Accueil > Réponses à la réponse et un peu à la réponse à la réponse.

Réponses à la réponse et un peu à la réponse à la réponse.

Publie le vendredi 9 juillet 2004 par Open-Publishing
3 commentaires

Je comprend très bien vos difficultés à ménager liberté d’expression et souci de ne pas pour autant servir de mur de gogues pour graffitis bruns.

Eu égard à la charge de tâches que représente ce site, comme à la réactivité et aux exigences de discernement que cela exige de votre part, je vous remercie d’être là et vous assure n’avoir aucune intention de faire le procès de qui que ce soit.
Mais puisque vous jetez un peu la suspiscion sur mes intentions, et que vous le demandez, il est utile que je vous réponde.

Par chance je n’ai pas dû me faire violence pour éviter de répondre à chaud à votre long article. La réponse que vous a faite la "Péquenaude" m’a beaucoup touché ; elle comporte de nombreux points que j’approuve et sur le fond, souvent avec une éloquence dont je serais bien incapable, elle dissippe tout soupçon suggéré de votre part, d’ambiguité dans mes propos, confirmant qu’en dépit de leur maladresse, on pouvait les comprendre dans l’intention que j’avais eu à les écrire.

Je ne voulais pourtant pas suggérer de se substituer à des juges sur les actes reprochés aux terroristes avérés ou présumés. Si j’invitais à nous positionner par rapport à la violence et au meurtre, c’est dans le projet de mener une révolution aujourd’hui. Parce que je redoute ces dérives extrêmes qui ont pu, et peuvent encore conduire des individus aux intentions généreuses à agir à l’inverse de ces intentions, et que si l’on exclut d’en débattre, on se prépare sûrement des lendemains terribles.

Le désir de vengeance, lorsqu’on est en but à l’oppression ou victime de crimes, est un sentiment extrêmement difficile - voire quasiment impossible - à dépasser. Et si peut-être certains d’entre nous en sommes capables, ce n’est pas une raison pour juger de manière expéditive ceux qui s’y laissent aller. En tout cas les juger ne semble pas les convaincre, au vu du succès des surenchères dans la barbarie à laquelle nous assistons aujourd’hui.

C’est d’autant plus difficile de dissuader du désir de se venger, que certains ont vite fait d’assimiler nos efforts à nous montrer humains aux manifestations d’idéologies religieuses qui ont des siècles de sang sur les mains.

Je suis tenté de revenir encore sur les valeurs qu’on apprend à l’école, et sur les préjugés répandus dans notre société. Je ne comprend pas pourquoi tant de gens continuent à prétendre faire payer les crimes de sang à leurs auteurs, et s’en inspirent, qui pour exiger des peines incompressibles, qui pour même prétendre rétablir la peine de mort.

Bien sûr je ne parle pas de pardonner ou de tendre l’autre joue. Mais si on apprenait d’abord à l’école que le problème de fond avec la violence et le meurtre c’est que c’est pas réparable, jamais, on aurait peut-être déjà un peu peu moins de merde dans les yeux.

Ceci pour dire que le fondement du système répressif lui-même joue un rôle déterminant dans la perpétuation d’une représentation absurde - d’une certaine manière celle d’un marché - de la criminalité. D’abord en la banalisant, puis en la réduisant à l’équation rassurante d’une justice aussi primitive qu’à côté de la plaque : t’as fait ça, tu payes. Et peu importe si ce que t’as fait t’es incapable de le payer, parce qu’en réalité ça n’a pas de prix.

Je crois que si j’étais meurtrier ou je l’avais été, je demeurerais perplexe devant l’idée, même après l’expérience inhumaine qu’est la prison, d’avoir pu "payer ma dette". Je reconnaitrais avoir souffert à mon tour, ça c’est sûr. Mais de relation d’équivalence entre le crime et la souffrance subie, il n’y aurait pas plus.

Je crois que cette équivalence imagée est du même ordre que la volonté de tout monnayer et tout quantifier qui obsède notre civilisation marchande, y compris à l’égard des valeurs sans prix, celles qui ne se monnayent jamais.

Et que dire de l’approche punitive "analogique" de la réparation, qui suppose qu’en dégradant la vie d’un individu, on puisse en quoique ce soit le conduire à mieux en saisir, respecter et comprendre la valeur ?
Entre cette forme d’obscurantisme et celle qui consiste à presque faire le procès des victimes, pour tenter d’empêcher les propensions au lynchage de l’opinion publique, il est clair qu’on ne peut pas se satisfaire de raisonnements raccourcis ou préfabriqués.

Puisque vous semblez curieux à l’égard de mon opinion, je vous précise considérer la criminalité de sang et la violence en général comme des manifestations de pathologies dépressives graves. Et je tiens les vengeurs planqués derrière leur télé à réclamer des peines éternelles voire la mort pour autant de malades potentiels refusant eux-mêmes de se soigner.

Quand j’invite à nous méfier des valeurs que nous défendons, je relis des articles où il est fait référence explicitement à une certaine tradition révolutionnaire, en particulier la tradition française.
Celle de têtes coupées promenées au bout de piques ; celles de gens fusillés le long des palissades ; toutes ces expériences citées qui rappellent notre bon proverbe : "on ne fait d’omelette sans casser des oeufs". Bref tout ce qui en terme de discours, n’est qu’une réinvention d’une même culture brutale multi-millénaire et qui n’a finalement rien de révolutionnaire.

Tout ce qui, à mon grand dépit, rapproche malheureusement les révolutions des réactions.

Si mon souci se résumait à formuler des opinions et salonner, ou plus prosaïquement réagir à l’événementiel, je comprendrais cet étonnement, cette perplexité voire cette suspiscion perceptible dans votre réponse.

Or mon souci c’est de comprendre pour quoi on va devoir se battre ; plus précisément lorsqu’on est si nombreux à s’accorder sur la nécessité - voire l’urgence - de détruire la société d’impasse, et démunis de références et de valeurs communes qui préviennent à la fois un échec du changement, et lui assure une direction conforme à nos aspirations.

Or je ne crois sûrement pas qu’absoudre ou excuser la guillotine, ou suggérer qu’il y ait banalité dans les réglements de compte, nous promette un monde tellement différent de celui dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Je ne crois pas non plus en disant cela, faire pour autant l’apologie ni des barbaries les plus répandues, des fascismes au vampirisme libéral, en passant par les communismes autoritaires, ni rejoindre où que ce soit les amalgames tactiques des médiarques militaro-chiraco-berlusconiens.

Je crois que vous jouez avec les mots quand vous me répondez être pacifistes mais pas pacifiques.
Tout autant que je comprend votre méfiance, je vous prie de recevoir ma supplique à être tout aussi pacifique que pacifiste, du fait que convivialité, bienveillance et fraternité humaine ne relèvent pas comme vous l’interprêtez de valeurs de naïveté ou d’innocence.

Si je faisais allusion à un progressisme, il s’agirait de cela : rompre avec la tradition des révolutions barbares. Et nous inscrire en opposition claire au marché de l’existence, à la comptabilité normative de l’usine planétaire à l’égard des êtres humains. En rupture avec la quantification des douleurs et des sentiments. En rupture avec tous les errements du vingtième siècle, toutes les horreurs auxquelles ont conduit l’idée que la fin justifiait les moyens. Et en rupture tout autant avec les oublis.

Ma perception de la période actuelle évoque elle aussi les années trente. Une époque où les débats sont riches, les oppositions extrêmes, les factions innombrables, et où ces oppositions factieuses laissent au patronat les mains libres pour conduire à la censure, à la répression puis à la guerre.

Et oui, j’insiste à refuser d’opposer oppresseurs et opprimés, occupés et occupants, exploités et exploiteurs, non que je nie que ces catégories correspondent à une lecture sensée de la réalité des faits, mais parce qu’une analyse qui se limite à cette version dichotomique du regard sur les situations, ne conduit à rien d’autre qu’à encourager à l’affrontement, et jamais à trouver des terrains d’entente.

Et je ne vois pas de quel droit vous pouvez à la fois m’accuser de partialité sous prétexte que j’incite à une réduction phénoménologique (qui comme nous le savons, est tout autre chose qu’une réduction) des faits, tout en vous permettant de dire, à propos des années de plomb :"il est temps de tourner la page".
Je ne sais pas si vous rendez bien compte de l’énormité de cette suggestion.

Car oui, Berlusconi joue avec la situation et instrumentalise l’esprit de vengeance. Oui, c’est abjecte et ça lui correspond car c’est un escroc, un menteur et une canaille.
Mais je ne crois pas que ce soit à nous de tourner la page dont vous parlez, et sûrement pas de dire que certains crimes ou horreurs auraient atteint une date de prescription ou de péremption.

Je pense qu’avec un minimum de recul, vous conviendrez que rapporté à n’importe quelle autre question douloureuse, tout aussi grave depuis des lustres, l’argument confine à l’obscénité.

Quand je fais référence à une morale, c’est pas par innocence à cet égard. Je parle de morale plutôt que d’éthique parce que le terme est fort, et que je refuse de laisser les dévôts se l’approprier.

Le temps n’enlève jamais rien à la douleur des victimes. Et même invoqué par les plus obtus, les plus têtus et les plus comiques des néonazis, l’argument du sensible reste valide. Il le reste parce que les sentiments sont ce que nous partageons de plus humain.

Je préférerais de loin qu’on parle de la conception de la justice sur laquelle s’appuieront dans leur arrêt les magistrats de la Cour de Cassation. Particulièrement de celle qui pourrait conduire à préférer condamner sans appel un présumé innocent, - ce à quoi reviendrait une extradition pour purger une peine - plutôt qu’à lui accorder le bénéfice du doute.

Celle qui ferait prévaloir la très hypothétique vengeance des victimes devant l’affirmation d’une conception française du droit particulièrement mise à mal par le nivellement par le bas et pour tout dire très américanisant, du système pénal européen.

Car là aussi, il y a un problème de fond, même si la complexité du système judiciaire le noie dans le brouillard : on oublie que la loi est toujours politique, puisque l’expression directe de la volonté des législateurs. On occulte que la montée en puissance de l’europe libero-patronale passe aussi par un hold-up accéléré sur nos droits civils.

Il est très révêlateur qu’au même moment où des décisions soient à attendre du sens arbitraire ou non que doit prendre un arrêt de portée transfrontalière, se soit produit un des plus spectaculaire dérappage judiciaire de notre pays : l’affaire de tous ces gens accusés à tort sur dénonciation calomnieuse (!) de pédophilie.

Dans cette interprêtation, le sens de la décision de la Cour de Cassation dont nous parlons, ne pourra s’interprêter que très au-delà des seuls cas de Caesare Battisti et des repentis italiens. Il conditionnera immanquablement les choix qui prévaudront en matière de présomption d’innocence et de droit au jugement équitable dans toute l’europe dans les années à venir. Le choix qui reviendrait à permettre la condamnation des réchappés d’Outreau.

Donc, contrairement à ce que gomme notre Président, c’est le rejet et non le projet de l’Europe qui se trouverait fortement renforcé par une décision méprisant le droit de l’individu à se défendre des accusations dont on l’accable. Et cela en dehors de toute considération à l’égard du cas particulier dont il est question.

Pour conclure ne lisez pas de la malveillance à votre égard dans les critiques que je peux formuler sur vos positions ou celles exprimées ici.
Vous citez le respect, concept qui ne figurait pas dans mon message, mais dans l’illustration que vous y aviez ajouté. Dans l’idée que je m’en fais - martienne, lunaire, maligne, enfin ce que vous voudrez - la première marque de respect est la franchise ; et il me semble qu’en exprimant les réserves, comme les désaccords que je peux ressentir à l’égard de ce que votre collectif ou d’autres personnes écrivent ici, je fais tout sauf me rendre à ce mode d’irrespect pourtant commun au politique : approuver dans l’hypocrisie.

Je donne juste un avis personnel, notamment pour éviter d’invoquer des Jospins et autres Mitterands pour demander aux magistrats de mon pays d’appliquer peut-être un des seuls principes dont notre pays puisse encore rester fier : sa conception du droit.

J’ai formulé cet avis, dans la recherche du plus petit commun dénominateur qui permettrait aux adversaires de l’ordre contemporain de rapprocher leurs positions pour l’abattre. Parce que cela me gênait de lire des encouragements à absoudre des gestes que j’espère bien ne jamais avoir un jour à regretter d’avoir commis ou aidé à commettre.

Peut-être aussi pour défendre une certaine conception de la force, tout à fait à l’antithèse de la brutalité.
Une force d’affirmer qu’à un moment donné, resister peut aussi consister à veiller à ne pas nous transformer nous-même en bourreaux et en oppresseurs ; ce qui ne veut pas dire accepter le sort de victimes bien entendu, mais compter parmi ceux dont le désir, au-delà de la résistance à l’oppression d’aujourd’hui, est de désamorcer aussi celles qui pourraient surgir de nous demain.

Une force qui se construit en conscience des incertitudes qu’on est prudent d’avoir à l’égard de nous-mêmes.
Une force qui aura déjà fort à faire pour établir la justice, et qui présumerait d’elle-même en voulant y ajouter le projet de redresser les torts.

Merci :))))) encore à la Péquenaude, (que j’espère ne pas trop paraphraser ici), dont j’espère avec impatience la contribution sur le travail. J’espère de mon côté trouver la ressource pour commencer à répondre au "comment" qui m’a été posé il y a déjà un certain temps :)

Amicalement.

infame.clampinESCARGOTFREEPOINTEFFAIRE

Messages

  • Cesare Battisti : l’harmonisation européenne par le mauvais bout

    Communiqué du Syndicat de la Magistrature

    L’avis favorable donné par la chambre de l’instruction de Paris à l’extradition de Cesare BATTISTI ouvre la perpective d’une remise en cause d’une décision politique de la France qui a favorisé l’apaisement d’une situation de tension grave dans l’Italie de la fin des années de plomb.

    Cette décision s’intégre dans un contexte européen marqué par l’utilisation de la menace terroriste pour justifier le développement de procédures d’exception dont les principes sont ensuite étendus aux autres domaines du droit pénal. Enfin, cette affaire est exemplaire des difficultés posées par les choix d’harmonisation a minima opérées en matière de justice dans l’union européenne.

    Pas plus qu’il ne pouvait l’admettre à l’occasion du projet de réforme de la loi Perben II le Syndicat de la Magistrature ne peut accepter la perspective qu’extradé vers l’Italie Cesare Battisti ne soit pas rejugé alors qu’il l’a été en son absence, compte tenu des enjeux d’une condamnation en matière criminelle. Rappelons d’ailleurs que finalement le choix a été fait en France, au terme de la loi Perben II, de maintenir, en matière criminelle, le principe d’un nouveau jugement, même dans le cas où l’accusé absent aura été représenté à l’audience de la Cour d’Assise par un avocat.

    Paris, le 2 juillet 2004

    Syndicat de la magistrature

    BP 155

    75523 Paris Cedex 11

    Tél : 01 48 05 47 88

    fax : 01 47 00 16 05

    www.syndicat-magistrature.org

    http://bellaciao.org/fr/?page=article&id_article=8068

  • MEMOIRES DES AVOCATS DE CESARE BATTISTI
    1 commentaire(s) à cet article.

    MEMOIRES DES AVOCATS EN LIGNE SUR VIALIBRE :

    "Pour ceux qui souhaitent approfondir, et mesurer l’ampleur du reniement juridique, vous trouverez en pièce jointe les deux mémoires que nous avons déposés devant la Cour, et dont vous pouvez faire bon usage. I TERREL et JJ de FELICE"

    Je ne mets pas ces documents en pièce jointe pour ne pas encombrer les boites mails, mais vous les trouverez sur le site de vialibre5 aux liens suivants :

    Avocats mémoire I : http://www.vialibre5.com/memoire1.htm

    (ou memoire1.doc) : http://www.vialibre5.com/memoire1.doc

    Avocats mémoire II : http://www.vialibre5.com/memoire2.htm

    (ou memoire2.doc) : http://www.vialibre5.com/memoire2.doc

    De : I TERREL et JJ de FELICE

    http://bellaciao.org/fr/?page=article&id_article=7992

  • BATTISTI : LA LDH DÉPLORE L’AVIS DE LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION

    La LDH déplore la décision de la chambre de l’instruction qui s’est déclarée favorable à l’extradition de Cesare Battisti.

    Cet avis fait fi des principes élémentaires de droit. Au-delà des recours qui seront engagés, il appartient d’ores et déjà au Président de la République de faire respecter la parole donnée par la France, afin que Monsieur Battisti et d’autres réfugiés italiens ne soient pas extradés.

    Depuis 24 mois, vous êtes 24000 à avoir signé la pétition en faveur de Cesare. Vous pouvez continuer à la signer et à relayer l’info auprès de vos amis et vos proches : http://www.mauvaisgenres.com/arrestation_battisti.htm

    De : LDH

    http://bellaciao.org/fr/?page=article&id_article=7905