Accueil > Souffrance au travail : du supportable à l’insupportable

Souffrance au travail : du supportable à l’insupportable

par Alain Astouric

Publie le vendredi 10 mai 2013 par Alain Astouric - Open-Publishing
1 commentaire

Extraits de Encadrer une équipe

Depuis toujours le travail réel, celui que l’on vit, qui a du sens, dont on peut être fier, joue un rôle constructif sur la santé des humains par ses fonctions de production, d’insertion sociale et de réalisation de soi. Mais aujourd’hui il faut le réaliser en un temps record ; il faut aussi bien être autonome que travailler en équipe, être performant et rapide, multitâches et spécialisé. Il faut aussi s’adapter instantanément aux changements tout en assurant la continuité, accepter de vivre dans un environnement peu sûr et bien évidement être au top sous peine d’éviction.

En clair, faire son travail ne suffit plus, il faut désormais constamment se dépasser !

Ce à quoi nous rétorquons tout de go, se dépasser sans cesse, devoir s’instaurer en parangon de la performance, sans limite ni échec, avoir constamment des défis à relever. Mais à l’inverse ; ne plus être en situation de faire correctement son travail, se heurter en permanence à des contradictions, des dysfonctionnements, ne plus tenir le coup ou a contrario se sentir lâche de faire autant pression sur ses propres collaborateurs, c’est au bout d’un moment, pour toute personne normalement constituée, franchement insupportable. Surtout pour finir par s’entendre dire tôt ou tard : « Je vois bien que tu as eu du mal à atteindre tes objectifs, tu n’en as même pas dépassé un seul ! » ou bien « Ne me dis pas que tu es débordé, on l’est tous ; tout le monde se défonce et toi tu nous plombes ! ».
En vérité on a là une forme pernicieuse de harcèlement structurel. Les salariés peuvent être compétents, performants, obéissants, les résultats peuvent être croissants, la récession peut être à peine engagée ou déjà terminée, cependant les licenciements continuent. En particulier chez les cadres moyens afin de permettre une montée continuelle du bénéfice par action et garantir ainsi la rentabilité des capitaux propres attendus par les marchés financiers.

Quand au stress dont on a tant parlé ‒mais pas toujours avec le sérieux nécessaire‒, nous pouvons noter que son niveau est d’autant plus élevé que la personne qui le subit se trouve dans le piège d’une situation dont elle ne peut se sortir. Autrement dit, le stress est d’autant plus élevé que le salarié n’a individuellement aucune prise concrète sur le changement, sur l’incertitude, sur le conflit ou sur l’inconfort qu’il vit comme stressants. Il existe en effet, bel et bien, un point d’irréversibilité de certaines situations qu’individuellement l’employé ne peut que subir. Non pas parce qu’il est inhibé, ni même parce qu’il n’a pas appris à faire face ou à répondre, mais parce la situation est telle qu’il n’a plus aucune possibilité matérielle de s’en dégager.

Aussi, pour nous aider à affronter ce dilemme un article du journal Le Monde intitulé, Quatre salariés sur dix sont stressés (lemonde.fr du 11 juin 2009) nous conseille, non pas de dire que l’on est stressé mais plutôt de parler de ce qui ne va pas dans la situation de travail incriminée. Parler de ce que l’on pourrait améliorer. C’est-à-dire finalement, parler des causes du stress, plutôt que de ressasser ses effets. Cette option qui remet d’entrée de jeu les choses à leur place, en soulignant que le stress n’est pas révélateur de fragilités individuelles mais qu’il est la manifestation de dysfonctionnements plus généraux dans l’entreprise, nous semble pertinente. Sauf si les causes du stress en question sont inscrites dans la « religion » de l’entreprise qui s’adonnerait, par exemple, au culte du changement. Dans cette hypothèse, le débat est forcément clos avant même d’ouvrir puisque le salarié, pour ne pas dire la victime, se retrouve bel et bien face à l’irréversibilité d’une situation qu’individuellement il ne peut que subir. Une situation qui constitue alors, et à elle seule, une véritable fabrique à stress, ajoutant du stress au stress dans des proportions quasi exponentielles.

C’est manifestement ce type de situation qu’a créé le programme It’s time to move, qui pendant longtemps obligeait les cadres de France Télécom à changer de métier et/ou de zone géographique tous les trois ans. Le véritable objectif de ces changements à grande vitesse (inavoué en son temps, et pour cause) étant à l’évidence la recherche de « désocialisation humaine » afin d’éviter que les managers ne se lient trop à leur équipe, et s’opposent par la suite aux réductions d’effectifs ou aux fermetures de sites.

Extraits de Encadrer une équipe