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Lettre ouverte de l’OEE au ministre de l’intérieur suite à l’arrêt CEDH, AM c. France

par Ligue des droits de l’Homme

Publie le mardi 2 août 2016 par Ligue des droits de l’Homme - Open-Publishing

Suite à l’arrêt A.M. c/ France rendu le 12 juillet dernier par la CEDH
http://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2016/08/AFFAIRE-A.M.-c.-FRANCE.pdf
condamnant la France en raison de l’insuffisance du contrôle de la rétention opéré
par le juge administratif, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (oEE) s’est
adressé au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, dans une lettre ouverte
http://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2016/08/OEE-lettre-%C3%A0-Cazeneuve-suite-arr%C3%AAt-A-M-c-France.pdf
que vous trouverez ci-dessous.

— 

Paris, le 25 juillet 2016

Monsieur le ministre,

Par un arrêt A.M. c/ France (Requête n° 56324/13) rendu ce 12 juillet, la Cour
européenne des droits de l’Homme a jugé que le recours devant le juge administratif
ouvert par la législation française aux étrangers placés en rétention dans le cadre
des procédures d’éloignement ne constitue pas un recours effectif au sens de
l’article 5 § 4 de la Convention. La Cour a ainsi considéré que le requérant avait
subi une violation du droit, consacré par cet article, de faire statuer à bref délai
sur sa détention. Pour ce faire, la Cour a constaté l’insuffisance du contrôle de la
rétention opéré par le juge administratif en ce qu’il ne se reconnaît pas compétent
pour contrôler la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à
celle-ci, notamment les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’interpellation
de la personne étrangère[1]
.

Vous savez également qu’aux termes de la législation actuellement en vigueur le
contrôle de « la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à
celle-ci » appartient au juge des libertés et de la détention (JLD), lequel
n’intervient qu’à l’issue d’un délai de cinq jours à compter du placement en
rétention et sur la saisine de l’autorité administrative. Ce sont donc les
dispositions de la loi du 16 juin 2011 repoussant ce contrôle, auparavant exercé
dans les quarante-huit heures, à cinq jours – et l’inversion de l’ordre des
contrôles du juge judiciaire et du juge administratif qui en est résulté – qui sont
en l’espèce condamnés par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Il aura fallu près de quatre années pour que votre gouvernement et les
parlementaires preniez finalement le parti de faire corriger, dans la loi du 7 mars
2016, ces dispositions dénoncées dès l’origine et avec force par nos organisations.
Tirant par avance les leçons de cette décision de la CEDH, le législateur a en effet
rétabli le délai de 48 heures pour la saisine du JLD et unifié le contentieux de la
rétention entre ses mains. Il a toutefois retardé l’entrée en vigueur de ces
dispositions au 1er novembre prochain, de sorte que les trop nombreuses personnes
qui seront placées et maintenues en rétention jusqu’à cette date ne bénéficieront
toujours pas d’un recours effectif et seront retenues au mépris des prescriptions de
la Convention européenne, le contrôle opéré par le juge administratif restant
insuffisant et celui opéré par le juge judiciaire, lorsqu’il est saisi, restant
tardif.

Vous avez toutefois le moyen de prendre immédiatement en compte cette décision de la
Cour européenne des droits de l’Homme qui s’impose afin que partout en France soit
respecté le droit fondamental à un recours effectif. Il vous suffit de donner
instruction aux préfets, lorsqu’ils envisagent de prolonger une mesure de rétention,
de saisir les JLD dans un délai de 48 heures – et non plus de cinq jours – pour
tenir compte de la décision de la Cour de Strasbourg et cela, dès maintenant, sans
attendre la date du 1er novembre.

Les organisations membres de l’OEE vous demandent en conséquence de prendre sans
délai les dispositions propres à éviter que des mesures d’enfermement répétées
soient prises en violation de ces engagements.

Pour l’Observatoire de l’enfermement des étrangers,
Patrick Henriot
Secrétaire national du Syndicat de la magistrature
12-14 rue Charles Fourier
75013 Paris

Organisations membres de l’OEE : Association Nationale d’Assistance aux Frontières
pour les Étrangers (Anafé) ; Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture
(ACAT) ; Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers (ADDE) ; Comité pour la
santé des exilés (Comede) ; Droits d’Urgence ; Fédération des associations de
solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s (FASTI) ; Groupe d’Information et de
Soutien des Immigré.e.s (GISTI) ; Groupement Étudiant National d’Enseignement aux
Personnes Incarcérées (Genepi) ; La Cimade ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ;
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) ; Observatoire
du CRA de Palaiseau ; Revue Pratiques ; Syndicat de la Magistrature (SM) ; Syndicat
de la Médecine Générale (SMG) ;Syndicat des Avocats de France (SAF).


[1] 42. En l’espèce, la privation de liberté du requérant a débuté au moment où ce
dernier a été interpellé par les forces de l’ordre et s’est poursuivie par son
placement en rétention pour s’achever lorsqu’il a été renvoyé. La Cour observe
cependant que le juge administratif saisi, comme en l’espèce, d’un recours contre un
arrêté de placement en rétention, n’a le pouvoir que de vérifier la compétence de
l’auteur de cette décision ainsi que la motivation de celle-ci, et de s’assurer de
la nécessité du placement en rétention. Il n’a, en revanche, pas compétence pour
contrôler la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à
celle-ci (voir la partie « Droit interne pertinent »). Notamment, il ne peut
contrôler les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’interpellation de
l’étranger. Ce faisant, il n’est pas en mesure de contrôler que les modalités de
l’interpellation ayant conduit à la rétention sont conformes au droit interne ainsi
qu’au but de l’article 5 qui est de protéger l’individu contre l’arbitraire (voir
Čonka, précité). La Cour estime en conséquence qu’un tel contrôle est trop limité au
regard des exigences de l’article 5 § 4 dans le cadre d’une privation de liberté
relevant de l’article 5 § 1 f).43. Eu égard à ce qui précède, elle considère que le
requérant n’a pas bénéficié d’un recours au sens de l’article 5 § 4 de la
Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.