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Mise au pas royale

Publie le lundi 2 mai 2011 par Open-Publishing

Le script officiel : William, duc de Cambridge, épouse Kate Middleton, la belle roturière. Des commentateurs insistent sur l’allure « moderne » du dernier conte de fée princier.

On décrit deux jeunes gens « sympas », « méritants » et on parle d’une union qui symbolise la mobilité sociale britannique : le deuxième héritier à la Couronne se marie avec l’arrière-arrière petite-fille de mineurs de Durham.

Le peuple est convié à cette union et la monarchie britannique triomphe en mondovision ! Malheur aux traîtres qui refusent de communier à l’unisson de la nation en liesse !

Les Français mieux lotis avec Sarkozy ?

Le discours est bien rodé, la grosse caisse des célébrations retentit dans les médias, mais rien n’y fait. Les sondages indiquent que plus de la moitié des Britanniques se contrefiche de ce mariage. Les fêtes de quartier sont infiniment moins nombreuses que lors du mariage de Charles et de Diana, il y a trente ans.

C’est donc l’indifférence qui prédomine ; un sentiment qui n’est d’ailleurs pas contradictoire avec le plaisir de se voir octroyer un jour de congé (le jour de la cérémonie est férié), ni avec la curiosité de discuter des à-côtés people du mariage.

Depuis Diana, la monarchie est une extension du show-biz. Les monarchistes insistent également sur le solide soutien populaire dont bénéficierait le régime (seul un sondé sur cinq souhaite l’abolition de la monarchie et l’établissement d’une république).

Mais ils passent sous silence le fait que ce soutien décroît parmi les catégories les plus jeunes. Le camp monarchiste refuse tout débat sur l’avenir de la monarchie, considérant que celle-ci a fait ses preuves et que seuls des aménagements cosmétiques sont envisageables (tel, par exemple, la succession au trône d’une femme quand celle-ci est plus âgée que les descendants masculins).

L’argument antirépublicain :

« Nous ne voulons pas d’un président Blair ou d’un président Richard Branson. »

Pourquoi ne mentionner que des personnages corrompus ou fantaisistes ? Poussé dans ses retranchements, le monarchiste assènera :

« Croyez-vous que les Français soient mieux lotis avec le président Sarkozy ? »

La réponse est évidemment négative, mais n’invalide pas l’argument pro-républicain : un mauvais chef d’Etat sera battu ou partira à la fin de ses mandats, tandis qu’un monarque héréditaire, aussi incompétent soit-il, règnera jusqu’à son abdication ou sa mort.

Le problème de la République française est qu’elle est trop peu… républicaine. En créant un Président omnipotent, les institutions de la Ve république ont rétabli les conditions d’une monarchie quasi-absolue (la pompe avec) : le chef de l’Etat, bien que politiquement irresponsable, est doté de pouvoirs très étendus.

Ainsi, en dépit de l’idéologie monarchiste ambiante, une majorité de Britanniques prend leur régime à la rigolade. Ils comprennent que la monarchie va à l’encontre de ce en quoi ils croient : méritocratie, pluralisme, modernité. En l’absence de culture républicaine règne un consensus mou et diffus autour de la Couronne ; un consensus par défaut.

Les Windsor, c’est 200 millions d’euros par an

Les adultes ne croient pas au père Noël. Pourquoi les Britanniques croiraient-ils aux contes de fées princiers, manufacturés par la classe dominante du royaume ? Downing Street, la Chambre des Lords, la City ou la presse de Rupert Murdoch : ces institutions ont tout intérêt à infantiliser le peuple et à lui inculquer un sentiment de déférence à l’égard du monarque.

C’est ainsi que l’on dépolitise les masses. Le mélange de traditionnalisme post-impérial et de capitalisme débridé made in England, hier regardé avec envie dans le monde, est aujourd’hui en crise. Mais ne vous inquiétez pas, disent en substance les héritiers et les banquiers au peuple mécontent, notre monarque veille sur vous ; il ne peut donc rien vous arriver !

C’est ici que l’idéologie royaliste s’abat implacablement et anesthésie les esprits. La démonstration demi-habile s’incruste jusque dans les cerveaux les plus critiques. La monarchie, nous dit-on, est une institution « impartiale ».

A ce titre, elle garantirait la continuité de la nation et transcenderait ses conflits. Elle remplirait cette tache avec désintérêt et dévouement pour le bénéfice de ses sujets. Nul besoin de professer un républicanisme échevelé pour contrer l’argument : le statut apolitique de la famille royale est acquis pour la simple raison qu’elle ne joue aucun rôle politique actif.

Le monarque a certes des pouvoirs constitutionnels (convocation du parlement, nomination du premier ministre), mais ceux-ci sont d’ordre purement formel et non politique. A quoi servent les Windsor ? Politiquement, à rien. Si on excepte les engagements auprès d’œuvres caritatives (à l’instar des footballeurs pendant leur temps libre) et les cérémonies d’Etat, la famille royale vit une vie de loisirs (agrémentée d’un passage dans l’armée ou comme pilote d’hélicoptère secouriste pour William).

L’inutilité sociale des Windsor coûte pourtant cher aux contribuables qui financent le faste royal à hauteur de 180 millions de livres sterling par an, soit plus de 200 millions d’euros.

Mariage coûteux contre plan d’austérité

Kate Middleton, arrière-arrière petite-fille d’ouvriers : n’est-ce pas la preuve de la modernité de la monarchie, et le signe d’une mobilité sociale dans le royaume ? Oui, si on considère que la loterie nationale est également facteur de mobilité sociale.

Avec le nouveau couple princier, la classe dominante fait le pari d’une modernisation de l’image royale ; d’une famille qui n’hésiterait plus à laisser libre cours à ses émotions en public. Ce vœu bien-pensant est peu réaliste : après 60 ans de règne, la reine Elizabeth est aussi insaisissable et mystérieuse que le monstre du Loch Ness. Charles et William sont en apparence plus en phase avec le monde.

Le problème est qu’ils sont en prise avec le monde suranné de l’aristocratie britannique. Ces « toffs » ont été élevés dans le milieu select d’Eton, des clubs, des manoirs de campagne, de la chasse et du polo ; un univers que les classes moyennes et populaires exècrent. Certes, William joue au football, mais son style de vie, son parcours social, ses connaissances, le placent dans la caste des ultra-privilégiés. Loin d’incarner la méritocratie des classes moyennes, les Middleton ont épousé avec vulgarité les valeurs de l’aristocratie. Il n’est donc pas acquis que Kate devienne une nouvelle Diana, une noble qui s’était construite une image « populaire » pour mieux se venger des Windsor.

Si la famille royale présente une continuité, c’est dans sa persistance à faire payer à une nation en crise de coûteuses cérémonies de mariage. La princesse Anne épousa Mark Phillips en novembre 1973 en pleine récession économique ; Charles et Diana s’unirent en 1981 sur fond d’émeutes raciales à Brixton et d’offensive antisociale du thatchérisme ; William et Kate se marient au moment où le gouvernement libéral-conservateur a mis en chantier un « plan d’austérité » qui asphyxie le peuple.

Sous couvert de réduction des déficits, le gouvernement Cameron démantèle les services publics. Les frais d’inscription à l’université vont être triplés (jusque 9 000 livres sterling par an, soit plus de 10 000 euros).

Cette décision idéologiquement motivée va barrer la route des études aux enfants des classes populaires, et profondément endetter ceux issus des classes moyennes. Les Britanniques ne sont pas dupes de cette nouvelle offensive néolibérale, synonyme de coup d’arrêt à la mobilité sociale. Pour nombre d’entre eux, ce mariage princier est une provocation et une insulte.