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Lèse-majesté en Thaïlande : la communauté internationale monte au créneau
Publie le mercredi 8 juin 2016 par Open-PublishingEn août 2015 déjà, l’Organisation des Nations unies se disait « consternée par les peines de prison scandaleusement disproportionnées prononcées au cours des derniers mois pour des cas de crime de lèse-majesté » en Thaïlande. Mais la situation ne s’est pas améliorée depuis et aujourd’hui, c’est au tour de l’association Human Rights Watch de dénoncer le « tournant scandaleux » pris par les militaires thaïlandais.
L’association s’est montrée particulièrement critique à l’égard du traitement réservé à la mère de l’un des opposants les plus connus de la junte thaïlandaise. Elle a été arrêtée début mai pour avoir écrit « ja », l’équivalent thaïlandais de « ouais », en réponse à des messages privés sur Facebook jugés insultants pour la famille royale. Or, pour Brad Adams, responsable Asie de l’association Human Rights Watch, « poursuivre quelqu’un pour une vague réponse à un message Facebook est le dernier scandaleux rebondissement de la junte en matière de lèse-majesté ».
Selon l’article 112 du code pénal, toute personne offensant le roi, la reine, l’héritier du roi ou le régent est passible de quinze ans d’emprisonnement pour chaque délit. Et les militaires, qui ont notamment justifié le coup d’État de 2014 par la nécessité de défendre la royauté, ont fait de la lutte contre le crime de lèse-majesté leur principal dogme. Aujourd’hui, n’importe quel Thaïlandais peut accuser n’importe quel autre de ce crime, et dans neuf cas sur dix les juges saisis prononcent des condamnations.
Si les réactions de la communauté internationale face aux abus de pouvoir en Thaïlande avaient jusqu’ici été timides, le vent commence enfin à tourner. Le 22 avril dernier, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, s’est déclaré inquiet du rôle croissant de l’armée au sein de l’administration civile thaïlandaise. Il a évoqué les nombreuses arrestations des défenseurs des droits humains et a condamné l’intensification de la répression contre toute critique à l’égard du gouvernement.
Dans la plus récente édition de son Examen périodique universel, un document diffusé ce mercredi 11 mai, le Conseil des droits de l’homme aux Nations unies affirme que « la répression militaire va trop loin en Thaïlande ». Le Conseil rappelle que la situation n’a pas cessé de se dégrader dans ce pays alors que les militaires avaient promis de mettre fin à des années de chaos. La répression continue et l’emprisonnement des opposants est plus que jamais à la mode. Les atteintes à la liberté d’expression et l’ingérence de la junte dans les réseaux sociaux deviennent insupportables pour la population, qui estime que les militaires n’ont pas leur place en politique.
Le Conseil des droits de l’homme aux Nations unies est catégorique : la junte doit lever la loi martiale et arrêter de juger les civils dans des tribunaux militaires. Le gouvernement de Bangkok doit se débarrasser de ses « stratégies d’oppression », en particulier de la loi sur le crime de lèse-majesté, utilisée « trop souvent » et dans le seul but de « faire taire les critiques contre les militaires ». Comme l’affirmait le Haut-Commissaire quelques semaines plus tôt, « étendre les pouvoirs de l’armée n’est pas la solution pour reconstruire le paysage politique de la Thaïlande. Au contraire, le pays a des institutions civiles compétentes et devrait chercher à renforcer l’Etat de droit et la bonne gouvernance, et non pas à les affaiblir ».
C’est également le souhait de l’opposition populaire, qui commence à nouveau à se faire entendre malgré la violente répression. Ainsi, des centaines de personnes ont eu le courage de manifester dimanche 22 mai à l’occasion du deuxième anniversaire du coup d’État. « Nous sommes ici pour que nos voix soient entendues par les gens qui dirigent ce pays et que nous ne reconnaissons pas », a déclaré un étudiant à l’AFP.
Les manifestants savaient pourtant qu’ils risquaient gros. Les dispositions prises depuis le coup d’État permettent au régime d’interdire tout rassemblement de plus de quatre personnes, et la police s’est jusqu’ici montrée prête à tout pour défendre l’image d’un pays unifié, sans divisions, ordonné et où règne l’harmonie sociale. Mais le régime commence malgré tout à se sentir faible, et ce pour deux raisons principales. D’un côté, la prospérité promise n’est toujours pas au rendez-vous. En 2014, la croissance thaïlandaise n’aura été que de 0,7 % contre plus de 5 % avant le coup d’État. D’un autre côté, les critiques se font de plus en plus sévères. Outre l’ONU, les États-Unis et l’Union européenne ont haussé le ton ces derniers mois.
Le régime a ainsi longuement hésité avant d’autoriser le rassemblement du 22 mai. Mais il a compris qu’une répression trop violente, à peine quelques jours après les critiques acerbes des principales associations et agences internationales, aurait été fatale pour son image. Il n’en fallait pas plus pour donner un nouvel élan à l’opposition. Même si la vague d’indignation à l’étranger a mis du temps à se lever, elle peut enfin redonner de l’espoir à une population qui n’a que trop souffert d’un pouvoir autoritaire, intransigeant et illégitime.