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Pris pour cible par un gendarme

Publie le mardi 28 octobre 2003 par Open-Publishing

A Moissac, manif après que des jeunes ont essuyé des tirs nourris. L’un d’eux est dans le coma.

Par Gilbert LAVAL

Moissac (Tarn-et-Garonne) envoyé spécial

La 205 a été trouée cinq fois. Un impact dans la portière du chauffeur, quatre autres dans les vitres latérales du véhicule. Tout le chargeur du fusil d’un gendarme y est passé. Dimanche 19 octobre à 6 heures, sur le pont Napoléon à Moissac, le seul tort de Nacer Boutekrabt aura été de ne pas se garer pile où on le lui demandait. Le jeune homme qui conduisait ce matin-là s’en est bien tiré. Avant-hier, il était en tête de la petite manifestation devant le palais de justice de Moissac pour demander que la sécurité ne tourne pas à la « guerre contre les jeunes et les jeunes n’ayant pas la peau blanche en particulier ». Ses autres passagers n’ont pas eu la même chance. Ramzi Haggui, qui se trouvait à l’arrière, a encore l’oeil gauche blessé par des éclats de verre. Quant à Nadjib Naceri, 22 ans, qui était assis à l’avant, il est maintenu dans le coma au CHU de Toulouse, une balle derrière l’oreille. « On s’est fait tirer comme des lapins », dénoncent ses deux amis. Depuis mardi, le gendarme en cause dort en prison à Perpignan, mis en examen pour « violences avec arme ».

« Justice ». « Rien sur le bas de caisse, en direction des pneus, s’emporte l’avocat Christian Etelin. Ces tirs à hauteur d’homme étaient visiblement destinés à faire le plus de mal possible. » Un bras sur les épaules de ses clients, Me Etelin passe aussi beaucoup de temps à leur expliquer qu’un gendarme n’est pas toute la gendarmerie, que la justice est au travail et qu’il faut lui faire confiance.

Sept voitures et un autobus ont brûlé à Moissac dans les deux nuits qui ont suivi l’incident. Puis le calme est revenu, une fois le gendarme en prison. « On connaît bien les gendarmes, racontent les jeunes manifestants. Nadjib croisait souvent au Bar du Pont-Neuf celui qui lui a tiré dessus. » Comme pour illustrer le propos, Ramzi Haggui est salué par la patrouille de gendarmes qui remonte les allées Montebello. La banderole déployée en tête du cortège, samedi, leur était pourtant destinée : « Sécurité mal ciblée, gendarmes à désarmer. » Mais le rassemblement s’est tenu dans le calme. « C’est la justice qu’on demande », clament les amis, la mère et la fiancée de la victime.

Moissac, des vergers, des légumes et 13 000 habitants dont quelque 1 500 issus de l’immigration. Les parents sont arrivés là pour travailler aux champs dans les exploitations maraîchères. Il n’y a pas de quartier ghetto, et pas plus d’insécurité qu’ailleurs. En 1999, un gendarme de Moissac s’était fait prendre à évoquer une « ville de melons ». Il s’en est tiré avec une mutation après quelques explications embarrassées sur les spécificités maraîchères de la ville...

Ce coup-ci, les explications du gendarme n’ont pas convaincu le magistrat instructeur. Le militaire, décrit par sa hiérarchie comme « psychologiquement fragile » depuis le décès accidentel de son fils il y a un an, assure n’avoir tiré que pour empêcher le véhicule de fuir. Mais la voiture des trois amis était arrêtée, l’identité de son chauffeur déjà relevée, et un test d’alcoolémie avait été pratiqué avant les tirs.

Sang dans les yeux. A en croire le passager arrière Ramzi Haggui, le test s’étant révélé positif, le premier gendarme leur aurait demandé de se garer sur le bas-côté droit de la chaussée. Des voitures en stationnement auraient gêné la manoeuvre. « En première, à 5 km/h », selon Ramzi, le conducteur décide alors d’aller stationner sur le bas-côté gauche, devant l’Hôtel du pont Napoléon. C’est à ce moment que les coups partent, tirés par le second gendarme : « J’ai baissé la tête en entendant l’armement du fusil, puis j’ai compté cinq tirs, dit Ramzi. J’avais déjà du sang plein les yeux. »

Nacer, le chauffeur, aurait alors accéléré pour échapper aux balles. Dans la panique, les trois amis ont abandonné la voiture 400 mètres plus loin et se sont mis à courir. Jusqu’à ce que Nadjib s’effondre. « J’ai vu qu’il saignait, reprend Ramzi. Je l’ai pris sur mes épaules. » Ils se sont alors plantés au milieu de la rue pour demander du secours. C’est une infirmière qui s’est arrêtée et les a conduits à l’hôpital. L’Inspection générale de la gendarmerie nationale est au travail. Des affichettes en ville exhortent Nadjib à s’accrocher à la vie.

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