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Régimes spéciaux : quel acharnement !

Publie le mercredi 14 novembre 2007 par Open-Publishing

Retraite. L’intransigeance affichée par le gouvernement reflète moins une volonté d’équité que l’intention d’imposer à tous les salariés, en 2008, de nouveaux reculs de leurs droits à la retraite.

de Yves Housson

Pourquoi tant d’acharnement contre les régimes spéciaux ? À la veille d’une nouvelle épreuve de force, la détermination du gouvernement et du chef de l’État à faire céder à tout prix - y compris celui d’une forte gêne pour des millions d’usagers, pour de nombreuses entreprises - les agents de la SNCF, de la RATP et d’EDF-GDF ne laisse pas d’interroger.

Premier constat : si les salariés des entreprises publiques concernées ont beaucoup à perdre dans la réforme annoncée, les assurés sociaux du secteur privé, les contribuables n’ont, eux, rien à gagner. Contrairement à la propagande officielle, les régimes spéciaux ne vivent pas aux crochets des autres : dans le système de « compensation » financière qui assure la solidarité entre les divers de régimes de protection, ils versent plus qu’ils ne reçoivent. Et ce qu’ils reçoivent (1,5 milliard d’euros) est très inférieur aux montants reçus par les régimes des professions libérales et des exploitants agricoles (6,5 milliards). Quant aux subventions de l’État, importantes pour le régime de la SNCF (54 % de ses recettes), elles ne visent pas à financer les droits spécifiques des cheminots, mais, en vertu d’un règlement européen, à couvrir le déséquilibre démographique de l’entreprise. Si ce n’était plus l’État, il reviendrait à la Sécu de le prendre en charge… En vérité, ces droits particuliers qu’il faudrait, selon MM. Sarkozy, Fillon et Bertrand, éliminer toutes affaires cessantes, ce sont les entreprises qui les financent elles-mêmes par le biais d’une cotisation plus élevée (12 % de plus à la SNCF que dans le régime général du privé, par exemple). Ne serait-ce d’ailleurs pas là l’une des raisons de l’intransigeance gouvernementale : faire disparaître ce « mauvais exemple », et venir ainsi à l’aide d’un MEDEF arc-bouté sur son refus d’augmenter la contribution patronale à un système des retraites dont les charges s’accroissent inéluctablement ?

Quant à l’argument de l’équité, il résiste mal à une comparaison honnête des situations. Si les régimes spéciaux offrent d’indéniables avantages, en particulier une durée de cotisation plus faible (37,5 ans pour une retraite à taux plein) et la possibilité de départs anticipés pour travaux pénibles ou astreignants, les âges de sortie de la vie professionnelle sont très proches dans le public et dans le privé (entre 57,5 et 58,5 ans), tout comme les niveaux moyens de pension (1 259 euros pour les ouvriers dans le privé, 1 214 euros dans le public). Enfin, l’idée avancée par Sarkozy durant la campagne présidentielle, selon laquelle les sacrifices imposés au demi-million de salariés des régimes spéciaux permettraient de relever les petites pensions dans les autres régimes (25 millions d’assurés), elle tenait si mal la route qu’elle a été déjà abandonnée.

Alors quoi ? Si les droits des cheminots, des agents de la RATP et d’EDF-GDF gênent tant, c’est qu’ils constituent le dernier obstacle à lever pour pouvoir imposer une nouvelle régression pour tous les assurés. Le premier ministre a mangé le morceau : lors du rendez-vous d’étape de 2008, il entend imposer un nouvel allongement de la durée de cotisation, à 41 années d’ici à 2012. Soit - dans le contexte d’un chômage et d’un sous-emploi persistants, et d’un travail si maltraité qu’il use et pousse vers la sortie bien avant l’âge de la retraite - la poursuite du mouvement de baisse du niveau des pensions engagé avec les réformes Balladur en 1993 et Fillon en 2003. Les chiffres publiés hier par la CGT sont accablants et devraient à tout le moins interpeller notre « président du pouvoir d’achat » : un ouvrier partant à la retraite à 60 ans pouvait compter, en 1998, sur une pension représentant plus de 80 % de son dernier salaire ; en 2015, elle tombera à 66 %, et, en 2045, à 47 % ! À ce rythme, les prochaines générations seront bien les sacrifiées du droit à la retraite. Auxquels il ne restera plus, alors, qu’à faire miroiter les promesses empoisonnées de la capitalisation… Et l’on touche, ici, au noeud de l’affaire. En braquant les projecteurs sur les « privilèges » des régimes spéciaux, le gouvernement veut esquiver la question clé pour l’avenir du système des retraites : devant l’échec patent des recettes utilisées ces dernières années, qui n’ont pas empêché le déficit de la Sécu de gonfler, quelle réforme du financement pourrait permettre de relever le défi démographique ? Imposer ce débat n’est pas le moindre des enjeux de la grève de demain.

http://www.humanite.fr/2007-11-13_P...