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Souffrance humaine et justice globale
par Samuel Beaudoin Guzzo
Publie le samedi 2 novembre 2013 par Samuel Beaudoin Guzzo - Open-PublishingLa Banque mondiale (BM) a récemment déposé un rapport dans lequel elle expose des données quant à la « pauvreté extrême » dans le monde qui renvoie aux individus disposant de 1,25$ US ou moins par jour. Selon le rapport de la BM, 400 millions d’enfants seraient dans cette situation ; nombre qui constituerait le tiers des gens vivant dans ces conditions sur le globe (donc 1,2 milliard d’individus au total !). Si cette donnée suscite (avec raison) l’indignation, il faut toutefois noter que selon le même rapport, le nombre d’individus vivant dans une situation de « pauvreté extrême » aurait baissé de 721 millions de 1981 à 2010. D’un autre côté, le rapport indique que les 35 pays les plus pauvres – dont 26 se trouvent en Afrique – compteraient en ce moment 100 millions de pauvres de plus qu’il y a 30 ans. À cet égard, je pense qu’un plus grand nombre d’actions devraient être réalisées de la part des pays riches pour corriger une situation qui demeure inacceptable. En effet, le rapport de la BM pointe vers le fait que les pays les plus riches du globe se trouvent actuellement à la croisée des chemins par rapport aux problématiques de la pauvreté mondiale et des inégalités ; deux dimensions d’une même réalité marquée par l’injustice qui rend nécessaire la formulation d’un projet clair et unifié de justice globale.
Notons d’abord que la pauvreté dans les différents pays du globe est une réalité qui ne suscite plus aucune surprise de notre part en tant qu’occidentaux et face à laquelle nous ressentons souvent un sentiment diffus d’impuissance et de désespoir. De telles impressions ne devraient toutefois pas nous paralyser, mais nous inciter d’une part, à prendre conscience du fait que la solidarité est une obligation et une responsabilité de l’occident envers le tiers-monde, et d’autre part, à faire pression sur nos gouvernements et sur les institutions transnationales contemporaines pour que cette responsabilité devienne effective à travers un processus de redistribution globale dans l’optique du don, de la générosité et de la gratuité (et non pas du prêt ou de la réciprocité) face aux plus démunis de la terre. Dans ce contexte, il faut s’assurer que l’aide apportée se fasse dans le respect des populations aidées, ce qui passe notamment par une reconnaissance de leur égalité avec nous en termes de dignité humaine. Il est clair que l’occident est susceptible d’éduquer les plus démunis de la terre dans plusieurs domaines, mais je pense qu’il est fondamental – pour que le processus d’aide soit efficace et se fasse sans sentiment de honte de la part des populations aidées – de reconnaître que derrière l’inégalité économique entre aidants et aidés se cache une égalité morale au niveau humain qui implique que nous en avons également à apprendre d’eux au niveau culturel.
Pour poursuivre dans la même voie, il est important de souligner que le processus d’aide internationale ne doit pas être ethnocentriste, mais bien centré sur le développement de l’autonomie et l’autogestion des populations assistées dans leur contexte national particulier. Une telle aide ne doit, en effet, pas être réalisée pour renforcer des intérêts économiques, géopolitiques ou géostratégiques particuliers, mais bien pour créer un support directement lié aux besoins réels des populations aidées. Dans cette perspective, je considère qu’il est souhaitable de poser un regard critique sur les différents organismes supranationaux contemporains afin de s’assurer que leurs manières de faire s’ajuste démocratiquement aux demandes des aidés. C’est pour cette raison qu’il faut favoriser le dialogue véritable, c’est-à-dire non paternaliste, entre les pays aidants et aidés, ce qui suppose une meilleure connaissance de la réalité de l’Autre de part et d’autre. Par ailleurs, de manière générale, comme le souligne le philosophe italien Francesco Fistetti : « [il] s’agit […] de déterminer concrètement les obligations auxquelles les États donateurs et les acteurs économiques devraient se tenir et, en outre, d’imaginer un réseau d’institutions chargées de mettre en place des politiques de justice redistributive. Il est également nécessaire de définir les conditions du contrôle de la mise en œuvre effective des politiques de solidarité afin d’éviter que les ressources mobilisées profitent aux dictateurs ou aux classes bureaucratico-politiques corrompues au lieu de bénéficier aux populations défavorisées. » (Théories du multiculturalisme. Un parcours entre philosophie et sciences sociales, Éditions La Découverte/Textes à l’appui, Série « Bibliothèque du m.a.u.s.s., Paris, 2009, p.167)
Somme toute, le problème de la pauvreté dans le monde nous concerne tous et c’est dans cette perspective que doit être mis sur pied un mouvement global de solidarité axé sur la redistribution de la richesse. Est-ce qu’un tel mouvement doit commencer par une annulation des dettes (et des intérêts accumulés) des pays pauvres envers l’occident ? Par une augmentation des salaires des travailleurs du tiers-monde ? Devrait-on arrêter de consommer les biens dont la production rime avec exploitation ou à l’inverse forcer une solidarisation du profit à l’avantage d’ouvriers que personne ne reconnaît, mais qui jouent un rôle crucial dans le système mondial contemporain de production et de consommation ? Autant de questions difficiles et complexes qui convergent toutes sur la nécessité d’une réflexion quant à ce que signifie le confort occidental en termes de souffrance humaine.
Par Samuel Beaudoin Guzzo, samedi 2 novembre 2013
L’auteur réside au Québec et se dirige vers l’enseignement de la sociologie au niveau collégial. Il s’intéresse particulièrement aux enjeux auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines notamment en ce qui a trait à la reconnaissance sociale, au dialogue culturel ainsi qu’aux conditions de la démocratie et de la justice sociale.