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Les retraites public/privé

Publie le mercredi 24 octobre 2007 par Open-Publishing
7 commentaires

Un commentaire qui me paraît très intéressant concernant les retraites.
Pris sur :
 http://www.libelabo.fr/2007/10/18/%...

1.

DUPONT

Posté le 19 octobre 2007 à 0:38 | Permalien

Je me permets de poster cette réflexion d’un maître de conférence au sujet de “l’équité” entre les différents régimes … A méditer.
Torchons ? Ou serviettes ??
Un grand battage médiatique ne cesse actuellement d’opérer une comparaison entre le nombre d’annuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, avec 37,5 dans le public et 40 dans le privé et de déduire de ces deux chiffres que c’est inéquitable.

Mais personne ne pense à préciser que le même mot « annuité correspond à des réalités tellement différentes dans les deux régimes que la comparaison n’a guère de sens :

Autant donc ajouter des torchons et des serviettes !

Démonstration :

Nous avons tous appris à l’école qu’on n’ajoute pas des choux et des
carottes ou des torchons et des serviettes. Tout comptable sait que des comparaisons ne sont valables que si elles sont effectuées ” à
structure comparable “.

En tant que scientifique, j’ai le devoir, lorsque je compare deux données chiffrées, de commencer par vérifier qu’elles correspondent à la même réalité, par exemple elles sont exprimées dans la même unité.

Sinon, on peut faire dire absolument n’importe quoi aux chiffres.

Le mot ” annuité ” correspond en fait à un nombre issu de calculs totalement différents dans les deux régimes. En gros :
- Dans le public, le nombre d’annuités correspond au temps où l’on occupe effectivement un emploi, au prorata du temps de travail (ainsi,
1 an de travail à mi-temps donne une demi-annuité, 1 an à 80% donne 0,8 annuité, etc.).
- Dans le privé, c’est bien plus compliqué. Cela dépend d’abord des sommes perçues :

On valide, pour chaque année civile, un nombre de trimestres correspondant au salaire soumis à cotisations dans l’année.

C’est ainsi, pour prendre un exemple, qu’un cadre qui a travaillé 3 mois dans une année civile obtiendra une annuité entière (alors qu’un smicard qui a travaillé 3 mois n’obtiendra lui que 0,5 annuité : est-ce bien équitable ?).

De même, un an de travail à mi-temps compte pour une annuité complète. On rajoute ensuite certaines périodes non travaillées : chômage (en partie), congé parental (sous conditions), etc.

A cela s’ajoutent des bonifications qui diffèrent totalement entre les
deux régimes, dont la bonification pour enfant accordée aux mères (2
ans dans le privé, 1 dans le public)(1).

En résumé il est parfois plus ” facile ” d’obtenir des annuités dans le privé que dans le public.

Voilà un exemple qui montre bien les limites de cette comparaison.
Puisque les médias se sont fait l’écho de certains avantages
(oubliant les inconvénients) des femmes fonctionnaires mères de 3
enfants, prenons l’exemple d’une mère de 3 enfants qui décide de
travailler 8 ans à mi-temps pour les élever :

- Si elle est dans le privé, elle aura une bonification de 6
annuités et les 8 ans à mi-temps compteront pour huit annuités.

Pour obtenir une retraite à taux plein (40 annuités), il lui faudra donc obtenir 40-8-6, soit 26 annuités supplémentaires.

- Si elle est fonctionnaire, la bonification sera de 3 annuités et
les 8 ans à mi-temps compteront pour 4 annuités. Pour obtenir une
retraite à taux plein (37,5 annuités), il lui faudra travailler
effectivement 30,5 années à plein temps.
Est-ce bien équitable ?

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(1) Vous pensez peut-être que ce projet, qui se veut équitable, va
revenir sur cette différence ? Détrompez-vous : s’il instaure une
validation des périodes de congé parental, le projet supprime purement
et simplement la bonification d’un an des femmes fonctionnaires, pour
les enfants nés après le 1er janvier 2004 !

Mais la suite parait claire : s’il passe, vous entendrez dans quelques
années à la télévision : ” Dans le privé il y a une bonification de 2
ans par enfant qui n’existe pas pour les fonctionnaires, c’est
inéquitable “. Et on supprimera la bonification des mamans du privé !

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Tout cela pour dire que comparer le nombre d’annuités nécessaires
pour obtenir une retraite à taux plein dans les deux régimes et en
déduire que ce serait inéquitable car 37,5 est inférieur à 40 n’a aucun
sens et relève de l’imposture.

D’autant plus que la notion de ” retraite à taux plein ” n’a
strictement rien à voir entre les deux régimes et qu’on ne tient pas
compte des retraites complémentaires du privé !

Un jour où j’avais pris un énarque en flagrant délit de comparaison
de chiffres incomparables, il m’avait répondu : ” D’accord, mais vous,
vous vous intéressez au sujet. Pour les gens, il faut des idées simples
 !”.

Je ne voudrais pas que l’opinion publique soit convaincue que les
fonctionnaires seraient des privilégiés du simple fait que les médias
colportent une idée aussi simple qu’inexacte.

II n’empêche que cette stratégie de dresser le privé contre le public,
sur la base d’une ” idée simple ” permet de faire passer au second plan
certaines réalités.

Elle permet d’oublier que la réforme Balladur de 93, en augmentant
la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans (là on peut comparer les
données puisque c’est le même régime), mais surtout par l’introduction
de la décote et l’allongement de la période de référence, a déjà
diminué et surtout va encore dégrader fortement les retraites du privé.

Elle permet de faire passer au second plan que la réforme ne
concerne pas les seuls fonctionnaires, puisque l’on va passer pour
tous, de 40 annuités en 2008 à environ 42 en 2020. C’est faire oublier
un des principes de ce projet de loi, qui me pose personnellement
problème.

Alors que depuis le 19e siècle, l’augmentation de la richesse de la
France (et des pays riches) est allée de pair avec une diminution
phénoménale de la part de sa vie qu’une personne consacre à travailler,
le projet revient sur l’histoire, en décidant que désormais, sur une
vie, la proportion du temps consacrée au travail ne devra plus diminuer.

J’entends d’ailleurs tous les jours dans les médias des personnes me
dire sur un ton docte et péremptoire : ” il faut que les français
comprennent qu’il faut travailler plus “. Soit, ils ont peut-être
raison. Mais dans la mesure où une telle affirmation est contraire à ce
qui s’est passé dans les 150 dernières années, je considère, en tant
que scientifique, qu’ils doivent justifier leurs affirmations.

Or je n’ai jamais entendu personne me donner un véritable argument
selon lequel nous serions vraiment aujourd’hui dans une situation
nouvelle justifiant une inversion du phénomène historique, c’est-à-dire
une augmentation du temps de travail.

Elle permet de faire oublier que ce projet est un choix politique de
faire supporter aux seuls salariés actuels (pas aux employeurs ou à
l’impôt) le coût de l’augmentation de l’espérance de vie, en justifiant
cela par une nouvelle ” idée simple ” :

On nous répète qu’il n’y aurait pas d’autre choix, ce qui est bien sûr faux.
Surtout, cela permet d’occulter le fait que les inégalités au sein
du privé sont bien plus criantes qu’entre le privé et le public. Dans
le privé, tout va dépendre de la convention collective, de la taille de
l’entreprise ou encore du temps partiel subi ou choisi. Vaut-il mieux
être employé à temps partiel subi d’une PME du nettoyage ou à temps
plein d’une grande entreprise, avec un accord 35 heures, un CE et une
convention collective très favorables ?

Claude Danthony, Maître de conférences de mathématiques à l’École normale supérieure de Lyon.

Messages

  • Pas mal ces explications !

    Quant à l’opposition public-privé la ficelle est grosse, l’ennui c’est qu’elle n’est pas nouvelle et que ça marche encore. Al

  • Belle preuve par l’exemple que :

    1/. On fait dire ce qu’on veut aux chiffres... et comparer public & privé relève au mieux de la bêtise, au pire de la manipulation.

    2/. La casse des régimes spéciaux n’a pour seul objectif que d’aligner "à première vue" le(s) régime(s) de retraite du public sur celui du privé, pour ensuite aligner celui du privé sur le public etc... Les 2 régimes ne seront jamais comparés dans leur intégralité, seulement sur la base d’oppositions simplistes pour "choquer" l’opinion publique, et ainsi justifier le fait de rogner un coup un avantage d’un régime, un coup un avantage de l’autre, pour détruire petit à petit les retraites, qu’elles soient du public ou du privé et les réduire à peau de chagrin.

    3/. Je suis dans le privé, et pourtant je me bats pour essayer de faire comprendre autour de moi qu’il est absolument vital de non seulement préserver les acquis du public en matière de retraite, mais bien plus encore d’octroyer au privé les avantages du public ET réciproquement.

    Quant à la question désormais systématique du "qui financera ça ?" : allons chercher l’argent là où il se trouve, et si ceux qui l’ont confisqué ne veulent pas le rendre, reprenons par la lutte ce qui nous revient de droit.

    G.B.

  • Bravo et merci pour ce magnifique exposé qui va me permettre d’etre un peu plus armé pour combattre les tentatives de divisions de SARKO .

    Salut fraternel LE REBOURSIER

    • En partie, je connaissais...

      Et combien d’autres de même nature....

      Nous avions constaté au titre de l’impôt sur le revenu que cette année la déduction de 20% a disparu.

      Nous voulons acheter des chèques vacances....

      La base de référence est le revenu fiscal de référence à savoir la somme apparaissant sur la feuille d’imposition après retrait des 20%.

      Résultat cette année nous avons un revenu fiscal de référence supérieur de 6000 euros et donc, bien que nos ressources relèvent du bas de l’échelle, nous n’avons plus droit aux chèques vacances.

      Pourtant notre imposition est inférieure de 43 euros à celle de l’an passé !!!

      Galou des Landes

  • belle page qui ravit un esprit rigoureux et scientifique comme le mien, on se sent moins seul et en harmonie !

    hélas Sarko n’a pas retenu les mêmes modèles, trop compliqués pour son ego et son intelligence personnelle

    il faut néanmoins reconnaitre que ses concepts et raisonnements simplistes, voire révisionnistes (il arrange l’Histoire à sa manière !), sont largement payants puisqu’ils lui ont ouvert la voie du pouvoir, et comblent d’aise une majorité de français, médias et copains redevables (voir le CV de qqs ministres dont celui de X Bertrand !)

    sur ce sujet et bcp d’autres, on nage donc tristement dans le primaire, genre "petit pois dans la tête et gros muscles", que certains qualifient de courage ... les incultes ont voté ... désolation

    il y a encore du chemin à faire pour accèder à un nouveau siècle des lumières ! vive la résistance à la connerie ambiante !

  • « Soit, ils ont peut-être raison. Mais dans la mesure où une telle affirmation est contraire à ce qui s’est passé dans les 150 dernières années, je considère, en tant que scientifique, qu’ils doivent justifier leurs affirmations. »

    Une question pour l’auteur et scientifique :

    Depuis ces 150 dernières années, les dirigeants du monde occidental ont appliqué des politiques plus ou moins sociales démocrates, et ont fait bénéficier au populations des avancées sociales incontestables.

    Pensez vous réellement que ces avancées sont le fruit de la production de richesse interne, ou plus vraisemblemment sur le pillage des ressources des pays émergeants actuels. Ces pays qui eux désormais ont en partie repris leur destin en main.

    Ces nouvelles relations de géopolitique pourront elles encore et pour longtemps faire pérenniser des avancées sociales comme par le passé (d’ou est issue votre judicieuse réflexion).
    Car les problématiques de production, de richesse matérielles et tous les sujets c’y rattachant, devront dans les prochaines décennies etre ré étudies au mieux , dans le cas contraire notre environnement sera là pour nous le rappeler.

    Skapad