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Les inspecteurs du travail contrôlent dans la peur
Publie le lundi 8 novembre 2004 par Open-PublishingAprès le meurtre début septembre en Dordogne de deux inspecteurs du travail abattus par un agriculteur, la tension ne cesse de monter lors des contrôles. Ces fonctionnaires se sentent abandonnés par leurs autorités de tutelle.
Plus de deux mois déjà. L’émotion reste intacte dans les rangs des inspecteurs du travail. Le désarroi aussi.
Deux mois que Daniel Buffière, 46 ans, et Sylvie Trémouille, 40 ans, ont été tués à coups de fusil par un agriculteur de Saussignac en Dordogne ce jeudi 2 septembre, abattus par balles au milieu des vignes et des pruniers lors d’un simple contrôle du travail. Incarcéré et mis en examen, leur meurtrier Gérard Dubiau avait été condamné il y a un an pour travail illégal, une infraction qui avait motivé ce nouveau contrôle. En pleine rentrée sociale, ce drame est devenu le symbole de la tension qui imprègne le monde du travail.
Des mesures insuffisantes. Au lendemain du drame en Dordogne, les inspecteurs s’étaient mis en grève, un mouvement provoqué par le traumatisme de ces meurtres, qui voulait aussi montrer que ces fonctionnaires avaient été choqués par les réactions jugées frileuses des ministres du gouvernement, Gérard Larcher (Travail), Jean-Louis Borloo (Cohésion sociale) et Hervé Gaymard (Agriculture). « Quand des policiers se font tuer, on entend le ministre de l’Intérieur défendre ses troupes avec plus de vigueur », lance un inspecteur, amer. Les propositions du ministre du Travail pour les rassurer, notamment la nomination de Jean Bessière pour une mission de réflexion sur ce métier, n’ont guère rassuré les fonctionnaires. « Nous n’attendons pas grand-chose de cette mission, note Sylvie Denoyer de l’Unas-CGT, ils veulent faire évoluer le statut des inspecteurs et non les relégitimer dans l’application d’un Code du travail protecteur des salariés. » La remise du rapport est prévue pour fin novembre.
Trop d’affaires classées sans suite. Le malaise qui gagne la profession s’explique en partie par les difficultés rencontrées sur le terrain. En 2002, sur les 15 775 procès-verbaux dressés par les inspecteurs, moins de 6 000 ont donné lieu à des condamnations ! « C’est une manière de décrédibiliser notre tâche », disent les inspecteurs. De surcroît, le Medef, syndicat des employeurs, se montre offensif sur sa volonté de réforme du Code du travail qu’il aimerait bien affaiblir. Certains membres du gouvernement se font parfois le relais de ce discours, inquiétant une partie de la profession malgré les récentes positions du président Chirac. Ce dernier se voulait rassurant lors de son annonce sur la loi de cohésion sociale. Déjà, il y a un an, les esprits s’étaient échauffés avec une proposition de loi déposée par 80 députés libéraux de l’UMP qui suggérait d’envoyer les inspecteurs en stage de découverte dans les entreprises, et souhaitait recentrer leur tâche uniquement sur le contrôle de l’hygiène et de la sécurité au travail. « Cette proposition de loi est-elle vraiment enterrée ? », s’inquiète Luc Béhal-Rainaldy, secrétaire général du SNU-TEF. Sur le terrain, on assiste ici ou là à des tentatives de contrôle, comme ces maires de Bourgogne qui avaient pris des arrêtés municipaux décrétant que les inspecteurs du travail ne pouvaient contrôler qu’en leur présence. Des arrêtés suspendus par la préfecture, mais qui en disent long sur le rapport de force auquel sont soumises les Directions départementales du travail.
Malaise interne. Le désarroi de la profession est également interne. Fonction régalienne de l’Etat, conçue il y a un siècle en plein essor de l’industrialisation, l’inspection du travail doit aujourd’hui s’adapter à la culture d’un nouveau droit européen, à des objectifs quantifiables et à l’évolution de la société. « Tous ces changements obligeront la profession à aller vers une pratique moins solitaire du métier, ce qui va à l’encontre de la culture des inspecteurs », analyse Claude-Emmanuel Triomphe, ancien inspecteur du travail et ex-président de l’association Villermé, club de réflexion sur ce métier. En attendant, le constat est là : les 1 730 agents de contrôles de l’Etat - 1 300 rattachés au ministère du Travail, 260 à l’Agriculture et 170 aux Transports - se sentent bien seuls.
Nelly Terrier
Le Parisien , dimanche 07 novembre 2004