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René Pétillon, Breton croqueur de Corses

Publie le lundi 2 août 2004 par Open-Publishing

de Yves-Marie Labé

Le dessinateur de presse et auteur de BD nourrit tous ses albums de l’actualité. Les aventures corses de son détective au gros nez, Jack Palmer, se sont vendues à 300 000 exemplaires et font l’objet d’un film.

Des gants de jardinage traînent sur un rocher de granit, sur la pelouse plantée d’araucarias, hortensias, chênes et autres bambous... Dans sa maison de Port-Manech (Finistère) bâtie à quelques pas de l’océan, René Pétillon cultive son jardin. Il a les yeux bleus et le teint pâle des Bretons du Finistère nord, la silhouette fragile et, à 58 ans, la chevelure prématurément blanchie. Il arbore un infini sourire.

C’est que René Pétillon est un dessinateur heureux. Dans son havre finistérien, abritant sous les combles un atelier aux murs blancs équipé d’ordinateurs et de tables à dessin, il n’arrête pas, passant alternativement du sécateur aux feutres et aux pinceaux. "Je travaille beaucoup. Dès que j’ai une idée, il faut que je la traduise en dessin. Cela m’embêterait d’être en vacances sans projet", confie-t-il.

Chaque début de semaine, il envoie ses dessins au Canard enchaîné, auquel il collabore depuis onze ans et, avant le week-end, au Journal du dimanche, où il remplace, le temps des vacances, son ami Georges Wolinski. Dans l’intervalle, il travaille à l’une de ses BD. "J’ai besoin des deux : je suis attiré par l’actualité immédiate, qui exige des réactions à chaud. J’ai la chance d’être assez rapide en dessin de presse. Mais j’aime aussi le travail de longue haleine que requiert une BD." De temps à autre, René Pétillon, à la fois journaliste et auteur de BD, réalise une parfaite synthèse des deux, en réunissant en album ses dessins de presse, riche d’inédits ou de croquis dont Le Canard n’a pas voulu - trop délirants, trop teintés d’humour noir. Vient ainsi de paraître Vous pensez à quoi en ce moment ? (Albin Michel), florilège de l’actualité politique récente où Nicolas Sarkozy, tête de Turc de Pétillon parmi d’autres, tient la vedette.

Aujourd’hui, celui qui se sent "davantage journaliste qu’artiste" s’est consacré à une énième enquête de Jack Palmer - "la douzième ou treizième, je ne sais plus très bien". Cette fois, le héros, gros nez et chapeau difforme, trench-coat sur les talons et incroyable don pour se prendre les pieds dans le tapis d’enquêtes souvent vaseuses, pose ses brodequins sur des pistes menant à l’Afghanistan - l’actualité, toujours - mais sans réussir à s’y rendre.

Le détective loser Jack Palmer est le joker de René Pétillon. Il a fait de lui un auteur célèbre. L’Enquête corse, tribulations politico-comiques de Jack Palmer dans l’univers nationaliste de l’île, a été consacrée en 2001 par le Prix du meilleur album au Festival de la BD d’Angoulême, et plébiscitée par les lecteurs. 300 000 exemplaires vendus, sans oublier la version en langue corse qui totalise quelque 30 000 exemplaires, couronnée par le Prix de l’humour corse. Un succès qui devrait se poursuivre au cinéma : le film tiré des aventures insulaires de Palmer sortira en octobre.

Le triomphe de L’Enquête corse a "stupéfié" son auteur. "L’intérêt pour la Corse m’était venu au Canard. Je ne suis allé en Corse qu’une fois. J’ai lu plein de livres sur le sujet. Il passionne les Français, et les Corses adorent qu’on parle d’eux, analyse-t-il aujourd’hui. Mon souci était d’être drôle en respectant les faits, de faire passer une crédibilité par les gags. Et puis, pour un Breton qui a la réputation d’être introverti, c’est un vrai plaisir de mettre en scène du théâtre méditerranéen..."

Jack Palmer n’est pourtant pas un nouveau-né de la BD. Il a été conçu en 1974 dans Pilote. Auparavant, le "père" du détective, parfait autodidacte, a adressé ses dessins aux rédactions. Cet admirateur de la revue américaine Mad et des Peanuts débute par des croquis coquins et des dessins d’humour dans les revues Planète et Plexus, alors dirigées par Louis Pauwels, mais aussi L’Enragé ou Penthouse. Il est entré à Pilote en 1972.

"J’AIME LES RIGOLOS"

Il y croise F’Murr, Jacques Tardi et Yves Got. Avec ce dernier, il conçoit une première BD, Gomar et Kolabuck, noms empruntés "pour leur consonance BD" à deux garagistes de Lesneven, ville bretonne où il est né. Puis le duo lance Le Baron noir dans le magazine L’Echo des savanes que Claude Perdriel, patron du Matin de Paris, intègre aux pages du quotidien. Le "strip" (BD en quelques cases) racontant les aventures allusivement politiques de ce volatile doué de non-sens y sera publié de 1977 à 1980.

Entre-temps, René Pétillon a quitté Pilote et les éditions Dargaud pour Albin Michel. "Dargaud avait refusé mon Chien des Basketville, dit-il. Alors que les éditions Albin Michel prennent des risques tout en me fichant la paix. Ils viennent de le prouver encore en publiant deux albums écrits avec Jean-Marc Rochette, Panique à Londres et Scandale à New York, deux histoires bien fêlées." Là aussi, l’actualité domine, parée des traits de l’humour et de la démesure : la guerre en Irak, la gloire et la chute d’un tycoon français dont Jean-Marie Messier, ex-PDG de Vivendi, pourrait être le modèle.

Entre-temps aussi, René Pétillon s’est vu décerner le Grand Prix d’Angoulême, en 1989. "J’étais content mais un peu embarrassé : ce prix réveillait en moi un complexe d’imposture, confie-t-il. Ce que je fais est agréable, mais ce n’est pas très important. D’autres sont plus doués que moi sur le plan graphique. Moi, je trouve des idées en dessinant. Il y a de vrais dessinateurs : des anciens comme Franquin, Tillieux, Hergé, Uderzo ou Charles Schulz dont le dessin des Peanuts m’aveugle ; des gens de ma génération comme Martin Veyron, ou des jeunes comme Manu Larcenet, Lewis Trondheim ou Riad Sattouf. Moi, je me débrouille !"

A la base de cette modestie non feinte, il y a "cette folie de l’insatisfaction, l’espoir de faire toujours mieux et de trouver l’idée infiniment drôle. Parce que finalement ceux que j’aime, ce sont les rigolos !", assure-t-il. Cette distance amusée n’empêche pas René Pétillon, qui s’autodéfinit comme un "pessimiste gai", d’être le partenaire favori d’autres grands de la BD, comme Jean-Marc Rochette, Florence Cestac (avec laquelle il prévoit une suite à Super-Catho) ou Jacques Tardi avec qui Pétillon espère "trouver le temps de travailler, un jour". En attendant, cet ancien "mauvais élève" se réjouit que son fils, qui prépare son doctorat en archéologie sur "les pointes de flèche à base fourchue du magdalénien", ait choisi d’illustrer sa thèse de dessins de l’auteur de BD Gary Larson.

Yves-Marie Labé

Vous pensez à quoi en ce moment ? (Albin Michel).

Biographie

1945 Naissance à Lesneven (Finistère).

1974 Première aventure de Jack Palmer.

1976 "Le Baron noir" avec Yves Got.

1989 Grand Prix d’Angoulême.

2001 "L’Enquête corse".

2004 Publie "Scandale à New York". Sortie du film "L’Enquête corse".

http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-374366,0.html