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Repenser le rôle économique de l’Etat dans la jungle des marchés

par TDinenc

Publie le mardi 19 mars 2013 par TDinenc - Open-Publishing

Un Etat est-il encore souverain lorsqu’il s’agit de décider de l’avenir de son industrie ? Avec l’avènement du dogme ultralibéral en embuscade, la marge de manœuvre semble étroite. A moins de prendre des décisions politiques judicieuses, et de les assumer avec courage.

Quel doit être le rôle de l’Etat dans l’attribution des marchés ? Un Etat est-il souverain pour décider qui seront ses partenaires industriels et économiques ? Avec la mondialisation, la marge de manœuvre semble étroite, à moins de prendre des décisions politiques, et de les assumer. « Stagnation européenne, essoufflement chinois, incertitude américaine... Alors que l’horizon de croissance s’assombrit, les tensions s’exacerbent tous azimuts. ». C’est ce que constate L’Expansion dans un dossier consacré à « 2013, l’année de la guerre économique ».

L’Etat est capable de s’impliquer

Le magazine explique que « c’est le grand paradoxe de la mondialisation : multiplicateur de richesse quand le moteur de l’économie tourne à plein régime, mais source de frustration quand il cale. Normal. Comme le gâteau ne grossit plus, chacun se bat pour obtenir la plus grosse part. Et le meilleur moyen pour y parvenir consiste à réindustrialiser. » Un combat qui se mène au plus haut niveau des Etats. On l’a vu dans la tentative de sauvetage de l’usine ArcelorMittal à Florange. Un cas exemplaire où le gouvernement français s’est s’engagé totalement dans cette affaire pour tenter préserver le site et sauver 650 emplois. A chaque étape, de la menace par le ministre du redressement productif d’une prise de contrôle du site avec une nationalisation, aux solutions finales du Premier ministre parfois jugées illusoires, en passant par l’entretien accordé au propriétaire Lakshmi Mittal par le Président de la République, tous ont été en première ligne sur ce dossier. Si le gouvernement s’est impliqué dans un bras de fer avec autant d’âpreté, c’est aussi parce que la fermeture de Florange condamnerait définitivement la filière de l’acier en France. Au-delà des emplois, l’enjeu est stratégique.

Nationaliser ou pas ?

En dehors du patronat qui y voit une mesure « scandaleuse », même l’opposition libérale ne désapprouve pas cet objectif. Il faut dire que si l’hexagone n’a pas connu de nouvelles vagues de nationalisations depuis 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, l’Etat n’en a pas moins continué à "semi-privatiser" des entreprises publiques comme France Telecom, Edf Gdf ou La Poste. Plus récemment encore, c’est à une entreprise privée, Vinci, à qui on a confié la mise en place du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à Nantes, celui qui pose tant de problèmes aux habitants de la région, aux écologistes et au gouvernement de Jean-Marc Ayrault, initiateur du projet lorsqu’il était maire de la ville. Un projet qui, à terme, selon le maire devenu premier ministre, est justifié pour créer des emplois mais également pour « préparer l’avenir du Grand Ouest qui doit être plus accessible et garantir une mobilité durable ». Cité par Le Monde, il déclarait en 2009 « Si l’État décidait d’abandonner, les conséquences seraient extrêmement graves. Ce ne serait pas simplement l’abandon d’un projet, mais de tout l’Ouest. Je ne peux pas l’imaginer »

Intervenir ou pas ?

Dans un pays ultra-libéral comme la Grande-Bretagne, la question ne s’est pas posée lorsque le gouvernement a sauvé du désastre le Lloyds Banking Group (LBG), maintenant détenu à hauteur de 41 % par le Trésor britannique, ainsi que la Royal Bank of Scotland (RBS), nationalisée par l’État britannique avec une injection de 45 milliards. Même aux Etats-Unis, nation berceau du libéralisme, un des arguments de campagne de Barack Obama pour sa réélection a été de se présenter comme le sauveur de l’industrie automobile avec un plan de sauvetage de 63 milliards de dollars. Une stratégie hautement revendiquée par Steven Rattner, qui dirigeait la "task force" automobile de l’administration Obama, et qui a permis de sauver Ford, mais aussi General Motors et Chrysler. GM a récemment annoncé que ses ventes avaient progressé de 5% sur un an aux Etats-Unis, à 195 764 véhicules, tirées par la hausse de 16% de sa marque Cadillac et de 15% de sa marque Buick. De son côté, Chrysler, troisième constructeur américain a affiche une progression de 10% sur un an de ses ventes.

Dans le secteur des énergies renouvelables, les Etats-Unis ont récemment considérablement augmenté les droits de douanes sur le matériel photovoltaïque chinois. Une mesure protectionniste en trompe-l’œil lorsqu’on sait que le pays achète chaque jour 1,2 milliard de dollars de produits chinois... Au Japon, le gouvernement, de couleur libérale lui aussi, annonce une aide massive de 8,5 milliards d’euros pour relancer l’activité et l’emploi. Il est vrai que le pays doit faire face aux effets de la crise financière de 2008, et aux catastrophes qui ont bouleversé l’économie du pays. Après le tsunami dévastateur de 2011, la Banque centrale japonaise a du injecter plus de 15 000 milliards de yens sur les marchés financiers. A cela il faut ajouter les problèmes que connaissent grands groupes industriels, Sony, Nintendo, Nissan, Toyota, avec la baisse des exportations vers l’Europe et les Etats-Unis.

Le soutien Français à l’industrie : un manque de précision et de clairvoyance ?

Quand les Etats veulent investir dans le secteur public, ou soutenir le secteur privé, ils en ont l’entière possibilité. Quelle que soit l’étiquette politique des gouvernants, le soutien à l’économie nationale reste la priorité. Pourtant, on sent chez nos gouvernants quelques hésitations quant au mode opératoire et aux priorités stratégiques à mettre en œuvre. On ne saurait que trop se féliciter du soutien amont de l’Etat lorsqu’il s’agit, au profit de l’emploi, d’engager toutes ses forces économiques ou diplomatiques dans l’accompagnement des entreprises françaises à l’export, ou dans la lancement de grands chantiers précurseurs de la France de demain. C’était vrai dans les années 60, quand la France initia le transport ferroviaire à très grande vitesse qui profita allégrement, on le sait, à Alstom. L’expérience se répète aujourd’hui à travers le soutien sans faille de la France au projet Iter, malgré l’explosion de la participation française à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Iter, pour l’instant, le rend bien à la France : Air Liquide vient de se voir confier la réalisation d’une installation record, tandis que Vinci rafle la construction du bâtiment du réacteur Tokamak.

Comment se fait-il, dès lors, que ces entreprises ne parviennent pas à capitaliser durablement sur ces brefs coups d’éclat outrageusement maquillés en "rayonnement de la France à l’étranger" ? Pourquoi Alstom, champion technologique mondial incontesté du ferroviaire, essuie-t-il de douloureux revers aujourd’hui dans les appels d’offres internationaux, voire renonce à y concourir ? La réponse, de l’intéressé lui-même : "Prendre un contrat, c’est bien, mais il faut l’exécuter dans des conditions acceptables", explique Patrick Kron, le PDG d’Alstom. Entendons par là : des conditions acceptables de financement de l’investissement productif, lorsque les marges sont déjà comprimées à outrance face à la concurrence des pays émergents coutumiers du dumping. "Avant de livrer une locomotive, il faut souvent construire une usine", précise Patrick Kron, qui invoque "un décalage d’environ deux ans entre la signature et la réalisation. Et comme Alstom signe essentiellement dans les BRIC, la marge de la division transports s’en ressent."

Espérons que ces réflexions du patron d’Alstom fassent réfléchir le gouvernement et que celui-ci en tire des conclusions. En particulier, souhaitons que les récents succès dans le domaine du nucléaire ne se transforment pas en cuisant échec industriel si les entreprises tricolores ne sont pas accompagnées par l’Etat notamment en matière de financement.

Pour toutes ces raisons, notre politique de redressement productif semble cruellement manquer de clairvoyance. L’Etat en oublie presque l’essentiel : le leadership industriel est un capital qui se cultive, en équipant les fleurons industriels des moyens de se battre à armes égales, notamment en finançant l’innovation, dans la jungle des marchés plutôt que d’attendre passivement le moment où il faudra les sauver. La volonté de soutien public à l’industrie est bel et bien affichée. Il n’y manque plus qu’une once de vision prospective, afin que ses arbitrages dispendieux ne profitent pas aux entreprises françaises que de façon éphémère. C’est ça aussi, le rôle économique de l’Etat.