Accueil > Tolérance zéro sans limite d’âge en Californie
Une fillette de 11 ans est inculpée « d’attaque avec arme mortelle » pour avoir jeté une pierre à son voisin de 9 ans qui lui lançait de l’eau.
de Emmanuelle RICHARD
En voyant débouler trois voitures de police et un hélicoptère, un quartier défavorisé de Fresno, dans la vallée agricole de Californie, a cru à une opération antigang. Au lieu de cela, la police est repartie avec une fillette hispanique joufflue, âgée de 11 ans. Menottée, visiblement apeurée, elle était arrêtée pour avoir lancé une pierre sur un voisin de 9 ans qui l’attaquait à coups de bombe à eau. Aujourd’hui, près de trois mois après l’incident, la jeune Maribel Cuevas se retrouve inculpée d’« attaque avec une arme mortelle » : un crime sérieux qui conduit à un jugement au pénal. L’affaire est en passe de devenir le symbole des excès de la « tolérance zéro » des autorités américaines.
Front coupé. Selon le récit de sa famille, Maribel ne faisait que se défendre face aux jeux agressifs d’un groupe de voisins. Le 29 avril, elle joue sur le trottoir avec sa soeur quand des garçons en vélo se moquent d’elle et la frappe avec des bombes à eau. Maribel lance une pierre dans leur direction. Elijah Vang, un camarade d’école asiatique de 9 ans, a le front coupé. Une tante appelle les urgences. Maribel se rend chez les parents d’Elijah, à deux rues de là, pour déplorer l’accident. Jusqu’à l’arrivée fracassante de la police. « Les officiers de police l’ont jetée par terre et l’ont maintenue au sol avec un genou dans le dos », a raconté en espagnol la mère de la fillette, Guadalupe, sur la chaîne locale KFSN. « J’avais tellement peur, je ne savais pas ce qu’ils allaient me faire », se souvient Maribel. Elle reste cinq jours au centre de détention pour mineurs sans explications, n’ayant droit qu’à une seule visite de ses parents. A sa sortie, la fillette passe trente jours avec un bracelet électronique de surveillance à la cheville : idéal pour finir l’année scolaire.
« Hystérique ». La police de Fresno ne voit pas où est le problème. Elle a arrêté « le principal suspect », qui a enfreint la loi et doit être puni. Le chef Jerry Dyer a montré la pierre aux caméras : saillante et plus large que sa main. Elle a causé une entaille de 10 centimètres. La police affirme que, lors de l’interrogatoire, Maribel, « repentante » et « hystérique », a avoué qu’elle savait que la pierre pouvait faire saigner quelqu’un. Les policiers auraient-ils réagi à outrance à cause du quartier, avec des barreaux aux fenêtres et une barrière linguistique ? Selon la mère de Maribel, ils ne pouvaient communiquer avec sa fille qui parle mal anglais. « Un officier répétait "je m’en fous, je m’en fous" et a dit à mon neveu qu’il ne parlait pas "le même genre d’anglais" que nous. » La police aurait ensuite déclaré aux médias locaux que la fillette avait 13 ans et sa victime seulement 6, et avait été détenue une journée au lieu de cinq.
« La police et le procureur veulent criminaliser un comportement enfantin », s’indigne Richard Beshwate, l’avocat de Maribel, retenu grâce à la paroisse des Cuevas. Le front garni de plusieurs points de suture, Elijah a reconnu avoir provoqué la dispute. Son père n’a pas déposé plainte. Malgré tout, selon l’avocat, le procureur n’est pas près d’accepter un compromis. Maribel est attendue au palais de justice de Fresno début août pour son procès.