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MUSÉES EUROPÉENS : Doivent-ils restituer le butin ?

Publie le samedi 24 octobre 2009 par Open-Publishing

Qui vole un boeuf n’a que faire d’un oeuf.

(Proverbe corse)

Une question récurrente, la provenance des collections des musées européens, qui fait toujours débat. Dernièrement, l’Egypte a demandé à la France la restitution de pièces archéologiques. On se souvient que le Musée du Quai Branly des « arts premiers » a été inauguré le 20 juin 2006. Les musées des anciennes puissances coloniales ont été constitués en grande partie grâce à des pillages systématiques des anciennes colonies. Lors de l’inauguration, le président Chirac fit un discours remarquable. Ambivalence de ce beau discours, ce musée qui se veut une vitrine de l’altérité, interdit aux colonisés spoliés - pour cause de visa Schengen, excluant naturellement les anciens colonisés- qui souhaitent venir au moins contempler leurs biens multiformes qui leur ont été volées avec la terreur en prime. Qui va, en définitive, contempler le génie des peuples colonisés ? Des touristes américains ? polonais ? hongrois et autres bulgares, qui ne connaissent pas la symbolique voire la violence de chaque oeuvre volée. Pourquoi pas ceux à qui on ferme la porte du supermarché planétaire constitué, plus généralement par l’Europe sur le dos de leur sueur, de leurs larmes.

Cet aspect « positif » de la colonisation pour la Métropole, nous conduit à nous interroger sur l’origine et la provenance du fonds des collections. Cette question de fond est toujours épineuse et maintes fois remise en jeu dans les polémiques : quand les uns parlent de pillage et de spoliation, les autres défendent l’idée de sauvegarde et de mémoire. Si chaque objet exposé pouvait parler, il raconterait une douleur, une violence, un déni de non -droit à ses possesseurs. Ainsi, au Louvre, qui renferme des dizaines de milliers d’objets qui ont chacun une histoire, nous trouvons à titre d’exemple : les Antiquités orientales, avec plus de 100.000 numéros. Cela va d’une tête d’épingle aux taureaux de Khorsabad, d’un tesson de fouilles au Code d’Hammourabi emprunté à l’Irak. Les textes bien gravés sont en général stéréotypés. Parmi les milliers de tablettes d’argile, les tablettes cunéiformes. On y trouve des textes sur le commerce, des hymnes aux dieux, des codes de lois antérieurs à celui d’Hammourabi. Et puis, c’est le mythe de la création de l’homme. (1)

Pour Aminata Traore, ancienne ministre de la Culture du Mali, les musées sont en fait, les résumés des rapines et des butins de guerre des anciennes puissances coloniales. Ecoutons-la : « Les oeuvres d’art, qui sont aujourd’hui à l’honneur au Musée du Quai Branly, appartiennent d’abord et avant tout aux peuples déshérités. A l’heure où le Musée du Quai Branly ouvre ses portes au public, je continue de me demander jusqu’où iront les puissants de ce monde dans l’arrogance et le viol de notre imaginaire. Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un profond et douloureux paradoxe, à partir du moment où la quasi-totalité des Africains, des Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent et la créativité sont célébres, n’en franchiront jamais le seuil compte tenu de la loi sur l’immigration choisie. » (2)

Pour Jack Lang, le Louvre a une vocation universelle, il doit se délocaliser pour le rayonnement de la France. C’était à l’occasion de l’accord pour le Louvre d’Abou Dhabi, pour 1 milliard de dollars... A ce prix, les Arabes contempleront les rapines de la France coloniale. Pour Jack Lang, il existe un Louvre sans frontières, un Louvre « hors le Palais » qui s’identifie à la France, à son patrimoine, à son histoire, mais aussi à son éclat, à ses missions de diffusion du savoir. Le Louvre a sa place à Paris, à Lens, à Atlanta, à Abou Dhabi, partout où on l’accueillera. Comme dans tous les pays qui ont une histoire militaire et coloniale, les collections des musées français n’ont pas toujours été acquises de manière exemplaire. (...) »(3) Qu’en termes pudiques, ces choses- là sont dites : en une phrase il évacue le passé colonial de la France pour ne « retenir » que le butin….

« Quel statut donner, écrit l’écrivain Hassan Musa, à des milliers d’objets ordinaires qui se sont accumulés dans les réserves des musées, sans signalement et sans classification ? Les musées européens sont remplis de toutes sortes d’objets de provenances extra-européennes. Ces objets sont des témoins de l’histoire des relations entre les Européens et les autres. (...) Comme tout objet, les artefacts africains s’obtiennent par le don, l’échange, l’achat ou le vol (à main armée souvent). (...)La plus « belle » histoire de vol d’objets africains reste celle du « vol du Kono » de Kéméni en 1931. C’est une version ethnologique d’un « vol à l’étalage », avec profanation de lieux de culte et association de malfaiteurs, commis par des personnages emblématiques de l’histoire de l’ethnologie européenne. Michel Leiris, dans L’Afrique fantôme, raconte comment, avec Marcel Griaule, ils se sont introduits, contre la volonté des villageois, dans la case rituelle du Kono (un masque sacrificiel) et comment ils ont volé des objets du culte sous le regard des villageois ébahis : « Griaule et moi demandons que les hommes aillent chercher le Kono. Tout le monde refusant, nous y allons nous-mêmes, emballons l’objet saint dans la bâche et sortons comme des voleurs, cependant que le chef affolé s’enfuit.[...] » (4)

« Que faire donc des cadavres africains dans les placards des musées européens ? Quand je dis « cadavres africains » dans les placards des musées européens, ce n’est pas de la rhétorique. On y trouve également des hommes et des femmes africains empaillés pour le plaisir du public des musées. Pendant des années, les visiteurs du Musée de l’ Homme à Paris pouvaient contempler le corps empaillé de Saartje Baartman, dite « Vénus Hottentote », en guise de témoins de la spécificité raciale africaine. À la fin de l’Apartheid, les autorités sud-africaines ont pu récupérer le corps de Baartman pour l’enterrer. Si les corps des Africains peuvent être exposés dans les vitrines des musées européens pendant des dizaines d’années sans que cela ne trouble personne, c’est tout simplement parce que ce petit monde de l’ethno-muséologie européenne s’est constitué sur de solides consensus racistes. Peut-être conviendrait-il de les laisser là où ils sont comme pièce à conviction pour un futur procès de « Vérité et Réconciliation » entre les peuples afin de réparer les dommages causés par la modernité du capital, non seulement en Afrique, mais dans le monde tout entier.(4)

Dans le même ordre d’idée, il serait vain de chercher la tête de Boubaghla qui avait porté la révolte contre les Français si on sait d’après le docteur Reboud « quelle fut coupée et conservée, elle fait partie des riches collections du muséum de Paris »(5).

On se souvient aussi des remous provoqués par la vente le 25 février 2009 de deux statuettes chinoises en bronze de la collection Yves Saint-Laurent-Pierre Bergé. Deux têtes d’animaux en bronze, un rat et un lapin, provenant de l’ancien Palais d’été de Pékin, devraient être mises en vente par Christie’s. Comble de cynisme, Pierre Bergé « le réceleur », donne à la Chine des leçons de démocratie. « Je serais prêt à les offrir au gouvernement chinois s’il s’engageait en échange à respecter les droits de l’homme ».

A propos justement du sac du Palais d’été, Amcarron écrit : « Rendra-t-on un jour aux peuples que nous avons envahis les chefs-d’oeuvre que nous leur avons volés ? Que seraient le British Museum, le Louvre, le musée Guimet, sans le pillage de l’Egypte, de la Grèce et de l’Asie ? (...) Sur la triste aventure du Palais d’Été, Hugo, répondait ceci, en 1861. « Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle. Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici. Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. (...) Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes, les mille et un rêves des Mille et Une Nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot, une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument.(...)C’était une sorte d’effrayant chef-d’oeuvre inconnu, entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur horizon de la civilisation d’Europe. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’Orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’oeuvre d’art, il y avait un entassement d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits. (...) Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. (...) En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate. (...) »(6)

Le 5 avril 2003, tandis que les forces américaines entraient dans Baghdad, les médias annonçaient le pillage du Musée iraqien et la disparition de 170.000 pièces d’antiquités. (...) D’aucun s’interrogent sur l’appartenance de ces richesses qui sont des marqueurs de l’humanité « À qui appartiennent donc les antiquités assyriennes, babyloniennes en Iraq ou Syrie, pharaoniques en Égypte, phéniciennes au Liban, byzantines en Jordanie, mais aussi romaines, berbères en Algérie, Tunisie, Libye et au Maroc, ou « négro-africaines » au Soudan ou en Somalie ? Comment les témoignages matériels de l’époque préislamique, l’héritage de la jahilyya en quelque sorte, peuvent être intégrés aux constructions des nations modernes à dominante musulmane ? Bien qu’on constate que c’est avec une intensité fort différente que s’exercent les demandes de restitution des oeuvres acquises illicitement et conservées aujourd’hui dans les musées occidentaux, les patrimoines préislamiques dans le monde arabe sont finalement devenus des objets de négociation pour les États contemporains. Patrimoine mondial, patrimoine national : ces antiquités appartiennent-elles aux dites nations ou au reste du monde ? (7)

Faut-il restituer ce qui a été spolié ? « Comment comprendre, écrit Jean Gabriel Leturcq, les demandes de récupération de la pierre de Rosette conservée au British Museum, le scribe accroupi au Louvre ou la tête de Néfertiti à Berlin ? Ces objets sont désormais considérés en Occident comme des oeuvres d’art absolues et des pièces centrales du patrimoine muséal de leur pays d’exposition, alors même qu’elles sont considérées comme patrimoine national dans leur pays d’origine. (..) Comment des objets sont devenus supports d’identité ? Face à ces revendications, les grands musées dits « universels » (Louvre, British Museum, Metropolitan Museum, etc.), défendent la légitimité de leurs collections au nom du rayonnement qu’elles leur offrent (...)Une question reste cependant en suspens : l’Égypte et l’Iraq apparaissent comme des cas isolés, les autres pays arabes n’ont pas manifesté de velléités de restitutions d’oeuvres. Est-ce un signe de minimisation voire d’insignifiance de ce passé préislamique dans la construction des histoires nationales ?(8)

Pour l’ONU, la réponse quant à la restitution est oui. « Le préambule de la résolution 42-7 votée par l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1987 précise justement : « Le retour des biens culturels de valeur spirituelle et culturelle fondamentale à leur pays d’origine est d’une importance capitale pour les peuples concernés en vue de constitue des collections représentatives de leur patrimoine culturel. » (...) Au cours du sommet de 1992, les chefs d’Etat africains créent un groupe d’experts, chargé d’étudier la question. La proclamation d’Abuja se réfère « à la ´´dette morale´´ et à la ´´dette compensatoire´´ dues à l’Afrique par les pays engagés dans la traite négrière, le colonialisme et le néocolonialisme. Elle exige le retour des « biens spoliés » et des trésors traditionnels (...). Pleinement convaincue que les dommages subis par les peuples africains ne sont pas une « affaire du passé » (...). Convaincue que de nombreux pillages, vols et appropriations ont été perpétrés sur les peuples africains, la proclamation en appelle à ceux qui sont en possession de ces biens spoliés, de les restituer à leurs propriétaires légitimes. »(9)

Une fin de non-recevoir de l’Occident est venue rapidement : la « Déclaration sur l’importance et la valeur des musées universels », en décembre 2002 et signée par dix-neuf directeurs de quelques-uns des principaux musées du monde est édifiante. Les signataires vont même jusqu’à ne mettre l’accent que sur « la nature essentiellement destructrice de la restitution des objets », en rajoutant ensuite que « les musées sont les agents du développement culturel, dont la mission est d’encourager la production de la connaissance en entretenant un processus permanent de réinterprétation. Ils ne sont pas seulement au service des citoyens d’une nation, mais au service des peuples de toutes les nations ». (9)

« Pourquoi, conclut Bernard Müller, alors ne pas rendre ces objets à ceux qui les demandent ? Il serait donc déplacé de formuler des excuses ou de restituer des butins à des dirigeants d’Etats sanguinaires et obscurantistes ! (...) Pour atteindre l’objectif d’une véritable « restitution », en l’occurrence symbolique et sous forme de connaissance, ces expositions devront être accompagnées de projets pédagogiques. Il faut, comme l’écrit l’écrivain nigérian Wole Soyinka, « trouver des réponses permettant d’atteindre les trois objectifs incontournables pour qu’un semblant de paix puisse s’installer dans ce XXIe siècle multiculturel : l’établissement de la Vérité, la Réparation et la Réconciliation »...(9).

1.Chems Eddine Chitour : L’héritage controversé des musées. Mille Babords 29/ 06 2006

2.Aminata Traore : Droit de cité. Nouvel.Obs. 23/06/2006.

3.Jack Lang- Le Louvre, un musée universel. Le Monde 31/01/2007

4.Hassan Musa http://www.sudplanete.
net/index.php ?out=1&menu=arti&no=6668 10 07 2007

5.V. Reboud : Revue Africaine. Volume 30 p.79. 1886

6.Victor Hugo et le sac du Palais d’Été http://amcarron.net/blog/2009/3/24/ html

7.Whose Pharaohs ? Article publié in Qantara, 62, Janvier 2007

8.Jean-Gabriel Leturcq 2006 http://leturcq.wordpress.com/2009/06/06/whose-pharaohs/

9. B.Muller- Faut-il restituer les butins des expéditions coloniales ? Le Monde diplom. 07/ 2007

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Poltechnique enp-edu.dz