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Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne
par Bernard Girard, Enseignant en collège
Publie le mercredi 10 juin 2015 par Bernard Girard, Enseignant en collège - Open-Publishing11 commentaires
Comment, à l’avenir, éviter de nouveaux attentats terroristes ? C’est tout simple : il suffit de faire porter un uniforme scolaire aux élèves et de rétablir les estrades dans les salles de classe.
Ces fabuleuses suggestions ont été avancées le plus sérieusement du monde par de farouches défenseurs de la laïcité, invités à éclairer de leurs lumières la très docte commission d’enquête sénatoriale « sur la perte des repères républicains » constituée dans la foulée des attentats de janvier.
L’école-caserne rêvée par Debray
Dans un exposé passablement fumeux, appelant « à un effort de laïcité […] considérée comme un englobant juridique » (sic), Régis Debray chante les louanges de l’uniforme scolaire « qui engendre un sentiment d’appartenance pouvant même aller jusqu’à une certaine fierté ». Dans une même veine symbolique, il préconise de « rétablir l’estrade », signe de « verticalité » :
« Je pense – explique-t-il – que l’estrade favorise la transmission à l’élève par le maître qui doit être respecté, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas aujourd’hui. »

Ainsi affublé d’un uniforme, sous le regard surplombant du vénérable maître scotché à sa chaire, l’élève tout pénétré de respect, se retrouve donc dans une situation d’autant plus favorable pour apprendre qu’il n’a guère d’effort à produire : il lui suffit d’écouter, le reste viendra comme par magie. D’une imagination sans limites, et devant un public de parlementaires que l’on sent captivé, notre philosophe – c’est son titre, en tout cas – poursuit sa description de l’école modèle :
« L’école doit rester une institution, caractérisée notamment par une enceinte et un règlement. En cela, elle est comparable à l’armée, l’école et l’armée étant deux piliers de la république dont les sorts sont liés. »
Regrettable négligence, Debray ne précise pas la nature de l’enceinte dont il faut entourer l’école : barbelés, miradors ? La question est pourtant d’importance au regard du but ultime que l’orateur fixe à l’éducation – l’identification à la nation – une identification qui passe nécessairement par la guerre : « La guerre constitue une situation renforçant le sentiment national. Le “ nous ” s’affirme alors face à un “ eux ”. Mais quelle guerre entreprendre ? », se demande le savant humaniste.
Au fond, on sent bien Debray désespéré par « le recul du sentiment national » qui pour lui est « capital, d’abord parce que c’est l’unique cadre démocratique. » On ne dit pas autre chose en Corée du nord… Et Debray de conclure son exposé par un vibrant appel aux pouvoirs publics en faveur de l’apprentissage de l’histoire de la France et de la chronologie : « C’est difficile mais c’est pourtant vital. » Vital ou mortifère ?
Kessel et ses lunettes voilées
Quelques jours plus tard, c’est au tour de Patrick Kessel, président du Comité laïcité République, auditionné par les mêmes sénateurs qui, manifestement, jouissent de beaucoup de temps libre, de délivrer son lumineux plaidoyer pour une jeunesse en uniforme : se désolant de ce que « peu [d’enfants] se définissent d’abord comme citoyen français » – et pour cause, vu leur âge –, il avance alors son « audacieuse proposition » :
« Le moment est venu, me semble-t-il, d’imposer le port d’une tenue commune à l’école, comme cela se pratique en outre-mer ou dans des sports collectifs. Ce n’est pas facile, mais permettrait d’afficher un sentiment d’appartenance, d’équipe et de solidarité au-delà des différences légitimes de chacun. »
Ajoutant également – mais c’est sans doute pour rire : « L’instituteur aurait la même autorité que l’arbitre sur le terrain. » Lorsque l’on voit le déroulement de certaines compétitions sportives, on est autorisé à s’inquiéter pour la sécurité des profs…
Il est vrai qu’au Comité laïcité République – une sorte de cénacle promouvant une laïcité tricolore, à ne pas confondre, paraît-il, avec Riposte laïque, même si Kessel ne dédaigne pas y donner des interviews – la question des fringues tourne à l’idée fixe, avec des cris d’orfraie à n’en plus finir sur le voile à l’université, le voile dans les crèches, les mères voilées, les jupes longues dans les établissements scolaires, etc.
Une préoccupation tellement obsessionnelle qu’elle en vient chez ces braves gens à occulter tout le reste : pour Kessel, c’est sur le voile et uniquement qu’ « il ne faut rien lâcher ». Le reste – l’échec scolaire fondée sur la ségrégation, les ghettos urbains, la pauvreté de 3 millions d’enfants dénoncée par l’Unicef, en un mot la question sociale – tout cela peut attendre.
« Les Républicains » applaudissent
La laïcité en uniforme, la laïcité par l’uniforme ? En tout cas, Debray, Kessel et les défenseurs d’une laïcité « à la française » – rien à voir avec la laïcité générique, celle qui consiste à garantir la liberté de conscience et à laisser les gens tranquilles – ont trouvé des alliés jusque dans la classe politique, chez des parlementaires, qui, eux aussi fermement décidés à contrer toute forme de communautarisme – à l’exception du communautarisme français – n’hésitent pas à réclamer l’instauration généralisée de l’uniforme à l’école.
Certains d’entre eux, tout imprégnés d’un noble idéal républicain – G. Larrivé, E. Ciotti, L. Luca, E. Woerth, c’est tout dire – ont même déposé une proposition de loi en ce sens. Avec un exposé des motifs d’une implacable logique :
« Il s’agit, d’abord, d’un facteur d’égalité, qui aplanit symboliquement les différences sociales nées des inégalités de revenus des parents (…) La tenue uniforme, enfin, est un vecteur de laïcité, qui s’oppose aux manifestations communautaristes. »
Un de leurs collègues, J.-F. Mancel, est même l’auteur d’un projet de loi concurrent visant à étendre l’obligation de l’uniforme aux enseignants. L’imagination du législateur est décidément sans limites…
Comme la référence à l’égalité et aux différences sociales entre les parents n’est guère crédible venant d’un parti politique dont le projet éducatif prévoit explicitement la sélection précoce des élèves sur des bases sociales (et ethniques, quoi qu’on en dise) et comme on ne voit pas en quoi des « manifestations communautaires », de toutes façons limitées, pourraient conduire à mettre 13 millions d’élèves en uniforme, une extravagance qui n’existe nulle part en Europe, à l’exception de la Grande-Bretagne, il faut alors convenir que cette revendication cache d’autres motivations.
Et ces motivations, il faut les chercher dans la dénaturation rapide de l’idée laïque et de tout un vocabulaire politique, vidés des contenus qui faisaient leur légitimité : ces dernières années, et plus spécialement depuis les attentats de janvier, les notions de laïcité, de république, de citoyenneté, voire de communauté sont défigurées, rancies, au profit de considérations nationales/autoritaires qui dessinent un projet éducatif au sinistre visage.
A l’école, il ne s’agit plus de faire grandir, d’éduquer les élèves à la liberté, à l’esprit critique, dans le respect des autres et du monde qui les entoure mais d’enfermer chacun dans une identité étriquée fondée sur l’obéissance. Que ce projet soit partagé par une large fraction de l’opinion publique allant de l’extrême gauche à l’extrême droite n’est pas une circonstance atténuante.
Messages
1. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 10 juin 2015, 20:57
L’aptitude à la compréhension de ce qui est enseigné n’a rien à voir avec la tenue vestimentaire que l’on porte. Debray vieillit mal. Mais affirmer que maîtriser la chronologie en histoire serait mortifère est d’une rare stupidité.
1. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 10 juin 2015, 21:46
Je pense que les mouvements des idées et l’histoire des phénomènes sociaux seraient plus éclairants pour les élèves que leur faire apprendre par cœur la chronologie,ce qui est une vision de l’histoire totalement dépolitisée et futile.
2. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 10 juin 2015, 21:51
Je suis professeur, et ne fais pas apprendre la chronologie, et encore moins par coeur.
J’ai parlé de "maîtrise de la chronologie". Elle est un préalable à toute analyse historique. Or, 9 élèves sur 10 sont totalement sans repère chronologique, de nos jours.
3. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 10 juin 2015, 21:58
Et maîtriser l’histoire des idées et des mouvements sociaux en fonction des siècles et des époques,je pense que ça familiarise automatiquement l’élève avec la chronologie,tout en donnant un sens à cet apprentissage,en le rendant moins abstrait donc plus facilement assimilable.Après,je ne suis pas prof d’histoire,mais de philo,donc peut être que je me fais une fausse idée de la faon idéale d’enseigner l’histoire,que je l’assimile trop à celui de la philo.
4. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 10 juin 2015, 22:05
Philosophie et histoire sont deux disciplines qui non seulement sont bien distinctes, mais ne sont pas connexes. Croire que la chronologie s’assimilerait avec l’apprentissage de l’histoire des idées et des mouvements sociaux, auxquels l’Histoire ne se limite d’ailleurs pas, même si cela relève des domaines les plus significatifs à mon sens, c’est croire que tous les élèves seraient brillants, et instruits avant d’arriver en cours. Ceux-là sont désormais extrêmement rares aujourd’hui. Faites un test, et demandez à une classe de Troisième qui est Mao. Si vous obtenez une réponse, c’est votre jour de chance.
5. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 10 juin 2015, 22:12
Oui.Vous avez probablement raison.Mais moi,je me souviens qu’étant môme,je n’ai jamais pu réussir à retenir parfaitement une chronologie parce que les dates n’avaient pas beaucoup de signification pour moi et n’étaient pas inscrites dans un "mouvement" historique.
2. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 11 juin 2015, 09:12
Debray est sans doute nostalgique du temps où en treillis et ranger il intimait au père Aristide l’ordre de ficher le camp de Haïti, ce président ne plaisant ni aux US ni à la France, à laquelle il demandait de rembourser sa dette historique.
1. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 12 juin 2015, 17:25, par mohamed
Dans monquartier,l’uniforme existe déjà.C’est la burka.Ce dernier jour avec certaines de mes élèves qui se voilent dès qu’elles ont quitté l’établissement,j’ai évité le piège qui m’était tendu.
Les adolescentes qui se pâmaient d’avance d’aller ’au bled’,pendant les vacances(ah !l’Agérie et ces inégalables zéphirs),cherchaient à me faire réagir,en approuvant la bunkerisation par l’enburkinage.
Impossible pour moi,c’est physique,je n’admets pas que moi,le progressiste je puisse justifier ça !C’est l’uniforme du moyen âge qui veut s’imposer,hors de toute raison.
C’est pas facile avec 20 ados,chauffées à blanc,’contre les charlis’ que je suis censé être,en plus de leur récriminations contre l’école,.Je m’en suis sorti en évoquant ’le scandale et les dégats des applications comme Gussip..
En plus,habitant toujours ce quartier où les enburkanées/bunkerisées se pavanent,je les croise sans savoir.
Cela ne me prèoccupe plus ;On s’habitue à tout,même si c’est interdit,je suis pas flic pour aller appréhender ces contre venantes.
Au final,quand je lis dans le journal ,qu’en pleine campagne de ’souchiens’,un prof de maths s’est reçus 2 gifles d’un de ses élèves ’jambon’ de 3ième,je me dis que mon sort n’est pas si triste.Ce prof en repoussant une souris morte,que les élèves déchainés,lui avaient mis sur le bureau,avait éffleuré un des élèves qui l’encerclaient autour de son bureau.Pan,pan ! avant il y avait les enfants battus,maintenant,les profs battus !Rassurez vous,Safia ,fatima and co,c’est pas si grave de ne pas avoir de têtes blondes,à coté de vos enfants.Je le regrette mias ,ce gifleur,blond,passer de diplome du brevet et l’EN continuera à laisser ses enseignants sans soutien.Il n’existe pas de lobby parents d’ enseignants.
Ceux ci,dont la seule reconnaissance sociale est le salaire,refuse même de faire grève pour protester car il faut le reconnaitre le niveau de cohésion nécessaire pour faire changer l’EN,est inatteignable !
2. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 12 juin 2015, 18:14
Il y a beaucoup de causes au problème des "profs battus" mais une fondamentale est la trahison des syndicats, dont ceux de la FSU, les plus importants, qui ne défendent pas les personnels attaqués ou diffamés.
3. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 12 juin 2015, 20:08, par jojo
ouaip ça sent la caserne jusque dans les injonctions à l’enseignement de l’histoire.
Mais rassurons nous, l’uniforme ne previent pas des différences sociales.
Quand j’etais petit point d’uniforme, mais blouse obligatoire à l’école. Et devinez quoi, les enfants de bourgeois changeaient de blouse plusieurs fois dans l’année, quand les notres, celles des fils de pouilleux, étaient usées par toute la fratrie au fur et à mesure de nos croissances respectives, faisant plusieurs années d’usage.
donc, l’uniforme sera encore un révélateur, si jamais cette stupide idée est mise en pratique : le bel uniforme de chez hugo boss pour les riches, les fringues bon marché, mais correspondant aux exigences du code couleur chez lez autres, et sans doute, même chose que pour les blouses des années 70.
quand aux difficultés réelles des enfants, selon leurs conditions matérielles, au fond, qui s’en soucie vraiment ?
4. Tous en uniforme : à l’école, une laïcité qui sent la caserne, 13 juin 2015, 20:53
D’abord un truc tout bête, c’est la tenue que vous nous faites porter...Pierre Palmade : le militaire