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"Quand il y avait Enrico" ou la mythologie propagandiste de Veltroni

par Stop aux mythes !

Publie le vendredi 18 décembre 2015 par Stop aux mythes ! - Open-Publishing
3 commentaires

Arte a diffusé récemment le "documentaire" de Walter Veltroni sur Berlinguer.

J’ai bien compris que dernièrement dans une partie de la gauche italienne et française, c’était très "à la mode" de pleurer le "bon Enrico".

Regrets, nostalgie, monument à la gloire de ....rien ne nous sera épargné.

Que ce soit un Veltroni qui ait décroché la "palme" pour ce type de vidéo est très signifiant d’ailleurs.

Voici ce que cela m’a surtout inspiré.

D’abord, que je veux bien discuter du PCI et de Berlinguer mais pas sur la base d’un "documentaire" aussi mièvre et cu-cul la praline que celui de Veltroni !

Ce n’est pas du documentaire d’ailleurs, c’est juste un "truc" où Veltroni dit toute sa fascination pour Berlinguer.

Çà le regarde, c’est son problème, ses états d’âme. Mais ce n’est pas un "document historique".

Rien que le générique d’introduction, c’est pathétique, c’est "Autant en emporte le vent" au pays des Soviets !

Ce qui se passe vraiment en Italie à cette époque en revanche, "du temps où il y avait Berlinguer", toutes les contradictions, de la société, de la classe politique, etc etc, l’incroyable creuset de la gauche extra parlementaire, les tentatives de coup d’état fascisto-mafio-démo-christiennes , les grandes luttes ouvrières, l’opéraisme, l’autonomie, les années de plomb, la répression, les morts..... tout ce qui a fait que toute une partie (importante) de la jeunesse de gauche, y compris issue des jeunesses communistes du PCI, était révulsée d’horreur par la politique de compromission du PCI, les positions pro-étatistes, pro-police etc.... de Berlinguer à l’encontre la gauche extra parlementaire (forcément toujours "manipulée," pleine de "voyous", "lumpen" etc etc etc ) motus et bouche cousue. On ne dira rien.

J’imagine que ça entacherait le panégyrique....

C’est bien dommage car c’est quand même ça qui était intéressant aussi. Surtout.

La stratégie de Berlinguer, pour tenter de sauvegarder l’hégémonie d’un PCI qui était contestée fortement dans la jeunesse et jusque dans les usines, de se rapprocher de la DC plutôt que l’extrême gauche, qui a contribué, au drame de la mort de Moro, en poussant les BR dans des retranchements dont plus personne ne pouvait sortir sans une issue fatale, tout ça on n’en dira pas un mot justement parce que en ce moment en Italie, c’est à la mode de pleurer sur "Enrico".

Et quand je mentionne à dessein le fait que Berlinguer était le cousin de Cossiga (ce qui fut longtemps un fait tenu soigneusement secret), qu’ils venaient du même bled sarde, qu’ils étaient proches, ce n’est pas par "diétrologie", ça veut justement dire quelque chose sur cette espèce de "rétro-histoire" qu’on veut nous faire accroire aujourd’hui sur Berlinguer "naïf, poète etc etc".
Non non .
Stop.

Stop à la mythologie, dont notre société et la gauche dans son ensemble, souffrent bcp trop dernièrement.

Volontairement ou pas, les cousins Berlinguer et Cossiga se répondaient dans toute cette époque. Berlinguer avait aussi besoin de la stratégie de la tension, de la répression qui touchait exclusivement l’extrême gauche. Et qui faisait monter l’aile gauche de la DC, donc, Moro, et qui permettait à l’aile droite de la DC d’accentuer encore le rejet de l’aile gauche ert etc... Et pendant que les partis de gouvernement se perdaient mutuellement dans les dédales de leur labyrinthe politico-mafieux, il se préparait le pire, et surtout, il se préparait d’étouffer le véritable mouvement contestataire italien, par tous ses bouts. Stratégie fatale...

Berlinguer a bien été un des artisans du désastre de la gauche italienne (pas le seul ok mais un de ses artisans, quand même), et in fine, de la victoire de la DC, de l’effondrement des forces vives de la lutte italienne.

C’est quand même fou de réussir dans un documentaire (sic) pareil, à ne pas dire un mot (pas UN !) de "l’autre parti communiste italien", cette espèce de continuum, de vaste étendue, de plaine immense, qui réunissait pourtant des dizaines de milliers de militant-e-s, qui allait d’Avanguardia Operaia, (puis Democrazia Proletaria), à Potere Operaio, Lotta Continua, les CUB, les COBAs, Movimento Studentesco , Katangas, Il Manifesto etc etc ....et dont les Brigate Rosse furent certes le point le plus saillant (et celui dont le pouvoir choisit d’ailleurs de s’emparer de préférence aux autres), le plus "abouti" en termes de lutte armée, mais pas la seule "éruption".

Quiconque voit les photos des manifestations monstres à Milan, Bologne, Rome, Gênes... dans les 70’s ne peut que comprendre une chose si on n’est pas de trop mauvaise foi : même désuni, même fragmenté, même divers, voire opposé même, très souvent y compris jusqu’aux mains, il y avait "quelque chose" de communiste, de marxiste, un véritable concurrent en devenir, qui était un mouvement, en face du PCI institutionnalisé, statique, engoncé dans son rapport incestueux à l’Etat, et cela je pense que tout simplement, c’était intolérable, pour Berlinguer et pour le PCI.

Et c’est pour ça aussi que le documentaire de Veltroni me révulse littéralement. Parce que sous couvert de son portait totalement idyllique de Berlinguer (il n’y aurait que ça à lui reprocher ce ne serait pas si grave) c’est une pure œuvre de propagande politique de négationnisme. Et bien sûr, qu’attendre d’autre de la part d’un Veltroni, hein ? Et bien rien que cela.Continuer sa quête pour effacer et salir, tout ce qui lui a tellement fichu les jetons dans sa jeunesse PCIste : l’extrême-gauche, la gauche extra parlementaire !

Se servir encore et toujours, du sentimentalisme, pour fermer les yeux des uns, clore la bouche des autres, ça fiche dans une colère folle.

Surtout que vraiment, ça suffit, on a assez joué avec cette période de l’histoire italienne ici et là, il serait temps de faire un retour critique, mais un vrai, je veux dire et pas juste des "ballades" au gré des humeurs des uns ou de autres, pas des soupes qu’on nous sert continuellement à base de complotisme forcené sur les BR ou autres (le rapport de la commission "Moro" paru récemment est spectaculaire en termes de psychiatrie politique, à ce propos) .

Bref, voilà, la raison profonde de ma colère contre ce documentaire. Qui nous fait du mal à toutes et à tous, qu’on partage ou pas les mêmes idées politiques. Parce que c’est de la fiction, de la mythologie, de la propagande. Et de ça on en a vraiment trop soupé, BASTA !

La seule question qui mériterait d’être posée : pourquoi ce choix politique, ce choix terrible, de Berlinguer de faire alliance avec la DC plutôt qu’avec l’extrême-gauche, à ce tournant de l’histoire italienne ? Pourquoi s’appuyer sur le parti d’Andreotti plutôt que sur la rue, la jeunesse ? Quelle signification politique ? Évidemment, cette question là Veltroni fera surtout tout pour ne pas la poser.

A dessein.
Volontairement.

Messages

  • Petite bibliographie complémentaire à cet intéressant article, non exhaustive bien sûr" "

    "Camarade P.38" Fabrizio Calvi Grasset 1982
    "Insurrection" Paolo Pozzi Editions Nautilus 2010
    " A l’assaut du ciel. Composition de classe et lutte de classe dans la marxisme autonome italien" de Steve Wright Editions Senonevero ( contient une chronologie très détaillée pages 217 à 260 1956-1980 des principaux événements en Italie)
    " Autonomie ! Italie, les années 70 " Marcello Tari aux éditions La Fabrique 2011
    3 ouvrages parus aux Editions "Les Nuits Rouges" :

    " La Fiat aux mains des ouvriers ; L’automne chaud de 1969 à Turin De Diego Giachetti et Marco Scavino 2005 : la genèse du mouvement par deux historiens
    " La "Garde Rouge" raconte, histoire du Comité ouvrier de la Magneti Marelli ( Milan, 1975-78) Emilio Mentasti 2009 : un comité ouvrier dans une usine de la banlieue de Milan
    " Pouvoir ouvrier à Porto Marghera Du Comité d’usine à l’Assemblée de territoire(Vénétie – 1960-80) Devio Sacchetto et Gianni Sbrogio Parution septembre 2012 "

  • Et pour celles et ceux qui lisent l’Italien :
    " M.Balestrini, P.Moroni, « l’Orda d’oro », Feltrinelli 2003."

  • Personne n’a mentionne "les bons gauchistes"... on a juste decrit une situation factuelle que Veltroni a totalement passee sous silence. Quand a ce que demontre l’histoire actuelle sur les PC : en effet oui !!!!!!! Le PCI est mort et enterre et le PCF vote l’etat d’urgence avec Valls !!! Quelle reussite :-D