisant du PPF ou du NSDAP en Allemagne, tant que ces travailleurs n’auront pas pris conscience.

    • Soutenir les volontaires internationalistes qui se battent aux côtés du peuple kurde, d’accord à 200%. Pour autant, même si on se doute bien que leurs motivations ne sont pas franchement internationalistes, on ne va pas pleurer si les aviations américaine, française, russe ou autres envoient quelques islamo-fascistes au baisodrome d’Allah. Seuls ceux qui connaissaient Le Capital par coeur avaient le droit de combattre le nazisme ?