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MON QUARTIER A L’HEURE DU MARECHAL

Publie le vendredi 20 mai 2005 par Open-Publishing
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Ça a commencé environ un mois avant le ramadan. Un troupeau de CRS, en
tenue de combat a fait une descente musclée pour arrêter un jeune dans
l’HLM familial. C’était un mercredi, en plein après-midi. Il faisait
beau. Tous les gamins du quartier de Reynerie (Toulouse-le-Mirail)
étaient dehors. Ils ont assisté au bouclage de l’immeuble, à son
invasion par une horde policière. Ils ont vu la mère et la petite sœur
(un mètre vingt) conduites violemment au commissariat, ils ont su que
tout ça, s’était pour une peccadille... Ça a failli tourner à l’émeute
et ça a troublé en profondeur le quartier, qui était plutôt paisible à
ce moment là.

Pour une fois, même les adultes se sont sentis visés par cette agression
policière disproportionnée. Il y a eu une réaction collective et
largement spontanée. Dès le lendemain, nous étions cent cinquante ou
deux cents place Abbal, pour protester publiquement et dénoncer les
violences policières. Et nous avons été quelques dizaines, pendant les
semaines qui ont suivi à nous réunir pour parler des problèmes du
quartier et essayer de faire émerger des solidarités entre les
générations, entre des habitants aux origines très diverses.

Malgré cette volonté de vivre en paix entre nous, les provocations
policières n’ont pas cessé, enclenchant un cycle de révoltes (voitures
brûlées, caillassages, ...) et de répression (contrôles intempestifs,
arrestations, charges de CRS...).

Hautement symbolique est de ce point de vue la charge de CRS, précédée
de tirs de grenades lacrymogènes, du jour de Noël. Il était environ 17
heures et la cible était un groupe d’enfants de 12 ou 13 ans qui
jouaient rue de Kiev.

Mais tout ça, ce n’était qu’un début. Une sorte d’entrée en matière.
Depuis deux mois, au Mirail comme dans vingt-quatre autres quartiers
étiquetés "à mater" répartis dans toute la France, nous vivons comme
sous le Maréchal Pétain. C’est le terme qui est venu spontanément à la
bouche du plus âgé d’entre nous. C’est vrai qu’il flotte sur le quartier
comme un petit parfum d’occupation. Comment la police crée des zones de
non-droit.

Le prétexte de cet abus de pouvoir a été largement médiatisé : C’est
qu’il existerait des "zones de non-droit", où la police "ne pourrait
même pas entrer" et dans lesquelles se dérouleraient des "trafics".

Au Mirail -et sûrement dans les autres quartiers concernés- ce prétexte
est parfaitement ridicule.

Comment peut-on en effet affirmer que la police ne "pourrait même pas
entrer", alors qu’il y a un gros commissariat, flambant neuf, en plein
milieu du grand Mirail, entre Reynerie et Bellefontaine, et des postes
de police un peu partout ? La police n’a pas besoin d’entrer : elle est
chez nous en permanence ! Notons au passage que, pour nous convaincre de
l’utilité de ce commissariat (mis en chantier à la suite du meurtre du
jeune Habib par un policier, avec l’appui de tous les partis
politiques), on nous avait expliqué qu’après sa construction, ce serait
"la fin des violences" et le retour à une vie paisible. Depuis, nous
avons le commissariat, les nuisances qui vont avec et moins de
tranquillité que jamais.

Quant à la "zone de non-droit", parlons-en. Mais comme il faut : un des
droits les plus élémentaires est celui d’aller et de venir. Librement.
Quand nous partons de chez nous ou que nous y revenons après le travail,
nous traversons, selon les jours, deux, parfois trois barrages filtrants
de police. Le quartier est cerné, bouclé. Toutes les voies d’accès sont
obstruées. Jour et nuit. Des groupes de policiers sont également
installés à l’intérieur du quartier. D’un barrage, on aperçoit le
suivant, pour peu qu’on soit en droite ligne. Il y a parfois moins de
deux cent mètres entre deux barrages.

Bien sûr, comme le disait mon voisin -qui, à la quatrième fouille a
changé d’avis-, "pourquoi s’inquiéter, si on n’a rien à se reprocher ?".
Pourquoi s’inquiéter ? Parce que, traverser ces barrages, c’est
s’exposer à être arrêté, devoir exhiber ses papiers (gare au moindre
oubli !), être obligé de laisser fouiller son véhicule, avoir à en
descendre pour être palpé sur tout son corps par des mains pas vraiment
tendres. C’est subir la suspicion, entendre des ricanements et des
commentaires... C’est perdre beaucoup de temps et être véritablement
humilié.

Quand on ne peut pas sortir de chez soi sans subir ce traitement
plusieurs fois par semaine, on vit effectivement dans une zone de
non-droit Un non-droit créé de toutes pièces par la police et la justice.

En ce qui concerne les fameux "trafics", nous pouvons être tout aussi
clairs : en fouillant les véhicules et les poches, oui, les CRS ont
certainement trouvé des barrettes de cannabis, quelques téléphones et
auto-radios dérobés, d’autres choses du même niveau. Ils ont peut être
mis la main sur des véhicules volés. Mais, ils pourront fouiller le
quartier de fond en comble, ils n’y trouveront pas des trafiquants
d’appartements de 600 m², ni des abuseurs de bien sociaux, ni des
pilleurs de fonds publics, ni tous ceux qui ont profité des “services”
de Patrice Alègre. Tous ceux là vivent ailleurs, loin des contrôles.
Protégés par les contrôles.
Stratégie de la tension

On l’aura compris, c’est à une véritable stratégie de la tension que se
livre le pouvoir, avec, comme toujours dans ce cas, deux grands résultats.

Le premier, c’est qu’on enferme les habitants dans leur quartier, dans
leur bloc d’immeuble, dans un véritable ghetto. On hésite à aller au
cinéma, parce qu’on sait qu’on devra se farcir deux barrages de CRS,
dans la nuit, pour revenir à la maison. Donc, on reste sur place. Vos
amies hésitent à venir vous voir. On les comprend : elles n’ont pas
envie de subir une palpation appuyée à l’un ou l’autre des barrages
policiers. Les contacts avec le monde extérieur se restreignent.

A l’intérieur même du quartier, les gens deviennent plus stressés. C’est
étudié pour. Un exemple, vécu ce samedi 26 mars, pendant le week-end
pascal. Tout est calme, l’un de nous prend la voiture pour aller en
ville. Il n’a pas franchi la frontière du quartier qu’une estafette de
CRS, lancée à fond, le double, pile devant lui tandis que deux autres
arrivent par derrière, et trois ou quatre par chacune des rues
adjacentes. Le voici cerné d’une dizaine d’estafettes. Qu’a-t-il fait ?
C’est la guerre ? Non, d’ailleurs, ils ne s’occupent pas de lui, et,
tandis qu’il zigzague pour se dégager, des flics bondissent de leurs
estafettes, tout équipés de boucliers, d’armes de tir et se lancent sur
un talus en direction d’un immeuble. Quelques minutes plus tard quand il
revient, il n’y a plus rien. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette
démonstration abusive de force ? Nous n’en saurons jamais rien. Mais,
sans être particulièrement émotif, risquer d’être pris, à tout moment,
dans une ambiance de western, c’est pour le moins stressant. Beaucoup
d’habitants ne supportent plus ça, en particulier les personnes âgées,
encore nombreuses dans le quartier.

Enfermement dans un espace restreint, poussées organisées d’angoisse,
c’est la recette pour provoquer la monté des intégrismes. Nous avions
déjà des petites filles voilées. Grâce à la politique de Villepin, en
moins de deux mois, nous avons vu dans le quartier les premiers garçons
aller au collège en djellaba. Et depuis quelques jours, il y a des
écoliers, qui, quand l’instit veut leur apprendre une chanson, mettent
sur la table une plaquette indiquant qu’un musulman ne chante pas et
refusent d’ouvrir la bouche. Ces résultats ont été obtenus, bien sûr, au
nom des "valeurs de la République", et ils ne feront que s’épanouir si
ça continue.

Le deuxième résultat, c’est d’engraisser la machine à réprimer. Le
contrôle permanent et tatillon, les démonstrations de force sur un fond
de misère sont autant de provocations qui entraînent des réactions, des
"passages à l’acte" individuels ou en groupe. Il arrive qu’un habitant
craque et "réponde" à un flic, quand il est contrôlé pour l’énième fois
de la journée. Il arrive que la colère fasse flamber des poubelles, des
voitures (parfois à quelques mètres seulement d’un barrage policier)...
Tout cela est prétexte à de nouveaux contrôles, à plus de pression, à
des humiliations, à des arrestations ... et cela recommence. L’État
voudrait provoquer de nouvelles émeutes au Mirail qu’il ne s’y prendrait
pas autrement. Jour après jour, cela devient une évidence.
Combien ça coûte ?

Pour quel résultat ?

Autre aspect à ne pas négliger : cette opération coûte fort cher. Mais
le pouvoir, si prompt à faire des économies sur le dos des travailleurs,
se garde bien de donner le moindre chiffre. Des centaines de CRS,
d’officiers de la Bac, de RG, de policiers de tous ordres sont en
permanence sur le quartier. Outre des salaires grassouillets (voir les
dépliants de propagande au commissariat de Bellefontaine), tout ce petit
monde touche des primes de nuit, de week-end, de risque... sans compter
ce que coûte l’entretien de leur équipement. Le total est
obligatoirement faramineux.

Quant au résultat ? Par rapport à l’objectif affiché (avoir un quartier
calme), il est nul. Nous vivons une des périodes de plus fortes tensions
de ces dix dernières années. L’argent dépensé l’est donc en dépit du bon
sens. A moins que l’objectif affiché ne soit pas l’objectif poursuivi,
évidemment.
Ne nous trompons pas d’ennemi.
Coincés entre la stratégie de la tension étatique, le repli identitaire
des uns et la sottise des autres (dont le dernier avatar national est
l’appel "contre le racisme anti-blanc"), la voie n’est pas large. Mais,
comme ils l’ont fait précédemment, les militants anarcho-syndicalistes
du quartier appellent la population à ne pas se tromper d’ennemi.

Nous disons et nous continuerons à dire inlassablement par tous nos
moyens que notre ennemi, ce n’est pas notre voisin, avec lequel nous
partageons la même misère. Nos vrais ennemis, ce sont ceux qui nous
humilient. Qui nous exploitent quand ça leur rapporte et qui nous
licencient dès que ça les arrange. Qui augmentent les loyers, l’eau. Qui
nous expulsent quand on ne peut plus payer. Qui diminuent les budgets
sociaux. Qui ne nous laissent d’autre espoir que d’être parqués dans un
ghetto. Alors, ne nous trompons pas. Même si c’est plus difficile que
jamais, respectons-nous les uns les autres, soyons solidaires et
continuons à agir pour construire un autre futur.

Les habitants CNT-AIT du Mirail.

http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=1093

Messages

  • Putain, on dirait Brazil, votre situation... Si c’est vraiment comme ça, ça serait peut-être sympa qu’on vienne vous délivrer !...
    Incroyable ! Au pays des droits de l’homme... Ils sont tous devenus complètement fous : on dirait qu’ils aiment jouer avec les nerfs de tout le monde : les travailleurs, les chômeurs, les artistes, les chercheurs, les retraités, les étrangers, les écoliers, les étudiants, les enseignants, les couvertures sociales (loi Douste sur la sécu, loi Borloo pour le boulot)... et j’en passe. On dirait qu’ils jouent comme avec des pantins, comme si ils faisaient des expériences sociales sur les animaux de laboratoire que nous serions devenus, tous manipulés et pressurisés... Bah dis donc, je ne pensais pas qu’on en était là, mais si on rassemble tout ça avec les objectifs des lois Sarkozy (sécurité intérieure, 2003), Perben (2003-2004), Villepin (projets pour 2007 : la carte à puce dans le cul généralisée, obligatoire et payante pour décliner désormais son indentité), libéralisation des transports (m’ame Idrac pour la Ratp, Barrot et Gallois pour la SNCF), la disparition progressive et actuellement accélérée des services publics, on se dit qu’on nage dans une bien médiocre "politique" décadente.
    C’est marrant, il parait qu’il flotte en France, depuis quelques semaines, des énervements citoyens...
    La mouche du coche