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Loi Travail : pourquoi Force ouvrière joue le jeu du gouvernement

par Thibault Lambert et Sophie Fay

Publie le jeudi 24 août 2017 par Thibault Lambert et Sophie Fay - Open-Publishing
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Opposé à la loi El Khomri en 2016, le syndicat se montre aujourd’hui conciliant pour l’avenir et pour sa survie.

Cest un revirement qui en a surpris plus d’un. Alors qu’il doit rencontrer ce jeudi 24 août la ministre du Travail pour le dernier tour de concertation sur la réforme du Code du Travail, le secrétaire général de Force ouvrière Jean-Claude Mailly est optimiste.

Alors que la loi, qui sera appliquée par ordonnances et que les derniers arbitrages ne seront rendus publics que le 31 août, il maintient que "tout n’est pas écrit d’avance, nous pouvons encore peser", a-t-il déclaré mardi 22 août sur France-Inter. Bien loin de l’opposition frontale dans laquelle il se trouvait en 2016 face à une loi El Khomri à l’inspiration pourtant similaire, FO se maintient à la table des négociations. Le secrétaire général se veut constructif :
"Je les sens ouverts à la discussion."

"Nous avons été entendus"

Jean-Claude Mailly affirme avoir été entendu sur ses lignes rouges. Principalement des mesures qui réduiraient le poids syndical dans les accords professionnels. La principale mesure portait sur la possibilité de négocier un accord d’entreprise sans les syndicats. Là où le gouvernement veut appliquer cette mesure automatiquement aux entreprises de moins de 300 salariés, FO réclame qu’elle ne concerne que les entreprises de moins de 50 salariés.

Pourquoi ce seuil ? D’abord parce que le taux de syndicalisation dans ces entreprises est très faible, et que FO y est très peu implanté. Ensuite parce que le syndicat estime que les entreprises de plus de 50 salariés disposent normalement de délégués syndicaux. Ce qui n’était pas forcément vrai selon l’étude la plus récente du ministère du Travail, où 53% des entreprises de 50 à 99 n’avaient pas de délégués syndicaux en 2013. Enfin, le seuil des 300 salariés risquerait de nuire à la vocation syndicale : s’il est possible pour l’employeur de mener une négociation sans syndicat, pourquoi y adhérer ?

S’accrocher aux branches

Les prérogatives des branches sont également au cœur des inquiétudes de M. Mailly. Car si le syndicat est mal implanté dans les entreprises, il est présent dans les négociations par secteur. Ainsi, une baisse des prérogatives attribuées aux branches pour les transférer directement aux entreprises (ce que Jean-Claude Mailly avait nommé l’"inversion de la hiérarchie des normes"), affaiblirait le poids de FO.

Michel Baugas, secrétaire confédéral de FO chargé de l’emploi, qui a participé aux négociations se montre catégorique :

"Nous avons demandé que la gestion prévisionnelle de l’emploi soit un point des négociations de branche. Nous voulons qu’il y ait une vraie politique de l’emploi par secteur et menée dans l’entreprise. Nous avons été écoutés."

Le syndicat a été rassuré par la hausse des indemnités légales de licenciement, demandée par les partenaires sociaux. En revanche, le plancher et le plafonnement des dommages et intérêts prud’homaux en cas de licenciement "sans raison sérieuse", ne semblent plus constituer un casus belli. À dire vrai, ces arbitrages ne seront toujours pas connus aujourd’hui par le syndicat, et il se pourrait même que ce soit Emmanuel Macron qui tranche au dernier moment.

Tout ce qu’espèrent les syndicats, c’est un plafond haut pour voir la protection des salariés confortée si un licenciement abusif est avéré. De son côté, FO estime avoir déjà obtenu l’écartement des cas de licenciement discriminatoire du barème. "C’est très difficile à démontrer que la salarié a réellement été victime de discrimination. Ca n’arrive que dans le cas où l’employeur dit ouvertement ’sale noir’ ou ’sale PD’, ce qui est très rare… ", lui rétorque Marc Hébert, délégué syndical FO dans le Finistère.

Complicités aubristes

Jean-Claude Mailly a plusieurs raisons de ne claquer la porte trop tôt. Il connaît bien la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Tous deux ont évolué dans les cercles de aubristes au début des années 1990. La ministre est entrée au cabinet de l’ancienne ministre en 1991. Le syndicaliste est un ami de longue date de Martine Aubry – il est d’ailleurs toujours membre du Parti socialiste. Entre le secrétaire général et la locataire de la rue de Grenelle, le dialogue est direct. Difficile pour l’une de duper l’autre, surtout lorsque Muriel Pénicaud lui assure qu’elle veut rédiger les ordonnances avec la réaction des syndicats.

Ces pourparlers sans fioritures sont facilités par la présence de Stéphane Lardy. L’ancien négociateur pilier de FO est aujourd’hui membre du cabinet de Muriel Pénicaud, nommé conseiller chargé de la formation, de l’apprentissage et de la pénibilité. Cette courroie de transmission entre les deux connaît trop bien la situation du syndicat : menacé si l’on touche aux prérogatives des branches et obligé à une synthèse peu aisée. Longtemps vu comme le successeur de Mailly, son réformisme affiché lui avait d’ailleurs mis à dos la mouvance trotskyste et coûté son élection.

Une synthèse loin d’être aisée qui expose Jean-Claude Mailly aux critiques les plus virulentes, surtout dans l’aile gauche du syndicat. On lui reproche de se croire en position de négocier alors même que l’exécutif a les coudées franches et l’horizon dégagé pour faire passer la réforme. "Il prend en otage toute l’organisation. Mais il sait aussi que les gens ne vont pas se retourner contre lui. Il y a une autocensure passive, il est très isolé. […] En négociant dans la deuxième loi Travail, il a validé la première", affirme Marc Hébert depuis sa fédération bretonne qui a déjà appelé à rejoindre la CGT le 12 septembre.

Stratégie à long terme

Chez les négociateurs, on ne veut pas rééditer les erreurs de la première loi Travail. "Jean-Claude Mailly joue un grand rôle. Notre position actuelle a été discutée en bureau confédéral. Nous avons tiré les conséquences de la loi El Khomri où nous avions peu pesé sur le texte. Cette fois-ci, nous avons décidé à l’unanimité de rentrer entièrement dans la concertation", affirme Michel Beaugas. Tout en affirmant que FO à les cartes en main pour pencher la balance. Sans lui dans la rue, la CGT est isolée. À l’inverse, comme l’aime à le répéter Mailly :

"Si la situation se tend, ce sera avec tous les syndicats, même la CFDT."

"Il me semble plus juste de penser que le gouvernement n’est pas allé aussi loin qu’il le voulait. Mais pas grâce à Jean-Claude Mailly, plutôt pour pour éviter la naissance d’un front protestataire", analyse Stéphane Sirot, professeur d’histoire à l’université de Cergy-Pontoise, spécialiste du syndicalisme. Avant de poursuivre :

" L’argument de Jean-Claude Mailly qui consiste à dire ’je vais négocier pour essayer de sauver le maximum’ est assez fréquent dans la rhétorique syndicale : c’est prétendre que pouvoir politique présente une loi qui va très loin, pour faire croire qu’on a réussi à la diminuer."

Si le mandat de Jean-Claude Mailly, qui n’est pas candidat à la propre succession, est dans huit mois, les négociateurs pensent sur long terme. Après la loi Travail, le gouvernement ouvrira dès le 20 septembre les dossiers de la réforme de l’assurance chômage puis celle de la formation professionnelle. Deux dossiers cruciaux pour FO qui entend préserver le paritarisme dans les instances de décisions (un nombre égal de représentants des employés et des employeurs). "Là aussi, nous irons à la concertation. Ce qui n’aurait pas été possible si on avait bloqué tout de suite sur les ordonnances", conclut Michel Beaugas. FO ne veut pas insulter l’avenir.

http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20170823.OBS3720/loi-travail-pourquoi-force-ouvriere-joue-le-jeu-du-gouvernement.html

Portfolio

Messages

  • La classe capitaliste a plus d’un tour dans son sac . Un jour c’est le tour de la CFDT et de Mr Berger de collaborer avec le patronat et le MEDEF , aujourd’hui c’est le tour de Mr Mailly .

    La CGT était reçue hier après-midi au ministère du Travail pour évoquer les ordonnances .
    La CGT est sur les rails de la mobilisation et elle prépare déjà une rentrée combative.

  • Ah ! Le soupçon de corruption quand il nous tient ? La conscience de l’intérêt des exploités peut se laisser violer par l’envie de l’individualisme, appâté par le fric corrompu . Tout le monde ne peut pas faire le choix de l’Humanisme de Jean Jaurès ! Surtout à l’instant où surgissent les monstres cherchant du renfort même inattendu, pour tenter la survie du capitalisme dans sa crise qui n’en fini pas ! Heureusement de toujours des Humanistes de sont levés et demain se lèveront encore !