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Nécrologie : Pierre Broué, historien du communisme et militant trotskiste

Publie le mercredi 27 juillet 2005 par Open-Publishing
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Pierre Broué, historien du communisme et militant trotskiste

de Jean Birnbaum

Historien de renom et militant politique infatigable, Pierre Broué est mort, mardi 26 juillet, à Grenoble (Isère). Il était âgé de 79 ans.

Spécialiste du mouvement communiste international, Pierre Broué n’aura jamais cessé d’explorer le devenir des révolutions européennes, non seulement pour en méditer la grandeur, mais aussi pour en éprouver toutes les déceptions.

Né en 1926 à Privas (Ardèche), le jeune Broué a grandi dans une famille de fonctionnaires profondément républicains. Frappé par l’écho des émeutes "ligueuses" du 6 février 1934, il naît très tôt à la révolte politique, dans un double élan de solidarité avec les grévistes de juin 1936, en France, et avec les combattants antifranquistes.

Mais c’est au contact d’un professeur d’histoire, Elie Reynier, que le collégien cerne peu à peu sa vocation. A l’été 1940, le vieux militant-pédagogue est assigné à résidence. Il invite le lycéen à piocher dans sa bibliothèque : spontanément, celui-ci s’empare de la collection des Annales comme des livres de Marc Bloch ou de Georges Lefebvre. Surtout, il se jette sur les quatre volumes rouge vif de l’Histoire de la Révolution russe signés Léon Trotski. Il a 14 ans.

Dans un premier temps, Pierre Broué va toutefois s’engager au sein des jeunesses du Parti communiste clandestin. Il en sera bientôt exclu, avec d’autres khâgneux du lycée Henri-IV, à Paris, où il était "monté" pour préparer Normale Sup’. Lui et ses camarades n’avaient-ils pas voulu organiser un travail d’agitation "internationaliste" auprès des soldats de la Wehrmacht ?

"Vous êtes des trotskistes", avaient tranché les responsables du Parti, sans que les jeunes bannis comprennent encore vraiment ce que cette étiquette désignait. C’est ainsi qu’en 1944 Pierre Broué va rencontrer la poignée de révolutionnaires qui prétendent perpétuer l’héritage de Léon Trotski, en se réclamant d’un marxisme antistalinien, fidèle à la mémoire "originelle" d’Octobre 1917.

MILITANT ET ÉRUDIT

Au sortir de la guerre, et comme en hommage à son vieux maître Elie Reynier, Pierre Broué décide d’être à la fois un militant et un érudit, indissociablement. D’abord enseignant en région parisienne, cet amoureux de l’archive sera nommé par la suite à l’Institut d’études politiques de Grenoble, au milieu des années 1960. Là, sa voix grave et son accent ensoleillé, autant que son ardeur au travail, ont enthousiasmé des générations d’étudiants.

Consacrés à l’Internationale communiste (Komintern), les travaux de Pierre Broué ont contribué à renouveler l’historiographie dans un pays où l’hégémonie idéologique du PCF a longtemps figé la vie intellectuelle. Ainsi, dès 1961, dans La Révolution et la guerre d’Espagne (avec Emile Témime, Ed. de Minuit), il brisait la légende de l’unité "antifranquiste" et sortait de l’ombre la chasse aux révolutionnaires à laquelle les hommes du Komintern s’étaient alors livrés. De même, dans Le Parti bolchevique (Ed. de Minuit, 1963), Pierre Broué décrivait la généalogie politique du stalinisme, pour comprendre comment le parti de Lénine avait fini par massacrer la génération d’Octobre dans sa quasi-totalité.

Aussi cet itinéraire de combat et d’idées est-il tout entier placé sous le signe du trotskisme. En janvier 1980, lorsque les archives de Trotski sont ouvertes, Broué est l’un des premiers à pénétrer dans la Hougthon Library de Harvard (Etats-Unis), où elles sont déposées. Trois ans auparavant, avec quelques amis, il avait fondé à Grenoble l’Institut Léon-Trotski, afin d’éditer les oeuvres complètes du fondateur de l’Armée rouge (27 tomes parus à ce jour), et de créer les Cahiers Léon Trotski, où ont été publiées de nombreuses études portant sur le mouvement révolutionnaire international.

De celui-ci, Pierre Broué aura finalement embrassé tous les combats, pour le meilleur et pour le pire. Jusqu’à en endurer lui-même les aspects les plus pénibles. Ainsi, lorsqu’en 1988 il publie sa biographie monumentale intitulée, sobrement, Trotski (Fayard), il est l’un des principaux dirigeants du Parti communiste internationaliste (PCI), la tendance dite "lambertiste" des trotskismes français.

En tant que tel, Pierre Broué a participé à toutes les guerres intestines qui ont rythmé l’histoire de ce courant. Il a accompagné bien des ruptures, oeuvré à quelques exclusions aussi.

Un an plus tard, il était à son tour poussé vers la sortie, après quatre décennies de luttes communes et d’espoirs partagés. Jamais peut-être les deux casquettes de Pierre Broué ne s’étaient à ce point confondues : d’un côté, l’historien sondait les ressorts du stalinisme ; de l’autre, le militant en expérimentait les avatars au sein de son propre mouvement.

http://www.lemonde.fr/web/article/0...

Messages

  • Voici le billet de la Lettre de Liaisons, bulletin électronique qui sortira demain (http://site.voila.fr/bulletin_Liaisons/index.html).

    Les nôtres.

    Dans la semaine écoulée, une génération s’en va. Vlady Kibaltchitch dit Vlady Serge, grand peintre mexicain et fils du bolchevik anarchiste, ou anarchiste bolchevik, Victor Serge, est mort vendredi et a été incinéré à Cuernavaca.
    Pierre Broué, historien majeur de la révolution allemande de 1918-1923, des révolutions du premier vingtième siècle et de Léon Trotsky, est mort dans la nuit de lundi à mardi. La Lettre de Liaisons salue sa mémoire et exprime ses condoléances aux siens et à ceux qui furent ses vrais amis.
    Le respect envers la personne, envers l’historien et envers l’histoire exige cependant que l’on s’oppose tout de suite à la formation de légendes, et donc que l’on signale et regrette l’allégation du communiqué AFP sur Pierre Broué selon laquelle il aurait rencontré Trotsky trois fois, qui a semble-t’il manquée de peu être reprise par la "grande presse". Pour le reste, la Lettre de Liaisons a une responsabilité particulière pour contribuer à faire le bilan de la vie et de l’oeuvre historico-politique de Pierre Broué : nous y reviendrons d’ici la fin de l’année.
    Le 27/07/05.