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« Pousser Gaza dans l’isolement risque de se retourner contre le président Abbas »
Publie le mardi 19 juin 2007 par Open-PublishingInterview de : Amjad Shihab
Les décisions du président Abbas peuvent-elles permettre une sortie de crise ?
Amjad Shihab. Cela me paraît très risqué. Le fait de gouverner à présent par décrets montre que ces décisions ont été prises sous le coup des pressions extérieures notamment américaines mais sans un large soutien intérieur. Or s’en remettre aux Américains, voire aux -Israéliens et ne pas se soucier d’avoir le soutien réel du peuple est une erreur. Hamas a su profiter de la faiblesse de Mahmoud Abbas, du manque de discipline au sein des forces de sécurité dont beaucoup de chefs avaient une très mauvaise réputation et qui sont restés en fonction malgré les accusations de corruption portées à leur encontre. Le fait de refuser tout dialogue avec le Hamas et de pousser la bande de Gaza dans l’isolement total risque de se retourner contre le président Abbas et de consolider le pouvoir du Hamas.
Quelle est la stratégie du Hamas ?
Amjad Shihab. Hamas n’est pas une organisation homogène. Il existe deux courants principaux, l’un dur, l’autre plus modéré. Ils ont suivi la voie modérée pensant que c’était le bon moment pour entrer dans le processus politique et participer aux élections législatives qui les ont portés au pouvoir. Ils ont alors continué sur cette voie, acceptant même dans le cadre du gouvernement d’union nationale de céder trois postes clés, dont celui de l’intérieur. En retour ils n’ont rien reçu même pas un simple allégement de léconomique. La ligne modérée arrivait au bout de ses concessions selon l’idéologie de ce mouvement et la ligne dure a alors pris le relais avec les résultats que l’on connaît. Mais ils ont été élus démocratiquement, et le premier Ministre Ismaïl Haniyeh, qui ne reconnaît pas son limogeage, continue de représenter la ligne modérée, en appelant au dialogue.
Quelles garanties a le président Abbas que les Occidentaux vont réellement le suivre ?
Amjad Shihab. Il ne semble pas avoir compris que les Occidentaux n’ont jamais rien fait pour lui que ce soit lorsqu’il fut premier ministre sous la présidence de Yasser Arafat, ou depuis son élection à la présidence. Il a reçu beaucoup de promesses notamment de l’administration Bush et a fait beaucoup de promesses en retour au peuple palestinien. Washington n’ayant pas respecté ses engagements, il n’a pas non plus respecté les siens. Ce n’est pas en assurant les salaires des fonctionnaires grâce aux aides américaines promises que l’on va sauver l’autorité nationale. Si le Fatah n’écarte pas ses cadres accusés de corruption et de collaboration avec l’occupant israélien, pour laisser aussi apparaître de nouvelles têtes, ce qu’il aurait déjà dû faire depuis longtemps, il court à sa perte. À court terme il peut gagner des points car les gens sont dans une situation économique déplorable, mais à long terme cela ne peut pas marcher. Cela n’apportera pas la stabilité et l’État souverain que souhaitent les Palestiniens. Or, si les Américains et les Israéliens avaient réellement l’intention de laisser les Palestiniens avoir leur État, ils auraient oeuvré concrètement dans cette voie depuis longtemps.
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Entretien réalisé par Valérie Féron
[1] Amjad Shihab est professeur de sciences politiques à Jérusalem.