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Lettre ouverte d’un libraire au Directeur Editorial des éditions Agone

par samuel

Publie le mercredi 2 octobre 2013 par samuel - Open-Publishing
6 commentaires

Monsieur,

Je connais depuis longtemps les éditions Agone, dont vous êtes l’un des
fondateurs historiques.

Je vous ai rencontré quelquefois, et j’ai noué des relations avec des membres de
l’Association Agone, avec des ex-salariées et salariés des éditions. Simples relations
de travail à l’origine, elles sont devenues amicales au fil du temps.
Début 2012, j’ai remarqué la naissance d’un climat délétère dans l’Association
Agone comme dans les éditions – climat dont je n’avais pas pris toute la mesure.
En vertu des principes fermement affichés quant à la production de livres
critiques de la société contemporaine et aux conditions de cette production (sur le site Internet des éditions) et hautement revendiqués par vous-même dans votre livre La trahison des éditeurs ( Agone 2011) ou dans votre préface au livre de Michael Albert [1], depuis plus de dix ans, j’ai promu les éditions Agone dans ma librairie (vitrines, rencontres, commandes fermes et régulières des ouvrages du fonds) et je les ai recommandés à ma clientèle.

Aujourd’hui je m’interroge. Sans grande surprise, j’ai lu le texte (juillet 2013)
« Stratégies patronales aux éditions Agone » dans Alternative Libertaire, dans lequel deux anciens salariés dénoncent de graves manquements aux principes évoqués plus haut, et invoqués encore aujourd’hui par vous-même.

J’ai lu avec consternation votre réponse : « Agone, firme capitaliste ou collectif
éditorial et militant en crise ? »
, co-signée le 1er août 2013 par Denis Becquet, Alain Guénoche, Sylvain Laurens, Joëlle Metzger, Julian Mischi, Philippe Olivera, Étienne Penissat, Jean-Jacques Rosat, et Jacques Vialle, membres du bureau ou collaborateurs des éditions Agone en 2012 et 2013. Je relève ce passage en particulier : « Ces divergences portaient aussi sur les relations avec le monde intellectuel ou académique. Car Agone n’est pas un producteur de biens seulement matériels. Sa matière première reste des textes, qui ont, hélas, des origines sociales souvent prévisibles : petite et grande bourgeoisies intellectuelles, milieux militants, sphère académique, plus rarement mondes ouvriers. Ce constat doit être tiré jusqu’au bout : le métier d’éditeur suppose une connexion avec ces groupes sociaux pour accéder à la matière première dont sont faits les livres ». Pas de conflit social donc chez Agone,
seulement des « divergences sur l’organisation collective du travail » (paragraphe
précédent de votre réponse) « Ces divergences portaient aussi sur les relations avec
le monde intellectuel ou académique ». Dont acte. Remarquons cependant que sur
neuf co-signataires de votre réponse, six proviennent de la « sphère académique » :
Université de Marseille, EHESS, INRA, CNRS, Collège de France. Les trois autres
signatures témoigneraient-elles du « monde intellectuel » ?

Jusqu’au 24 septembre 2013, vous avez observé un long et étonnant silence
alors que sur les sites « Enoga », « De la gentrification des villes à la gentrification des luttes » et de la revue Marginales sont apparus des témoignages d’anciens salariés d’Agone qui pointent plus précisément encore les faits évoqués dans le texte « Stratégies patronales aux éditions Agone », puis d’autres contributions relatant les péripéties qui, à Marseille, ont marqué les journées du 19 et 20 septembre à propos d’une Assemblée Générale de l’Association Agone dont la date aurait été tout à coup déplacée alors qu’elle ne devait pas se tenir [2].

Il vous était pourtant loisible, avec les quelques relais dont vous disposez, de
vous exprimer.
Ce silence me fait penser à une triste et misérable affaire, dans l’ordre du
symbolique, où l’on vous voit, Monsieur le directeur éditorial, vous entourer peu à
peu d’une camarilla issue du « monde académique », spolier le travail collectif des
anciens salariés et membres de l’Association Agone, détourner le capital de sympathie que ce travail avait légitimement su créer autour de lui, dans l’espoir pathétique que chacun en tire quelques avantages dans l’ordre du réel (ne vaut-il pas mieux en effet voir son nom imprimé sur la couverture d’un livre des éditions Agone que dans une publication du département de sociologie de l’Université du Bas-Poitou ?).

Puis j’ai reçu le communiqué non signé du 24 septembre en provenance des
éditions Agone
. Expression de l’Association Agone, des éditions Agone, des dix cosignataires, du directeur éditorial ? Un texte curieusement rédigé, au ton extrêmement violent, jetant ses flèches en tout sens et faisant feu de tout bois, qui m’a permis de me poser d’autres questions.

Je me limite à six points :

1) « pressions auprès des collectifs militants associés à la maison d’édition »
propos qui conduit à s’interroger sur les différents liens entretenus par les éditions
Agone avec le CVUH, Survie (des collections ?), le Groupe Smolny (co-éditions ?), la revue Z (hébergement ?).

2) Deux versions sensiblement différentes de la proposition de démission du
directeur éditorial : « le directeur éditorial propose, en juin 2012, de se retirer au
profit d’une direction éditoriale collégiale composée des autres salariés. Cette
proposition est refusée et provoque les deux premiers départs. Une assemblée
générale des salariés et des directeurs de collection est convoquée en septembre, au
cours de laquelle le directeur éditorial réitère sa proposition de se retirer au profit
des salariés insatisfaits. Elle est de nouveau refusée. » (version 1),
« Pour rappel, en juin 2012, afin d’apaiser les désaccords, Thierry Discepolo avait
proposé de se retirer de ses fonctions de directeur éditorial pour laisser les autres
salariés assurer une direction collégiale. Les salariés ont repoussé cette proposition
puis, mis en minorité lors d’une réunion de l’ensemble des membres du collectif
éditorial d’Agone, ils ont fait le choix de quitter la maison d’édition (version 2),
Que penser de cette façon de « communiquer », où vous vous moquez de vos
lecteurs et des membres de l’Association Agone avec des formules aussi vagues
qu’imprécises ? Rappelons que la seule Assemblée Générale de 2012 s’est tenue en
juin, et non en septembre comme vous l’affirmez dans la version 1, et que cette AG
devient dans la version 2 « une réunion de l’ensemble des membres du collectif
éditorial d’Agone ».
Cette menace de démission, rappelée par vous et votre camarilla comme un
maître argument, n’aurait-elle été qu’un coup de bluff, un petit chantage très ficelle,
un prélude à l’entière reprise en main des éditions... par leur seul directeur éditorial ?

3) Conflits sociaux à Agone : néant. Mention de … « désaccords sur l’organisation
de travail ». Cependant, jusqu’à mi-juillet 2013, figurait sur la page Atheles des
éditions Agone ce passage : « dans la répartition des tâches, l’égalité des salaires au sein de l’équipe et le temps consacré à la réalisation des ouvrages, nous avons fait le pari de l’autogestion » qui a été modifié ainsi : « cette production est fondée sur la répartition des tâches, l’égalité des salaires au sein de l’équipe, le temps consacré à la réalisation des ouvrages. » Une « page » sans aucun doute « historique » [3] !

4) Caractère de plus en plus fantomatique de l’association, qui semble
composée, par ordre d’apparition dans le communiqué, du directeur éditorial,
d’auteurs édités par Agone, de collectifs militants associés à la maison d’édition, de
membres de l’association, de nouveaux salariés et enfin de salariés et bénévoles , - le
bureau de l’Association s’étant quant à lui volatilisé.
Les éditions Agone, sont, de droit et de fait, une émanation de l’Association
Agone, et sont chargées de publier selon les principes et directives fixés par
l’Association dont elles dépendent. Dans la réponse de dix co-signataires et dans le
communiqué, cette dépendance a disparu. C’est sans doute ici que l’on observe le plus nettement la prise en main totale des éditions par le directeur éditorial et sa camarilla. Auraient-ils livré leur dernière bataille le 21 septembre 2013, avec la tenue d’une Assemblée Générale fantoche d’une association fantomatique ?

5) « Quelles que soient ces vicissitudes, Agone continue ». C’est dorénavant en
rose que l’on verra l’avenir des éditions Agone, sans divergences ni conflits sociaux,
loin de l’épineuse question de la répartition des tâches, avec une équipe de choc, prête à réagir, par des expertises savantes faites en temps réel, à la condition des
travailleurs dans le secteur de la production des biens culturels, là où des
externalisations massives plongent les salariés dans la précarité
.

6) « Il n’est jamais agréable de voir d’anciens amis s’éloigner avec aigreur »
(réponse des dix co-signataires dans Alternative Libertaire), « crise douloureuse
traversée par Agone » (communiqué) : la douleur, partagée par l’ensemble des
membres de l’association et des salariés, se métamorphose en « aigreur » du seul côté des ex-salariés, des ratés probablement envieux de votre réussite et jaloux de vos neuf co-signataires d’un commerce agréable, eux, et toujours prompts à l’amitié.
Etonnantes assertions, destinées à réduire les antagonismes à une psychologie bas
budget : querelle de personnes, conflit de personnalités, cuisine interne.
Faut-il rappeler qu’en janvier 2013, sur une bonne quinzaine de salariées et de
salariés qui ont travaillé aux Editions Agone depuis leur création, il n’en est resté
qu’un, le directeur éditorial ?

Dans un processus qui s’accélère, deux salariées embauchées après janvier
2013, partent ensemble, suite à une procédure de « rupture conventionnelle »
entamée en juillet 2013.

Tous des ratés !! Toutes des aigries !!

Cette lettre ouverte, Monsieur le Directeur, n’appelle pas de réponse, elle est
destinée à la seule publicité. Elle a été rédigée par un libraire qui par son travail s’est
librement associé aux éditions Agone, lecteur fidèle, attentif et parfois critique de
leurs publications, dans l’espoir que l’Association Agone renoue avec les principes
qui l’ont fondée ; elle n’attend rien d’autre que votre démission d’un poste que
désormais vous usurpez.

Quant à la camarilla qui vous entoure, elle est par nature vouée à disparaître.

Brest, le 2 octobre 2013

Daniel Roignant,
bouquiniste et libraire


[1« Il nous semble impossible de porter sans se mentir un projet de transformation sociale si l’on n’est pas persuadé que les moyens constituent le premier stade d’expérimentation de nos fins. » Préface de Thierry Discepolo in : Michael Albert. Après le capitalisme, Agone, 2003, p. 22.

[2Une relation de ces évènements burlesques dans un style approprié...

Messages

  • Cette situation rappelle celle de Val et de Charlie Hebdo. Les petits chefs, les censeurs, les magouilleurs, ne se trouvent pas qu’à droite.

  • A l’attention de l’auteur de cette lettre :
    J’ai été, comme beaucoup, destinataire de cette lettre ouverte.
    Je pense qu’il eût été fort honnête, dans le cadre d’un débat que l’on souhaite le plus transparent possible, de préciser que vous êtes le père d’une ancienne salariée d’Agone, elle-même impliquée dans le conflit actuel.
    Bien cordialement
    Un fidèle lecteur bien triste de tout ce déploiement de mauvaise foi.

    • De qui faut-il avoir honte ?

      Cher Guillermo Palermo, Agone est une association qui a des statuts. Les membres historiques de l’association (et qui ont contribués à construire son catalogue) ne se reconnaissent plus dans un projet pilotés par un menteur professionnel et patron (c’est la même chose non ?) qui se permet donc de virer tous ses salariés parce qu’ils s’opposent à ses choix et refusent de passer tous leur temps à célébrer un ouvrage, mauvais, mais dont le titre était prémonitoire : La Trahison des éditeurs !. Nous demandons à la justice d’annuler l’AG illégale puisque le président Alain Guénoche qui est le seul garant de ces derniers n’a pas convoqué les membres (mais oui Dice, on peut être membre d’une association sans y être ton serviteur !) qui cette fois-ci l’avait expressément demandé ! On peut aussi visionner, une version hilarante de « la bataille contre l’Étoile noire » pour mieux comprendre de quoi Agone est le nom...

      Pour le reste le communiqué de « l’Empire contre attaque » est un tissu de mensonge et on peut lire, ICI, un récit bien plus fidèle de cette fameuse journée du 20 septembre 2013 où les directeurs de collections et intellectuels de droite qui "collaborent" avec les éditions Agone (Sylvain Laurens - EHESS, Etienne Pénissat - CNRS, Julian Mischi -INRA, Philippe Olivera, Jean-Jacques Rosat - Collège de France) se sont définitivement ridiculisés aux yeux des "gens normaux" que nous sommes ...

      A bientôt devant le juge, messieurs les (faux) intellectuels sans courage ni vergogne, incapable de prendre position dans le conflit qui oppose un patron et ses salariés (voir le blog des ex-salariés) !

      PS : le fait que le libraire qui dénonce les actes malveillants d’un éditeur-traitre soit le père d’une traductrice exploitée par le Directeur Éditorial devrait au contraire vous donner à penser que ce qui se dit ici sans neutralité est sûrement assez proche de la vérité ! A moins que cette accusation soit seulement le signe de votre propre mauvaise foi et de votre volonté justement de ne pas ouvrir ce débat "le plus transparent possible"...

      Note sur le Dice (Directeur Inique du Commerce Éditorial) : surnom affectueux donné à Thierry Discepolo par ses employé-e-s...

    • Cher monsieur,
      Merci pour votre message.
      Je suis hélas cette histoire de très près. Je ne suis pas de mauvaise foi mais, comme vous, attristé de l’évolution de cette affaire.
      Je ne pense pas malheureusement que le fait d’être père d’une ancienne traductrice de chez Agone confère à ce monsieur davantage de lucidité ; c’est un peu le BA-BA de la justice. Ca s’appelle un conflit d’intérêt.
      Par ailleurs, je note que, contrairement à bellaciao, le responsable du site ENOGA n’a pas validé mon commentaire qui était pourtant exactement le même. Là encore, le rapport à la transparence me pose question.
      Et une dernière fois, vous m’en voyez fort attristé.
      Bien cordialement

    • A l’attention de la camarilla :

      Je ne réponds pas à des pseudonymes ; pour le dire dans votre style, cela manque de traçabilité.
      Je ne réponds pas non plus à des questions que l’on croirait sorties d’une chronique d’Alain Duhamel : conflit d’intérêt, transparence, débat ; j’ai bientôt 62 ans et je n’ai pas l’intention d’entrer dans un monde, le vôtre, qui n’a jamais été le mien.

      Daniel Roignant, bouquiniste et libraire à Brest

    • Cher Yacine Dakhli. Tu permets que je t’appelle par ton nom ? Car comme à la conférence de presse où tu es venu tu t’es présenté de la même façon "un fidèle lecteur" et que je ne pense pas qu’il y ait d’autres "fidèles lecteurs qui suivent l’affaire de très près"...

      Très près, c’est le cas de le dire. Lorsque ta soeur a soutenu sa thèse, elle a organisé une fête... chez Thierry Discepolo. Et il me revient que tu habites, ou que tu vas habiter dans l’appart au-dessus. Comme locataire de Thierry Discepolo, comme Jacques Vialle, membre du bureau lui locataire de l’appart mitoyen ? (A se demander comment l’égalité salariale permet d’acheter autant d’apparts...)

      Tu es agrégé de mathématiques. Tu es donc payé par le contribuable pour une charge de cours très légère d’autant plus que le programme ne change quand même pas si souvent. Et que fais-tu de cette position privilégiée ? Tu mènes l’action pédagogique et syndicale si nécessaire pour transformer le système éducatif, au moins à l’échelle de ton établissement, pour lutter contre les fatalismes de la Reproduction et/ou les réformes néolibérales qui vont accentuer les inégalités scolaires ?

      Non.

      Tu fais de la veille internet pour défendre les intérêts de ton copain en tapant sur les gens qu’il a exploités. Avec l’argent public.

      Si près... Tu sais que seule la décence m’interdit de préciser jusqu’où cette proximité a pu ou peut aller dans le cadre de certaines pratiques sociales qui vous sont chères.

      En tout bien tout honneur

      Le Peintre du Champ
      http://marseille2008.no-vox.org