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Oser réaffirmer la laïcité Par Henri Pena-Ruiz

Publie le mardi 12 juillet 2005 par Open-Publishing
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Le volet social de la commission Stasi n’a pas encore été pris en compte par la loi.

HENRI PENA-RUIZ,
philosophe, membre de la commission Stasi. Dernier ouvrage paru : Leçons sur le bonheur, Flammarion .

Il est des moments où le courage politique consiste à redire la norme, et à lui redonner force de droit. C’est ce qui a été fait avec la loi destinée à réaffirmer la laïcité de l’école publique, inspirée par les travaux de la commission présidée par Bernard Stasi. Mais il est d’autres moments où il faut donner à la norme ainsi réaffirmée les moyens d’être crédible socialement. C’est ce qu’il faudrait faire maintenant, en prenant appui sur le « volet social » du même rapport. Car ce rapport forme un tout, et entend promouvoir de façon générale et multiforme la laïcité. Ce sera le meilleur moyen d’ôter leurs arguments aux adversaires de la loi.

On a trop longtemps opposé deux types d’émancipation pourtant solidaires : l’émancipation laïque et l’émancipation sociale. Cette opposition, hélas, demeure, et conduit à bien des malentendus. Ceux qui récusent le recours à la loi en ont une étrange idée dès lors qu’ils la disent liberticide, alors que, dans un Etat de droit, la loi politique a pour raison d’être de soustraire les rapports entre les hommes à la loi du plus fort. Vérité valable également pour les rapports sociaux et économiques. On peut ainsi remarquer que la justice sociale effective, assortie de l’égalité des chances, renforce la légitimité de l’exigence juridique et politique républicaine. Les deux émancipations se nourrissent d’ailleurs réciproquement.

La laïcité consiste essentiellement à faire du peuple tout entier, sans privilège ni discrimination, la référence de la communauté politique. Celle-ci mérite, dès lors, son nom de République, chose commune à tous : nul credo obligé, nul privilège clérical. Le clergé d’une religion particulière n’est pas contesté tant qu’il se contente d’administrer les choses de la foi pour ceux qui lui reconnaissent librement un tel rôle.

C’est dire que la république laïque ne craint pas, mais appelle bien plutôt, l’esprit critique. Nous sommes aux antipodes d’une communauté qui ne favorise la solidarité qu’en assujettissant les consciences. La laïcité ne confond pas non plus l’idéal d’une libre discussion avec la généralisation du relativisme : la distinction entre croyance et connaissance doit rester bien marquée, sauf à inaugurer un nouveau type d’obscurantisme, et à faire le lit de nouvelles tyrannies. Généreux pari sur la liberté et les lumières, la laïcité entend faire des acteurs de l’espace public des hommes déliés, maîtres de leurs pensées, affranchis de toute tutelle, détenteurs d’une raison « devenue populaire », selon le mot de Condorcet.

Dans la construction de leur « identité », de tels acteurs doivent pouvoir disposer des références spirituelles, religieuses ou non, et non être déterminés par elles, ce qui arriverait assurément si on reconnaissait des communautés au lieu de s’en tenir au droit des individus. Une union qui délie n’a pas à consacrer de telles communautés sous prétexte de « s’ouvrir à la différence », car elle risque alors de promouvoir l’ascendant de la mise en tutelle communautariste sur la dimension émancipatrice de la loi républicaine. Nombreuses sont les jeunes lycéennes qui aujourd’hui se réjouissent de ce que la loi politico-religieuse ne règne pas dans l’école républicaine où elles choisissent de se rendre tête nue, non voilées. Faut-il ne tenir pour rien leur liberté ainsi affirmée, et leur ôter l’appui d’une loi fondatrice qui préserve les lieux publics d’instruction et d’éducation des stigmatisations selon le sexe ou la religion ?

En faisant ainsi le pari d’une liberté individuelle confortée par le droit, la laïcité n’épouse-t-elle pas les illusions de l’abstraction juridique et de l’individualisme qui en est le corollaire ? De fait, au regard des rapports économiques et sociaux qui conditionnent concrètement les individus, l’autonomie dont les crédite le droit peut paraître bien abstraite, puisqu’elle se proportionne à la puissance d’agir dont ils disposent effectivement. Un tel constat appelle une émancipation appropriée, qui est d’ordre social. L’idée républicaine de bien commun, qui articule les droits sociaux et la solidarité redistributive, permet de réaliser l’humanisation sociale de la gestion des gains de productivité. Elle est aujourd’hui essentielle pour rendre crédible l’autonomie de chaque citoyen, car elle lui donne chair et vie.

Une telle problématique met l’accent sur les véritables causes de la misère du monde. Elle permet d’éviter l’erreur de diagnostic qui consiste à imputer à la laïcisation le désenchantement entendu comme naufrage du sens et de l’idéal. Les religions ne représentent d’ailleurs qu’une figure parmi d’autres de la vie spirituelle, et il convient de rompre avec le préjugé qui leur en attribue le monopole.

L’école publique n’est pas un lieu de manifestation, mais d’étude. Elle met en oeuvre, concrètement, le refus de toute discrimination selon le sexe ou la religion. Il s’agit donc de poser une règle de vie commune, et non pas un interdit sélectif. Il s’agit de favoriser la libre construction de soi, par une démarche de recherche et d’émancipation, et non de consacrer une mise en tutelle identitaire de jeunes personnes qui ne sont pas encore maîtresses d’elles-mêmes.

Pourquoi appeler loi d’exception une loi qui précise qu’une telle exigence vaut pour toutes les religions, et pas seulement pour celle qui est dominante ? Faudrait-il faire une exception non pour l’islam mais pour son instrumentalisation politique sous prétexte que nombre de personnes de confession musulmane se trouvent vivre dans des conditions difficiles, liées notamment à un chômage qui frappe davantage la population issue de l’immigration ? Ce serait tout mélanger, et sombrer dans une confusion bien peu libératrice.

Un problème social doit être traité par des mesures sociales, et ce n’est pas parce que quelqu’un souffre d’injustice sociale qu’il faut l’abandonner à la compensation illusoire de l’intégrisme, douteux supplément d’âme. Il est d’ailleurs aberrant d’assimiler toute critique de l’Islam politique à un acte de racisme, et de prétendre que la règle laïque aggrave l’exclusion sociale. Il est scandaleux qu’un professeur soit blâmé d’avoir rappelé en classe certains aspects de la vie d’un homme vénéré comme prophète. Est-ce ainsi que l’on veut promouvoir la connaissance du fait religieux ? Faudra-t-il aussi interdire la lecture de Montesquieu, qui, dans le chapitre XIII du livre XXV de l’Esprit des lois, dénonce les meurtres accomplis au nom du catholicisme ? Et celle de Spinoza, coupable de critiquer les prétentions à la domination politique des autorités religieuses ? Autant prétendre que l’émancipation des consciences par l’école laïque n’a aucune valeur tant que l’émancipation sociale et économique n’est pas advenue. On se demande bien alors comment cette dernière pourra se produire.

Fallait-il intervenir au niveau de la loi ? En termes juridiques, oui. Car les circulaires Jean Zay n’étaient plus en vigueur dès lors que l’article 10 de la loi d’orientation de juillet 1989 délie les élèves de la retenue laïque alors qu’elle l’impose aux enseignants. Cette dissymétrie a montré sa nocivité, notamment en encourageant la démarche de manifestations identitaires et les crispations qui lui sont souvent liées. Deux solutions s’offraient alors : suggérer la suppression de l’article 10 de la loi d’orientation de 1989, ou proposer un texte de loi spécifique. Un consensus s’est dégagé au sein de la commission Stasi pour réaffirmer la laïcité de façon globale, avec notamment un acte fort pour l’école ainsi que pour les services publics. Les élèves ne sont pas de simples « usagers » de l’école : d’où une règle de droit distincte, qui tienne compte de la nature propre du lieu scolaire, et de sa finalité. La cohérence voudrait maintenant que la nouvelle loi qui interdit les manifestations d’appartenance religieuse s’assortisse de l’abandon, ou de la réécriture, de l’article 10 de la loi d’orientation de 1989, incompatible avec elle.

D’autres aspects des propositions faites ont été trop souvent passés sous silence par certains articles de presse qui, à force de parler de « loi sur le voile », ont eux-mêmes créé une stigmatisation imaginaire des musulmans. L’hypothèse d’une telle stigmatisation ne résiste pas à la lecture intégrale du rapport Stasi. Mais elle a été complaisamment et longuement développée, en une sorte de méthode Coué hélas trop efficace. Qui a remarqué que le rapport rappelle l’Etat laïque à ses devoirs en matière d’écoles publiques ? L’existence de nombreuses communes de France sans école publique alors que s’y trouve une école privée sous contrat y est dénoncée comme inacceptable. Qui a remarqué qu’à propos de l’Alsace-Moselle la commission recommande l’inversion du dispositif actuel qui fait obligation aux familles qui ne veulent pas du cours de religion, inscrit dans l’horaire normal des cours, de solliciter une dérogation, ce qui donne à entendre que la religion est la norme et l’athéisme la dérogation à la norme ? Imagine-t-on un cours d’humanisme athée ayant un statut comparable, et l’obligation pour les familles de croyants de solliciter une dérogation ? C’est aux familles de croyants que devrait revenir désormais le soin de solliciter le cours de religion, placé de préférence en dehors des cours communs à tous.

Qui a remarqué le long volet social du rapport, qui appelle à lutter concrètement contre les discriminations à l’embauche, contre la ghettoïsation et l’inégalité des chances ? Qui a observé l’appel à une place accrue de l’histoire de la colonisation dans les programmes scolaires ? L’appel à la lutte contre le racisme et la xénophobie, et aux mesures concrètes qui lui donnent sens, semble également être passé inaperçu. Il en est de même pour le souci d’égalité de statut de toutes les options spirituelles, qu’elles relèvent de l’athéisme, de l’agnosticisme ou de la croyance religieuse.

Bref, le texte de compromis que représente le rapport de la commission Stasi, pris dans son ensemble, se trouve aux antipodes d’une loi d’exception ou de l’acharnement sur une religion particulière. On peut penser que la prise en compte souhaitable de l’ensemble de ses propositions permettra de le montrer, et de récuser les mauvais procès.

© Libération 04/04

Messages

  • on rappellera tout de même que la commission stasi n’a pas jugé bon d’interviewer des élèves portant le foulard (les premières concernées par toute cette affaire tout de même !)... et que la plupart des témoignages recueillis étaient à charge, alors même par exemple que de nombreux professeurs se sont opposés à la logique d’exclusion de la loi et qu’il aurait été bon d’entendre des enseignants qui travaillent depuis longtemps dans des classes où étudient des élèves portant le foulard

    par ailleurs, il était évident dès le départ que le rapport de la commission stasi, pour ce qui est de la partie sur la lutte contre les discriminations, serait enterré.

    on lira avec profit sur le rapport de la commission stasi, le texte d’emmanuel terray "la question du voile, une hystérie politique" :
    http://www.editionsamsterdam.fr/extraits/foulardterray.htm

    marrant aussi de voir que le texte de pena-ruiz, un chantre de l’Etat national-républicain, a été publié par un certain "anarco"