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Les relations GMD-fournisseurs, côté face

par Fabrice Claude

Publie le mercredi 3 février 2016 par Fabrice Claude - Open-Publishing

Les scandales se suivent et ne se ressemblent pas pour les enseignes de GMD. Il semblerait en effet que les lasagnes de bœuf ne soient que la partie émergée de l’iceberg. Car en coulisses, les pratiques BtoB ne sont pas plus reluisantes. Les masquent tombent petit à petit et poussent les enseignes à toujours plus de précaution…et d’éthique. Enfin ?

Scandales : des dérives sanitaires

Les Etats-Unis ont eu leur « pink slime », du « bœuf » haché et assaisonné à l’ammoniaque (même Mac Donald y avait renoncé). Mais la France n’est pas épargnée par les dérives concernant la viande de bœuf, telle que dénoncées par Pierre Hinard, à l’origine de l’enquête judiciaire ouverte à l’encontre du groupe Castel Viandes. Dans son ouvrage « "Omerta sur la viande, les dérives de notre fameuse « VBF », l’ancien employé aujourd’hui reconverti en éleveur de vaches, revient sur la viande souillée : rôti javellisé, stocks périmés et remis en rayon…Des pratiques écœurantes qui n’ont pas eu l’air de déranger les GMD, satisfaites d’acheter de la viande à prix très compétitif. « Toutes les enseignes ne sont pas au même niveau, mais aucune n’ignore que ce risque est encouragé par leurs accords garantissant tacitement la reprise des stocks périmés », confie Pierre Hinard.

L’UFC-Que Choisir a également mis son nez derrière les linéaires des enseignes : steaks hachés fabriqués à partir de carton bouilli saturé d’arôme artificiel chez Leader Price, surimi Auchan contenant 95 % d’arêtes de poisson broyées provenant des résidus de pêcherie ! Auchan a d’ailleurs fait l’objet d’un scandale récent en Russie : de la viande de cheval, du bœuf et de la volaille ont été repérés dans de la farce censée être à base de porc, selon une agence sanitaire russe. Auchan a déjà été accusé d’utiliser de la volaille périmée dans des pizzas. Pas très regardant sur la qualité donc des produits négociés avec leurs fournisseurs !

…aux violations des droits humains

Au-delà de la dimension sanitaire, les enseignes GMD sont également épinglées pour leur manque d’éthique dans leurs relations avec leurs fournisseurs. En cette rentrée 2016, c’est Greenpeace qui tire la sonnette d’alarme en dénonçant les pratiques d’entreprises thaïlandaises qui exploitent des enfants, fuyant la Birmanie. « Les travailleurs sont enfermés dans des bâtiments jouxtant le site de travail. Ils ne peuvent pas s’échapper. Ils sont parfois battus. Ils n’ont aucune couverture médicale et les conditions d’hygiène sont atroces. Le coût d’une paire de gants et d’une paire de bottes, seule maigre protection, est retenu sur leur salaire » détaille Greenpeace qui précise que Thaï Union, la maison mère de Petit Navire, figure parmi les entreprises incriminées. Déjà en 2014, une enquête de The Guardian, révélant l’emploi de migrants réduits en esclavage dans l’industrie de la pêche, avait poussé Carrefour à suspendre temporairement ses relations avec des partenaires douteux. Et depuis ?

Banco sur l’évasion fiscale

Plus confidentiel mais pas moins scandaleux, les enseignes ferment souvent les yeux sur la transparence fiscale de leurs partenaires d’affaires. Ainsi, Michel-Edouard Leclerc, à la tête des enseignes Leclerc, n’hésite pas à dénoncer l’exil fiscal. « Moi-même, tout comme les adhérents d’E. Leclerc, nous revendiquons depuis longtemps notre attachement à la France et notre participation à son développement par les emplois que nous créons, les investissements que nous y réalisons… et les impôts que nous y payons », déclare-t-il. Monsieur Leclerc est-il au courant que certaines marques avec lesquelles il travaille ne partagent pas vraiment ses valeurs ? Du moins, en pratique comme c’est le cas pour la très « made in Bretagne » marque Saupiquet, rachetée en 2000 par Bolton Group. Star des rayons des GMD, Saupiquet est néanmoins détenue par un groupe (qui possède également Oral-B) dénoncé dans le cadre du scandale "Luxleaks".

Et la liste des produits « Luxleaks » présents dans le caddie est longue : gare aux produits Procter&Gamble (Lénor, Antikal, Swiffer entre autres) également. Les deux groupes profitent des largesses fiscales du Grand-Duché. Autre exemple, celui de Smartbox, le spécialiste des coffrets cadeaux qui se trouvent en bonne place dans certaines GMD qui en ont fait un produit ultra-désirable pour leurs clients. La « sucess story » Smartbox, cache en réalité un jeu assez opaque de filiales, créées en Irlande, bien connue pour sa douce fiscalité. Ainsi, Smartbox est détenue par une entreprise basée en France mais c’est une entreprise irlandaise, Smartbox Experience Ltd, qui l’exploite comme l’indique le site Societe.com.

Un sursaut éthique ?

Ces pratiques justifient-elles la guerre des prix ? Petit à petit les consciences se réveillent. Les « Chartes de bonnes pratiques » se multiplient car les enseignes ont bien compris qu’elles risquaient gros à ne pas être précautionneuses. Elles entendent rassurer le consommateur qui n’hésite plus à se détourner de certaines marques voire certaines enseignes. Dans un contexte post 2008 où les entreprises sont attendues au tournant et dénoncées au moindre faux pas, les GMD savent qu’elles n’ont plus vraiment le choix. Il y va tant de la santé des clients que de leur réputation et donc de leurs profits. D’autant que leur secteur ne jouit pas spécialement d’une bonne image. Les relations avec les fournisseurs sont pour le moins tendues si on en croit Jean-Claude Volot, ancien médiateur national des relations interentreprises, qui a épinglé la grande distribution. Et au moindre soupçon d’ethical washing, les réactions peuvent être virulentes, notamment parce qu’aujourd’hui, Internet permet une diffusion de l’information massive et instantanée.

Bercy a déjà mis son grain de sel dans la conduite des relations entre enseignes de distribution et fournisseurs et mis en place une mission indépendante chargée d’évaluer les conditions de la négociation commerciale. System U a été assigné par le Ministère pour « déséquilibre significatif ». Si Emmanuel Macron veille à ce que la guerre des prix ne vire pas au pugilat, se fera-t-il également le garant de l’éthique ? Un label « relations fournisseurs responsables » va voir le jour. Les critères pourraient intégrer des garanties concernant la probité des fournisseurs tant sur le plan fiscal que des droits humains. System U est pour l’heure le seul candidat mais Auchan a manifesté son intérêt pour cette démarche comme le précise son dirigeant Serge Papin. « Il est important de donner des signes forts à destination de nos fournisseurs. Nous pensons ensuite communiquer sur ce label auprès de nos consommateurs » a-t-il ajouté. Alors les GMD vont-elles réussir à redorer leur blason ?