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Mariage pour tous : pourquoi je ne remercierai pas le gouvernement.
par Red & Rude
Publie le vendredi 3 mai 2013 par Red & Rude - Open-Publishing1 commentaire
Article initialement paru [url=http://red-and-rude.blogspot.com/2013/05/mariage-pour-tous-pourquoi-je-ne.html]sur ce blog.[/url]
Hier, mardi 23 avril 2013, le parlement a définitivement adopté la modification du code civil permettant à deux personnes de même genre de se marier et donc à l’un de reconnaître l’enfant de l’autre. Cette loi met fin à une inégalité ignoble et nous ne pouvons que nous féliciter de son vote.
Nous ? Oui, nous, les LGBT en lutte et le mouvement ouvrier, du moins sa portion qui a pris en compte les revendications LGBT et en a fait une question primordiale, mais certainement pas le gouvernement. En effet, hier soir, de nombreuses personnes sont sorties dans la rue pour remercier le gouvernement et le féliciter de cet acte courageux. Si je suis de toutes les manifs et actions au côté du mouvement LGBT, je ne me suis pas joint à ces chœurs et ne le ferai pas.
Pourquoi cette loi maintenant ?
Si le rejet de Sarkozy rendait l’élection de Hollande presque assurée, celui-ci se devait bien de mettre en avant quelques points de programme donnant une impression de rupture à l’occasion de l’alternance ("Le changement c’est maintenant" rappelez-vous). Ce n’est pas chose facile quand on mène foncièrement la même politique au service de la bourgeoisie que ses prédécesseurs. Comme prévu, le PS continue les contre-réformes contre les retraites, offre au Médef la casse du code du travail que Sarkozy n’avait pas osé finir via l’ANI, accentue encore la politique raciste de chasse aux sans-papier et aux Rroms... Le parti socialiste a donc mis l’accent durant la campagne sur deux réformes dites "sociétales" : le droit de vote des étrangers et le mariage pour tous. La première réforme semble bien partie pour rester enterrée (les idées si belles que tu nous inspirais, sont dans les poubelles de l’Elysée...), mais pour le mariage pour tous, il fallait bien en mener une a terme quand même !
Une victoire des luttes LGBT !
Si le PS a choisi cette thématique pour faire quelque chose qui change un peu, ce n’est pas un hasard. Il a voulu aller sur un terrain qui lui paraissait préalablement déblayé. Le droit au mariage (car défendre le droit au mariage n’a rien à voir avec défendre le mariage, institution rétrograde) est une revendication historique du mouvement LGBT et de toute une partie du mouvement ouvrier, défendue maintes fois y compris dans la rue (par exemple à l’occasion de plusieurs marches des fiertés dont c’était une revendication centrale).
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Gay pride à Boston, 1980 |
Si aujourd’hui, le gouvernement s’est senti capable de passer là-dessus, c’est qu’il était préalablement assuré d’un soutien majoritaire dans l’opinion et presque hégémonique chez ses électeurs potentiels (de "gauche"). Or cette majorité ne s’est pas constituée naturellement, par une progression des consciences mécaniques et innée. Elle s’est créée sous l’impulsion de militants et militantes qui ont labourré les consciences encore et encore jusqu’à obtenir quelques progrès contre l’homophobie.
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matériel unitaire 2010 |
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matériel npa 2010 |
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Matériel NPA 2009 |
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Matériel NPA 2009 |
Ce sont ces militants et tous ceux qui ont suivi leurs pas depuis qu’on peut féliciter, pas un gouvernement qui n’a fait que suivre le courant.
Sur la forme, la pire des méthodes.
De deux méthodes possibles, le PS choisit toujours la pire. Cette variante de la Loi de Murphy se vérifie parfaitement. Pour une fois, on aurait pu se la jouer à la britannique ; 3/4h de débats parlementaires, un vote et c’est fait. Non, il a fallu que le gouvernement laisse le temps et la place au débat, mais quel débat ? On débat généralement entre deux opinions, mais l’homophobie n’est pas plus une opinion que le racisme.
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3 visuels des dures-a-queer |
La Loi du 30 décembre 2004 portant sur la création de la Halde, qualifie de délit en son titre 3 "l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine ou à la
discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à
raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap." Le mariage réservé aux hétérosexuels était donc bien en contradiction avec les lois de leur chère république. Y compris si on veut faire preuve de la plus grande mauvaise foi possible et considérer comme C. Boutin que les homos n’étaient pas discriminés puisqu’ils avaient le droit de se marier... avec une personne d’un autre sexe, on retrouverait quand même une discrimination non plus liée à l’orientation sexuelle mais au sexe des personnes, donc contraire à cette Loi (mais il va de soit que le mariage tel qu’il existait avait bien pour but de ne reconnaitre que l’union hétérosexuelle et était donc homophobe et non "seulement" sexiste). La loi rapidement dite du mariage pour tous, ne consistait donc qu’à remettre le code civil en conformité avec les lois de la république et ne nécessitait aucun débat, une simple formalité et bye-bye.
Sauf que non, le gouvernement a décidé d’en faire un débat, avec les allers-retours entre les chambres, en prenant le temps... Il est évident que les réacs de tout poil ne sont pas absolument débiles et ont saisi l’occasion de prendre l’offensive idéologique pour faire parler d’eux. La presse s’en est donné à coeur joie, leur proposant une bienveillante couverture médiatique à faire pâlir tous les travailleurs dont les luttes sont soit tues soit souillées pars les média, surtout quand leur importance est historique comme en 2010 contre la casse des retraites. Et que fait un président dit socialiste dans un pareil cas ? Il reçoit les homophobes à l’Elysées, évidemment. C’est ainsi que Hollande a reçu trois représentants de "la manif pour tous" le 25 janvier, soit juste avant la fameuse manifestation nationale qui avait tant d’importance stratégique pour les réacs. Légitimer cette association qui ne faisait que commencer à se faire connaître et lui offrir une telle médiatisation juste avant leur manif, c’est les glandes, mais il y avait sûrement une bonne raison de leur accorder cet entretien officiel qu’ils réclamaient depuis longtemps, par exemple leur mettre les points sur les i, leur expliquer qu’on ne les laisserai pas répandre leurs thèses homophobes dans l’espace républicain hérité des lumières et blablabla...Non, non. Mme Barjot a pu qualifier l’entretien de "consistant et sympathique" sans être contredite, le président ayant "vraiment balayé toute la problématique de la loi Taubira". Le dialogue entre les homophobes et le représentant de la république est donc non seulement possible mais qui plus est courtois, voilà un message intéressant à noter !
Puisque le président lui même a ouvert le dialogue avec les homophobes, il est également important de noter à quel point le débat à volé haut de la part des opposants à l’égalité. Il y a ceux comme l’UOIF ou le villiériste Bezieau qui compare l’homosexualité à la zoophilie, ceux du FN qui font le lien entre pédophilie et homosexualité, celui de l’UMP qui se sentant renforcé par son statut de maire fait le combo polygamie-pédophilie-inceste-mariage consanguin, montrant ainsi qu’en terme de connerie l’écharpe tricolore lui confère encore plus de force que la mitre du cardinal Barbarin qui s’en était tenu à la polygamie et l’inceste. On pourrait, en fouillant un peu trouver plein d’autres exemples de ces abominations qui ont été diffusées dans les media, répandues comme une trainée de merde dans la cellule d’un prisonnier irlandais, sans que le gouvernement ne s’insurge au-delà de quelques mots, sans entraîner la moindre action en justice, la moindre condamnation ferme, la moindre destitution... Rappelons pourtant que la loi du 30 décembre sus-citée condamne également l’injure et la diffamation homophobe, renforcée par deux amendements du lendemain réprimant notamment les "propos homophobes tenus publiquement". Mais les lois de la république n’engagent que ceux qui les subissent, pas ceux qui sont chargé de les appliquer, et c’est tout naturellement que le gouvernement a laissé se tenir ce genre de propos avant de s’indigner (mais pas trop fort, rassurez-vous) de la détérioration du climat, comme s’il n’y avait pas amplement contribué. C’est dans la suite logique de cette mansuétude vis-à-vis des propos homophobes les plus nauséabonds qu’on a donc laissé ces saloperies se proférer jusque dans l’enceinte du parlement, ou le député d’extrême-droite Bompard, via les amendements 4661 et 4662, a pu porter au sein de l’hémicycle l’amalgame entre homosexualité et polygamie et entre homosexualité et pédophilie.
Ses amendements ont bien sûr été soumis au débat et au vote, parce qu’un gouvernement socialiste, ça respecte la libertay d’esssspression, toussa, ça laisse le texte de la Loi Taubira faire ses allers-retours... ça ne procède pas au vote bloqué. Oh wait ! Le samedi 20 avril, 3 jours avant qu’on ne célèbre le progressisme du gouvernement, le massacre du code du travail connaissait une nouvelle heure de gloire puisque dans la nuit était voté l’ANI, en procédant à un vote bloqué ! Parce qu’on y vient enfin, mais les socialos ne sont pas juste stupides (aussi, certes), ils ont une ou deux notions de stratégie politique et maitrisent aussi bien la tactique de l’écran de fumée que leurs siamois de droite. En effet, pour notre gouvernement, faire traîner un débat qui n’avait pas lieu d’être avait quand même un avantage. Pendant que les média se focalisaient sur la contestation réactionnaires, le gouvernement - soutenu sur cette question, rappelons-le, par une majorité - paraissait ipso facto comme progressiste et s’opposant aux réactionnaires, et non comme les crevures antisociales qu’ils sont, le tout en faisant passer en force l’ANI, en rejetant la pourtant très partielle proposition de loi d’amnistie... Taper sur la classe ouvrière en passant pour des grands progressistes, voilà le summum de la classe pour des socio-libéraux. Tant pis si ça créé un climat insupportable pour les LGBT qui paient les pots et contre lesquels les agressions, clairement portées par ce climat, se multiplient comme à Nice, à Paris, à Bordeaux, à Poitiers, à Lille, à Paris...
Sur le fond, une loi au rabais !
Tout le monde parle maintenant de cette loi comme du "mariage pour tous", appellation aussi stupide
qu’hypocrite mais néanmoins révélatrice de son cantonnement à une question précise loin de l’égalité pour les homosexuels. Ne nous épargnant aucun recul face aux réactionnaires homophobes, le gouvernement est en train d’enterrer le droit à la PMA pour les lesbiennes. Il ne s’agit pas là d’une position sur la PMA puisque le débat législatif sur la PMA a déjà eu lieu et que la PMA est autorisée pour les femmes hétérosexuelles. Cette trahison, concerne la seule question sur laquelle le PS avait plus ou moins fait l’erreur de s’avancer, car il y a tout ce dont il ne parle pas, ou juste pour nous assurer du statu quo. Par exemple, rien n’a été avancé sur le droit à l’adoption ou encore l’éviction des homosexuels des donneurs de sang et d’organes a été confirmée. Quant aux trans, il s’agit visiblement d’une sous-population qui n’entre absolument pas dans les projets d’égalité du gouvernement, nous attendons toujours pour la dépathologisation de la transsexualité, pour le remboursement intégral de la transition par la sécurité sociale ou le changement d’État civil sur simple demande.
De plus, nous ne devons pas oublier que les oppressions se cumulent. Les homosexuels sont aussi des travailleurs, des femmes, des étrangers... mais ils en sont une portion encore plus opprimée. Ainsi quand les politiques d’austérité s’attaquent aux classes populaires, ils sont les premiers à en pâtir, et idem quand le gouvernement mène une politique raciste et sexiste. Ainsi, quand le gouvernement détruit le code du travail, il renforce a fortiori la précarité des homosexuels, quand il mène une politique augmentant le chômage et rendant l’accès à un logement décent toujours plus difficile, il renforce automatiquement la discrimination que connaissent les homos dans ces domaines cruciaux, la politique d’austérité rend impossible la construction de nécessaires foyers autogérés d’accueil des LGBTI en rupture familliale et est totalement contradictoire avec un plan ambitieux de lutte contre les discriminations homophobes, avec une campagne de fond d’éducation populaire contre l’homophobie.
De même le racisme d’État qui prévaut fait qu’à défaut de régularisation de tous les sans-papiers, le PS refuse même l’automaticité du droit d’asile pour les personnes persécutées ou en danger du fait de leur orientation sexuelle. Il ne s’agit ici que de l’égalité de droit, mais si ces revendications de bases étaient satisfaites, ce serait un point d’appui non négligeable pour peser sur l’égalité réelle, c’est à dire le vécu quotidien des homosexuels, fait d’agressions, d’insultes, de blagues blessantes, de préjugés, de regards inconvenants, d’empêchements divers de s’assumer au grand jour dans la rue, au travail... Tout ceci ne se gagnera que par la lutte déterminée de la majorité de la classe ouvrière, mais celle-ci ne prendra en compte ces questions que sous la pression d’une mobilisation spécifique sur les droits des homos et trans. Nous ne devons pas nous mettre à genou et remercier un gouvernement des miettes que nous avons nous même grattées mais nous battre au coude à coude.
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Banderole du RASH New-York (qui avait scissionné du SHARP pour fonder le RASH notamment sur la question de l’homophobie) |
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Banderole du Sharp Brésil |
* Pour se faire une idée, on trouvera ici des extraits des journaux gauchistes des années 70. A noter que c’est aussi la théorie pathologisante qui aurait été à l’origine de la dépénalisation de l’homosexualité par les bolchéviks en 1922 (voir ici).
Messages
1. Mariage pour tous : pourquoi je ne remercierai pas le gouvernement., 4 mai 2013, 20:07, par X
Bravo pour ce superbe article !