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Lisons Toffler !

par Samuel Beaudoin Guzzo

Publie le mercredi 6 novembre 2013 par Samuel Beaudoin Guzzo - Open-Publishing

Publié pour la première fois en anglais sous le titre Future shock en 1970 puis en français sous le titre Le choc du futur en 1971, cette œuvre du sociologue, écrivain, journaliste et futurologue (!) américain Alvin Toffler (1928-) est un classique qui a grandement contribué à appréhender les importants changements sociaux de la fin du 20e siècle et qui a eu une influence significative dans le domaine social, politique et culturel. Le titre du livre renvoie à l’intuition de l’auteur selon laquelle le changement accéléré de la société contemporaine mène à une situation de crise, chez les individus, résultant d’une trop forte demande d’adaptation dans un trop court laps de temps. Cette interrogation sur la limite de la capacité d’adaptation des humains concerne en effet les sentiments de vertige, d’anxiété, de désorientation et parfois de dépression occasionnés chez des individus dans une réalité sociale plongeant de plus en plus vite dans l’avenir.

Ce « mal du changement » auquel Toffler s’intéresse, c’est-à-dire le « choc du futur » comprend trois vecteurs fondamentaux. Il y a d’abord la prégnance de l’éphémère dans nos relations avec les choses, les lieux, les gens, les institutions, les organisations et les informations. Par la suite, la hausse du niveau de la nouveauté dans les sciences, les relations sociales, le marché et les structures familiales constitue le deuxième facteur générant une exigence de réagir rapidement face à des situations toujours nouvelles et imprévisibles, ce qui renforce le sentiment d’incertitude et de confusion chez les individus pour ainsi dire forcés à s’adapter à un univers de sens sans cesse plus chaotique et mouvant. Enfin, nous retrouvons la diversité qui renvoie non seulement à la diversification des modes de vie et aux remplacements accélérés des produits du marché, mais plus généralement à la multiplication des choix personnels revenant désormais à l’individu le menant tendanciellement à un état d’épuisement et de paralysie en raison de la surabondance d’options possibles. Cette dimension du choc du futur que représente la diversité implique par ailleurs la question de l’individualisation et du volontarisme des repères identitaires « à la carte » risquant non seulement de favoriser le sectarisme et le repli sur soi, mais également de causer une éclipse de l’horizon social commun reposant sur la recherche de consensus impliquant un décentrement de son identité particulière.

Dans Le choc du futur, Toffler nous propose des suggestions audacieuses et des intuitions stimulantes – a posteriori parfois utopiques et loufoques par moment – visant à endiguer et modeler le flot du changement. L’objectif de Toffler est d’apprendre à appréhender le futur afin de ne pas se laisser emporter par le tourbillon kaléidoscopique de l’accélération sociale, de la surstimulation et du bombardement d’informations qui sont selon lui à la source même des sentiments d’étourdissement et de stress vécus par les individus. La démarche qu’il propose se focalise sur la souffrance vécue par l’individu, mais elle implique également un ensemble de stratégies collectives afin de limiter les dégâts de l’éphémère dans nos relations sociales et d’insuffler de la stabilité et de la continuité dans les rapports que nous entretenons avec nous-mêmes, ainsi que le monde social et politique qui nous entoure. Maîtriser l’évolution technologique, prendre conscience de la dimension environnementale du développement, se responsabiliser face aux générations futures, bref penser à long terme en planifiant plus humainement et en s’orientant sur les besoins réels et les « buts communs » de l’humanité ; tels sont les avenues que Toffler nous invite à prendre afin de tempérer la course ambiante au changement ininterrompu.

Sommes toute, la vision tofflerienne est optimiste, mais demeure fortement critique de la réalité contemporaine ainsi que de ses diverses dérives vers des relations de plus en plus courtes et vers une accélération effrénée du rythme de vie. À cet effet, le futur constitue pour Toffler un instrument conceptuel pertinent permettant de mieux faire face à l’avenir en puisant dans les ressources imaginatives et intuitives d’une humanité, selon lui, capable d’établir des prédictions et ainsi contrôler le flot du changement perpétuel qui menace son équilibre. Pour le dire avec Toffler, « [c]e n’est qu’en faisant [des] prévisions, en les définissant, en les discutant, en les rendant systématiques et en les remettant constamment à jour, que nous pourrons en déduire la nature du bagage cognitif et affectif qui sera nécessaire aux hommes de demain pour survivre à l’évolution accélérée. » (Le choc du futur, Denoël, Paris, 1971, p.382) Une telle démarche de prévision implique une incertitude radicale face à l’avenir, mais il est clair que le processus de discussion collective qu’elle implique, en raison de sa forme démocratique, aurait une influence sur la réalité sociale et sur le changement permanent qui la caractérise. Une telle démarche est d’une pertinence certaine à l’heure actuelle où la quasi-majorité des intuitions et hypothèses de Toffler dans Le choc du futur se trouvent, à mon avis, vérifiées. Souvent oublié, Alvin Toffler est selon moi un des plus importants penseurs de la société de la fin du 20e et du début du 21e siècle. Nous ne sommes pas démunis face à l’avenir, l’engagement pour le changement est individuellement et collectivement à notre portée. Lisons Toffler !

L’auteur réside au Québec et se dirige vers l’enseignement de la sociologie au niveau collégial. Il s’intéresse particulièrement aux enjeux auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines notamment en ce qui a trait à la reconnaissance sociale, au dialogue culturel ainsi qu’aux conditions de la démocratie et de la justice sociale.