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Pourquoi le patronat est en réalité opposé au travail dominical

par Sébastien Durand

Publie le mardi 1er octobre 2013 par Sébastien Durand - Open-Publishing
2 commentaires

Dans le flou juridique qui entoure en France l’épineuse question du travail dominical, le patronat navigue avec aisance, se servant tantôt des arguments des uns, tantôt des intérêts des autres pour tirer la couverture à lui. Les travailleurs, quant à eux, ne sont absolument pas pris en compte, ni par les syndicats, ni par les patrons, ni par le gouvernement.

On pourrait croire que les sondages se trompent sur le travail dominical, tant les conclusions qui en ressortent sont contradictoires. En réalité, les intérêts en jeu sont multiples et divergent en fonction de la question posée.

D’une manière générale, les consommateurs français sont favorables au travail dominical (Ifop 2012). Les travailleurs le sont également, surtout lorsque l’on interroge les étudiants et les parents isolés. Il n’y a qu’à se référer pour s’en convaincre aux nombreux témoignages disponibles en ligne comme celui d’une mère célibataire en avril 2013 ou d’une étudiante en décembre 2012 sur Rue 89. Les Français prennent progressivement conscience que la fermeture des magasins le dimanche n’empêche pas de réaliser ses courses…sur internet au détriment des commerces de proximité et du lien social. Les questions pratiques (tout le monde ne peut pas ou n’a pas envie d’acheter en ligne), la vie de quartier mais surtout l’emploi semblent donc au cœur des préoccupations des sondés lorsqu’ils se prononcent pour un assouplissement de la loi sur le travail dominical. A condition, bien entendu, qu’il soit basé sur le volontariat et qu’il rapporte un supplément de revenu.

Les syndicats, pour leur part, semblent s’être lentement écartés des aspirations des milliers d’employés qui manifestent régulièrement leur souhait de travailler le dimanche. Il ne s’agit pas de ressortir le vieux refrain « travailler plus pour gagner plus », mais de travailler un jour où le salaire est majoré sans que la durée hebdomadaire de travail soit impactée. En novembre 2012, 300 salariés de Castorama manifestaient ainsi devant le siège parisien de Force ouvrière pour tenter d’infléchir le cap syndical et, en mai 2013, plus d’un millier d’employés de Leroy-Merlin et de Castorama défilaient dans les rues de Paris. Entre les deux, en février dernier, la CGT obtenait du tribunal de grande instance de Caen qu’il ferme 7 commerces de proximité le dimanche, sans même consulter les salariés de ces établissements ! Les étudiants et les salariés concernés, qui comptaient sur une augmentation de leur pouvoir d’achat, ont pu alors prendre la mesure du décalage existant entre leurs aspirations et les actions de ceux qui sont censés les aider à les réaliser.

Du côté des patrons, on pourrait s’attendre à une unanimité en faveur d’une mesure qui à première vue sert leurs intérêts. La réalité est plus complexe car deux tendances opposent frontalement les « petits » aux « grands ». Les « petits commerçants » regroupent, les commerces de quartier et les propriétaires d’enseignes de tailles modestes (inférieures à 400 m²), c’est-à-dire les supérettes du coin de la rue. Ceux-là, dans leur immense majorité, réclament le droit d’ouvrir le dimanche après-midi pour répondre aux demandes de leur clientèle. Ce sont eux qui non seulement donnent vie aux centres villes mais embaucheraient le dimanche davantage d’étudiants ayant besoin de financer leurs études et d’employés qui trouveraient leur compte à travailler un jour mieux payé et où la solidarité familiale facilite souvent la garde d’enfant. Les « grands » regroupent les hypermarchés la plupart du temps situés à la périphérie des métropoles et fédérés au sein de puissantes organisations professionnelles. Ceux-là, et c’est ici que réside l’ambiguïté de l’ouverture des commerces le dimanche n’y sont pas foncièrement opposés. Ils craignent en revanche le travail dominical. Celui qui offre des repos compensateurs, celui qui majore les salaires, celui qui octroie des primes. Ce patronat veut bien ouvrir les portes de ses magasins le dimanche, la nuit ou les jours fériés mais à la seule condition qu’ils n’en paient pas les contreparties en automatisant ses méthodes de ventes, avec des systèmes de drive-in, de vente sur internet, de douchettes à code-barre et autres caisses en libre-service. Ce patronat cherche à accroitre la rentabilité des points de vente sans aucune autre considération.

En somme, les travailleurs ont beau réclamer l’obtention du droit de travailler le dimanche, ils ont en face d’eux des patrons aux intérêts divergents et des syndicats qui n’entendent plus leur base et se trompent de combat. Le tout dans une joyeuse cacophonie politique qui étouffe les propositions d’une Anne Hidalgo, candidate socialiste à la mairie de Paris ou d’un groupe de députés socialistes conscients que la législation doit évoluer. Face à eux, l’exécutif, effrayé par une remise à plat du maelström réglementaire, semble considérer qu’il est urgent d’attendre alors même que pour les seuls grands magasins du boulevard Haussmann à Paris, l’ouverture dominicale aboutirait à la création de 1 000 emplois. Dans le domaine non alimentaire, et selon le Credoc, l’ouverture dominicale pourrait aboutir à la création de 14 800 emplois, en retenant l’hypothèse d’une ouverture de 20% des magasins le dimanche.

L’intérêt des travailleurs n’a que faire des rigidités idéologiques ou du cynisme d’une partie du patronat. Plus qu’un droit, travailler le dimanche est une liberté qui n’a aucune raison valable d’être refusée.

Messages

  • L’argumentation, grotesque, est basée sur le modèle de l’ l’Homo oeconomicus, une singulière conception où la société ne serait qu’une agrégation d’individus "informés" et optimisateurs", sans liens autres que marchands entre eux.

    Si CERTAINS salariés sont prets à travailler le dimanche, c’est parce que les salaires dans le secteur du commerce sont insuffisants pour vivre.
    C’est pourtant un secteur où l’activité n’est PAS délocalisable.

    La seule question à poser est donc : comment augmenter les salaires COLLECTIVEMENT, sans dégrader les vies personnelles des travailleurs ?

    De manière analogue, postuler que les étudiants doivent travailler pour financer leurs études est une aberration.
    Soit on étudie, soit on travaille, mais on ne fait pas les deux sous peine d’épuisement ou d’échec scolaire.
    Donc si on considère que les études sont utiles pour l’ensemble de la société, on protège les étudiants de la nécessité en les dotant COLLECTIVEMENT des moyens d’étudier.

    Enfin, le patronat, quelles que soit les orientations surprenantes que ce curieux texte lui prête ne saurait être opposé à la casse du droit du travail, parce que si le travail du dimanche se banalise, il n’aura aucune difficulté à faire changer la loi par ses parlementaires-laquais pour supprimer les majorations de salaire..du dimanche !