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Les cobayes humains de l’ultralibéralisme : les intermittents

Publie le samedi 5 juillet 2003 par Open-Publishing
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Voilà donc cette fameuse catégorie sociale qui fait rêver tous les
industriels : des employés mobiles, travaillant au "coup par coup", sans
exigence de continuité d’emploi ou de retraite sérieuse, non indemnisés en
cas de maladie... Un statut qui permet de changer d’employé dès que
celui-ci
vous déplaît, vous contredit, vous résiste... Autant dire l’idéal !" Je
peux
très bien engager une américaine", me suis-je entendue répondre, après "les
jolies femmes n’ont jamais besoin d’argent", à l’Opéra de Nice (j’étais à
ce
point mal payée que la comptable s’y est trompée, multipliant mon cachet
par
cinq... retourné à l’expéditeur). "Une Reine de la Nuit ou une autre, pour
moi ça ne change rien" eus-je la tristesse d’entendre à l’Opéra de Lyon qui
empocha sans scrupule les droits d’une video que, jeune artiste, je leur
abandonnais malgré ma situation précaire. Mais bien sûr, le "privilège" de
cultiver un talent rare, ou de travailler avec ceux qui le cultivent,
justifie tous les sacrifices... Et tous les excès !

Réfléchissons pourtant. Aucun de ces "patrons" d’entreprise, aucun de ces
ministres généreux donateurs de leçons n’a jamais affronté pour lui-même la
terrible concurrence qu’affronte un musicien classique, par exemple. Les
compétitions internationales de jeunes artistes sont d’une difficulté sans
pitié, exigent des années de préparation, un régime de vie austère. On
aimerait voir M. Seillère comparé sur concours à tous les chefs
d’entreprises mondiaux, pour être sûr qu’il correspond personnellement, au
point de vue du rapport qualité/prix, au meilleur patron à choisir ?...

Envisageons le cas de Martin Bouygues, employeur de tant d’intermittents :
serait-il encore à la tête de TF1 après une telle compétition ?... Poussons
la logique de l’ultralibéralisme jusqu’au bout, et appliquons aux
ministres,
patrons et autres décideurs le principe de concurrence que vivent les
artistes : n’y-a-t’il pas en Russie, en Inde ou aux USA des ministres
meilleurs que ceux-ci, qui auraient l’avantage de coûter moins cher à
l’état
 ? !!! Payés au "coup par coup", contrat par contrat, loi par loi... Du
point
de vue de la rentabilité, cette économie nouvelle semble une nécessité
absolue. Comment justifier aujourd’hui une telle dépense pour le
portefeuille public ! Et tenons le même raisonnement que ces
messieurs-dames
ultralibéraux : après tout, le "privilège" de diriger l’état français exige
bien quelques sacrifices ! D’autant que ces mêmes donneurs de leçons
fustigeant rmistes ou intermittents du spectacle indociles, non contents de
n’avoir (comparativement aux artistes) aucune concurrence mondiale sérieuse
à affronter, exigent des garanties perpétuelles de sécurité personnelle :
primes de départ, retraites exorbitantes, stock options à foison, conseils
d’administration grassement payés. Aucun d’entre eux ne court, en réalité,
le moindre risque personnel important. Contrairement aux intermittents du
spectacle.

Concluons, françaises, français. Les patrons et ministres français exigent
des privilèges incompatibles avec la concurrence mondiale, et avec le
portefeuille public. L’état français, avec un déficit qui augmente tous les
jours, ne peut plus se permettre cet excès, qui dépasse largement le budget
des intermittents du spectacle. D’ailleurs un artiste, lui, crée des
richesses durables, qui peuvent rapporter pendant de nombreuses années, et
sur toute la planète ! Soyons cohérents, mesdames et messieurs les patrons
et ministres. Soit on exige l’ultralibéralisme pour tous, y compris pour
vous-même, soit on aide les intermittents du spectacle à donner le meilleur
d’eux-mêmes dans des conditions décentes, créant ainsi les conditions
indispensables à la qualité du travail... et à la confiance réciproque
qu’exige toute relation humaine, commerciale ou financière. Rappelons le :
on n’achète rien à un commerçant qu’on soupçonne de vous empoisonner.

Isabelle Sabrié, soprano.1er Prix du Conservatoire National Supérieur de
Musique de Paris 1992 Lauréate du Concours International de Verviers
1991Lauréate pour la France du Concours Mondial Placido Domingo 1994

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