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Non, la bourse iranienne n’est pas un casus belli

Publie le samedi 8 avril 2006 par Open-Publishing

par planetenonviolence.org

Un certains nombre d’articles ont été publiés récemment annonçant le projet du gouvernement de Téhéran d’y ouvrir une bourse au pétrole, peut être même dés mars pour contrer les velléités guerrières américaines. Cette thèse selon nous est fausse, entre autre, parce que la guerre contre l’Iran est planifiée depuis les années 90 comme faisant partie intégrale d’une stratégie américaine du Grand Moyen Orient, et aussi parce qu’il y a eu compréhension erronée du processus de réinvestissement du pétrodollar.

Non, la bourse iranienne n’est pas un casus belli
Un certains nombre d’articles ont été publiés récemment annonçant le projet du gouvernement de Téhéran d’y ouvrir une bourse au pétrole, peut être même dés mars. Ceci serait la véritable raison cachée à l’évidence, d’une démarche de guerre anglo américaine contre l’Iran. Cette thèse selon nous est fausse pour plusieurs raisons, et non des moindres, c’est que la guerre contre l’Iran est planifiée depuis les années 90 comme faisant partie intégrale d’une stratégie américaine du Grand Moyen Orient.

Plus important, l’argument de la bourse du pétrole est une façon de détourner l’attention des vraies réalités géopolitiques qui mènent sur le chemin de la guerre avec l’Iran.

En 1996, Richard Perle et Douglas Feith, deux néo conservateurs qui ont ensuite joué un rôle important dans l’établissement de la politique moyen orientale de l’administration Bush, ont été les coauteurs d’un rapport rédigé pour le premier ministre israélien de l’époque Benjamin Netanyahu. Ce rapport * proposait : "une rupture nette, une nouvelle stratégie pour renforcer la nation", et a poussé Netanyahu à faire "une rupture nette avec le processus de paix". Ils ont également conseillé à Netanyahu de renforcer la défense d’Israël pour mieux se confronter à la Syrie et à l’Iraq, et de s’en prendre à l’Iran et à la Syrie.

Plus d’un an avant que le président Bush ne lance l’opération "Chock and Awe" (choc et frayeur) contre l’Irak, il a prononcé sont discours infamant de janvier 2002 sur "l’Etat de l’Union" s’adressant au Congres et dans lequel il traitait l’Iran ainsi que l’Iraq et la Corée du Nord d’ "axe du mal". Ceci c’est passé bien avant que Téhéran n’envisage d’établir une bourse du pétrole pour vendre le pétrole en utilisant différentes monnaies.

L’argument utilisé par ceux qui croient que la bourse iranienne serait un "casus belli", l’étincelle poussant Washington à s’engager dans une annihilation de l’Iran par une guerre thermonucléaire, semble reposer sur la revendication qu’en vendant ouvertement son pétrole à d’autres pays ou acheteurs en euros, Téhéran provoquerait une réaction en cascade amenant les nations les unes après les autres, les acheteurs, les uns après les autres, à s’aligner et acheter en euros et non plus en dollars. Ceci, selon l’argumentaire, aurait comme effet de provoquer par panique, une vente de dollars sur les bourses étrangères mondiales, et un effondrement du dollar comme monnaie étalon, l’un "des piliers de l’Empire". Basta ! Et voilà le Siècle Américain chassé par l’avènement de la bourse du pétrole de Téhéran. La réalité est quelque peu différente.

Rappel de quelques considérations de base

L’argument ne réussit pas à convaincre pour un certain nombre de raisons. Premièrement, en ce qui concerne l’un des théoriciens de la bourse du pétrole, l’argument est basé sur une compréhension erronée du processus que j’ai décrit dans mon livre "a Century of War" (un siècle de guerre) concernant la création en 1974 du "réinvestissement du pétrodollar" suite à l’augmentation orchestrée du prix du pétrole par l’OPEC de 400%, un processus dans lequel le secrétaire d’état américain de l’époque Henri Kissinger était largement impliqué.

Le dollar alors n’est pas devenu le "pétrodollar", bien que Kissinger ait parlé du processus de "réinvestissement des pétrodollars". En fait, il se référait à une nouvelle phase de l’hégémonie globale américaine dans laquelle le "pétrodollar" obtenu par les gains à l’exportation des productions pétrolières de l’OPEC seraient réinvestis par les principales banques londoniennes et new-yorkaises, et réallouées sous forme de prêts en dollars aux pays avec des déficits pétroliers comme le Brésil et l’Argentine, créant ainsi ce qui devait rapidement être connu comme la crise de la dette latino américaine.

Le dollar à l’époque était une monnaie dévaluée depuis août 1974, au moment ou le président Nixon a d’abord abrogé le traité de Bretton Woods, puis refusé d’échanger les dollars américains possédés par les banques étrangères contre des lingots d’or. Le dollar a flotté contre d’autres monnaies importantes, s’effondrant plus ou moins jusqu’à ce qu’il soit renforcé par le changement énorme lié au choc pétrolier de 1973-74.

Ce que le choc pétrolier de 1973 a provoqué pour le dollar en perte de vitesse c’est un brusque apport de demande globale venant de nations confrontées à une hausse de 400% des factures du pétrole importé. A ce moment là, et suite à un arrangement d’après guerre, comme le dollar n’était que la seule monnaie de réserve mondiale en dehors de l’or, les membres de l’OPEC ont établi les cours du pétrole en dollars pour répondre à des exigences pratiques.

Avec 400% de hausse du prix du pétrole, des pays comme la France, l’Allemagne, le Japon, et d’autres importateurs, ont brusquement trouvé des raisons d’acheter leur pétrole directement avec leur propre monnaie - le Franc français, le Deutschemark allemand, le Yen japonais - pour diminuer la pression sur leurs réserves en dollars diminuant rapidement. Le Trésor américain, et le Pentagon, ont fait en sorte que cela ne se passe pas comme cela, grâce en partie à la diplomatie secrète menée par Kissinger, des menaces brutales, et un accord de l’armée américaine monstre avec le producteur clé de l’OPEC, l’Arabie Saoudite. A cette époque là, cela a aidé que le Shah d’Iran soit perçu à Washington comme un vassal de Kissinger.

L’important, ce n’était pas que le dollar soit devenu une monnaie "pétrole". L’important, c’est que le statut de réserve monétaire du dollar, alors une monnaie papier, ait été renforcée par l’augmentation de 400% de la demande en dollars pour acheter du pétrole. Mais, ceci n’est qu’une partie de l’histoire du dollar. En 1979, suite à l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny en Iran, les prix du pétrole ont crevé le plafond pour la deuxième fois en 6 ans. Cependant, paradoxalement, plus tard cette année là, le dollar a commencé une chute vertigineuse, non une hausse. Ce n’était pas un "pétrodollar".

Les détenteurs de dollars étrangers ont commencé à vendre leurs dollars pour protester contre la politique étrangère de l’administration de Jimmy Carter. C’est pour régler cette crise du dollar que Carter a été obligé de faire appel à Volcker pour diriger la Banque Fédérale en 1979.

En octobre 1979, Volcker a impulsé un élan en autorisant la hausse de 300% des taux d’intérêt aux Etats-Unis sur plusieurs semaines, bien au-delà des 20%. Cela a provoqué comme conséquence une élévation des taux d’intérêt mondiaux crevant le plafond, une récession mondiale, du chômage de masse, et de la misère. Cela a aussi "sauver" le dollar comme seule monnaie de réserve. Le dollar n’était pas le "pétrodollar". C’était le problème de la monnaie de la plus grande superpuissance, une superpuissance déterminée à faire ce qui est nécessaire pour le rester.

Soutien du dollar avec des avions de combat F-16

Depuis 1979 la puissance des institutions américaines de Wall Street à Washington a maintenu le statut du dollar comme une monnaie de réserve incontestée. Cependant, ce rôle n’est pas purement économique. Le statut de monnaie de réserve est une prérogative d’une puissance mondiale, de la détermination des Etats-Unis à dominer les autres nations et l’économie mondiale. Les Etats-Unis n’ont pas obtenu ce statut par un vote démocratique des banques centrales, de même que l’Empire britannique au XIX ème siècle. Ils ont fait des guerres pour cela.

Pour cette raison, le statut du dollar comme monnaie de réserve dépend du statut des Etats-Unis comme superpuissance militaire mondiale incontestée. D’une certaine façon, depuis août 1971, le dollar n’est plus soutenu par l’or. Il est soutenu par les F-16 et les tanks de combat MI Abrams, qui sont opérationnels dans 130 bases américaines autour du monde pour défendre la liberté et le dollar.

L’euro un défi ?

Pour que l’euro puisse commencer à contester le rôle de réserve du dollar, il faudrait qu’il y ait une révolution politique à Euroland. Premièrement, la banque centrale européenne, cette établissement institutionnalisé, non démocratique, crée par le traité de Maastricht pour permettre de maintenir la capacité des banques de crédit à recouvrir leurs dettes, devrait abandonner son pouvoir aux mains de dirigeants élus. Il faudrait alors faire fonctionner les planches à billets et imprimer des euros comme s’il n’y avait pas de lendemain. Ceci parce que la taille actuelle des échanges sur le marché des obligations du gouvernement d’Euroland est encore minuscule en comparaison de l’énorme marché du Trésor américain.

Comme Michael Hudson l’explique dans sa brillante étude qui n’est pas assez lue, "le super impérialisme" le génie pervers de l’hégémonie américaine mondiale du dollar cela a été la compréhension dans les mois qui ont suivi août 1971, que le pouvoir américain avec un système de dollar déprécié était lié directement à la création de la dette en dollar. Ils ont compris que la dette et le déficit commercial américain ce n’était pas le "problème" mais la solution.

Les Etats-Unis pouvaient imprimé des dollars sans fin pour payer les importations de Toyotas, Hondas, BMW, et d’autres biens, dans un système où les partenaires commerciaux des USA, utilisant des dollars pour leurs exportations craignaient suffisamment une chute du dollar pour continuer de le soutenir en achetant des Bonds du trésor américain et des billets. En fait, ces 30 dernières années où on a abandonné l’or comme monnaie d’échange pour le papier dollar, les dollars américains en réserve ont monstrueusement augmenté de 2500 % et croissent actuellement à un taux à deux chiffres.

Le système a continué pendant les années 80 et 90, de façon incontestée. La politique américaine était celle de la gestion de crise en parallèle avec une projection habile et coordonnée du pouvoir militaire américain. Dans les années 80, le Japon craignant de perdre les Etats-Unis comme fournisseur d’un parapluie protecteur nucléaire a acheté des tonnes de créances du Trésor américain bien qu’il ait perdu l’équivalent d’une "rançon royale" dans ce processus. C’était une décision politique et non pas un investissement.

Le seul défi potentiel au rôle de réserve du dollar est venu dans la fin des années 90 quand l’Union Européenne a pris la décision de créer une monnaie unique. L’euro, devant être administré par une seule banque centrale, la BCE (Banque Centrale Européenne). L’Europe semblait émerger comme une seule voix unifiée indépendante dans ce que Chirac a appelé un monde multipolaire. Ces illusions multipolaires se sont évanouies avec la décision non divulguée de la BCE et des banques nationales centrales de ne pas mettre en commun leurs réserves d’or pour soutenir le nouvel euro. Cette décision de ne pas utiliser l’or en soutien à l’euro a été prise sur fond de controverse passionnée sur l’or nazi et les abus supposés par l’Allemagne, la France, la Suisse, et d’autres pays européens pendant les périodes de guerre.

Depuis le choc du 11 septembre 2001, et la déclaration qui a suivi de guerre mondiale contre le terrorisme par les Etats Unis, incluant une décision unilatérale d’ignorer les Nations Unies et les nations pour attaquer l’Irak sans défense, peu de pays ont oser défier l’hégémonie du dollar. Actuellement, la totalité des dépenses de défense des pays européens est pâle en comparaison avec le total des dépenses de la défense américaine apparaissant dans le budget, et celles n’y apparaissant pas. Les prévisions officielles des dépenses pour la défense atteignent 663 milliards de dollars pour l’année fiscale actuelle 2007. La totalité des dépenses des pays européens atteint seulement 75 milliards avec une tendance à la baisse, à cause notamment des pressions de la BCE sur les gouvernements en relation avec la limite du déficit fixé par Maastricht.

Donc aujourd’hui, du moins présentement, il n’y a pas de signe de japonais, européens ou autres détenteurs de dollars s’engageant dans la liquidation de leurs avoirs en dollars. Même la Chine, aussi mécontente soit-elle de la politique brutale de Washington, semble peu encline à provoquer la fureur du dragon américain.

Les origines de la bourse du pétrole.

L’idée de créer une nouvelle plateforme financière en Iran pour commercialiser le pétrole et créer un nouveau prix de référence pour le brut est venue semble -t-il de l’ancien directeur du London International Petroleum Exchange, Chris Cook. En janvier, dans un article paru dans Asia Times, Cook en expliquait l’origine. Décrivant une lettre qu’il avait écrite en 2001 au gouverneur de la banque centrale iranienne, Dr Mohsen Nourbakhsh, Cook expliquait ce qu’il conseillait alors :

"Dans cette lettre j’ai fait remarquer que la structure des marchés mondiaux favorisait massivement les intermédiaires et particulièrement les banques d’investissement, et que, à la fois les consommateurs et les producteurs tel que l’Iran sont touchés négativement par cela. J’ai recommandé que l’Iran considère comme une urgence la création d’une bourse d’échange pour l’énergie au Moyen Orient, et particulièrement un nouveau prix de référence pour le pétrole du Golfe Persique.

Par conséquent, c’est avec un amusement narquois que j’ai vu un mythe se propager largement sur internet qu’à l’origine de ce projet de "bourse iranienne", il y a un souhait de
déstabiliser le dollar américain en fixant les prix du pétrole en euros.

Toute personne familière des pays exportateurs de pétrole le sait, la fixation des prix de vente du pétrole dans une autre monnaie que le dollar n’est pas un sujet nouveau, et comme toute personne au courant de l’économie pourra vous dire, la fixation des prix de vente du pétrole est purement un problème de transaction ; ce qui importe c’est dans quels actifs financiers (ou dans le cas des Etats-Unis dans quels passifs) ces recettes sont alors investies."

Un défi total à la domination du dollar comme monnaie de réserve de la banque centrale implique une déclaration de guerre de facto contre le "spectre total de la domination" américain actuel. Les membres puissants du Conseil de la Banque Centrale Européenne le savent très bien. Les chefs d’état des pays européens le savent. La direction chinoise de même que celle japonaise et indoue le savent. De même que Vladimir Poutine.

Jusqu’à ce qu’un rassemblement des puissances eurasiennes s’organise pour défier avec cohésion la domination débridée des USA, seule superpuissance, il n’y aura pas d’euro, ni de Yen, ni même de Yuan chinois pour rivaliser avec le dollar. Ce problème a une énorme importance, car c’est vital de comprendre la véritable dynamique qui conduit aujourd’hui le monde au bord d’une possible catastrophe nucléaire.

En guise de petite conclusion, un ami d’Oslo m’a transmis un article de la presse norvégienne. Fin décembre, Sven Anid Andersen, le directeur de la bourse d’Oslo, a annoncé qu’il en avait marre de dépendre des transactions en dollars de la bourse pétrolière de Londres. La Norvège, l’un des plus importants producteur de pétrole, qui vend la plupart de son pétrole à des pays européens de l’Union Européenne, devrait dit-il créer sa propre bourse au pétrole et commercialiser son pétrole en euros. Est-ce que la Norvège, membre de l’OTAN, deviendra la prochaine cible de la colère du Pentagon ?

Article de F. William Engdahl paru sur le site canadien www.globalresearch.ca le 10 mars 2006 sous l’intitulé : « No, the Iran bourse is not a casu belli... »

Copyright GlobalResearch.ca
Traduction bénévole pour information non commerciale par MD pour Planète Non violente.

F.William Engdahl contribue comme éditeur au site globalResearch. Il est aussi auteur d’un livre « a century of War : Anglo-American Oil politics and the New world Order » Pluto Press Ltd.
[Il peut être contacter via son site]url :
http://www.engdahl.oilgeopolitics.net/