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Un FMI « redevenu utile », mais pour qui ?

par Jérôme Duval, Damien Millet et Eric Toussaint

Publie le mercredi 25 mai 2011 par Jérôme Duval, Damien Millet et Eric Toussaint - Open-Publishing

En moins d’une semaine, DSK a démissionné du FMI et Christine Lagarde est
quasiment intronisée comme candidate des Européens à sa direction
générale. Durant cette semaine, nombre de chroniqueurs ont présenté un
résumé flatteur de l’action de DSK au FMI. Du mandat qualifié de manière
très surprenante d’« exceptionnel » par Bernard Maris sur France Inter
aux éditoriaux du journal Le Monde dont le site internet offre par exemple
la lecture d’un article intitulé « Dominique Strauss-Kahn quitte un FMI
redevenu utile » , la tonalité est globalement positive. Pourtant, un
bilan très critique de l’action du FMI et de son directeur général DSK
s’impose.

Le FMI revient de loin. A partir de 2004, l’augmentation importante des
cours des matières premières a provoqué un net accroissement des réserves
de change des pays en développement qui atteignaient en 2008 le triple de
celles du Japon, de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord réunis.
Nombre de pays du Sud les ont utilisées pour rembourser de manière
anticipée le FMI, réduisant ainsi la dépendance à son égard. C’est dire
combien son utilité n’était pas unanimement appréciée dans les pays du
Sud, y compris parmi des dirigeants loin de combattre le néolibéralisme.
Discrédité par le désastre social des politiques qu’il a imposées au Sud,
le FMI a néanmoins profité de la crise qui a éclaté en 2007-2008 pour
reprendre pied et généraliser au Nord les mêmes politiques néfastes. Sans
être exhaustifs, prenons quelques exemples européens pour démontrer que si
le FMI est redevenu actif, son action est surtout nuisible pour les
peuples.

En octobre 2008, un plan de 20 milliards d’euros est décidé pour la
Hongrie, dont 12,3 milliards prêtés par le FMI, mais les conditions sont
sévères pour la population : hausse de 5 points de la TVA à 25 %, âge
légal de départ à la retraite porté à 65 ans, gel des salaires des
fonctionnaires pour deux ans, suppression du treizième mois des retraités,
baisse des aides publiques à l’agriculture et aux transports publics. Mais
le vote du budget 2011 fâche les marchés et l’agence de notation Fitch
abaisse la note de la Hongrie en déclarant que le gouvernement « a jeté
les bases d’un projet de budget qui va dans la mauvaise direction », avec
une taxe sur le chiffre d’affaires des banques et une hausse d’impôt
temporaire pour les multinationales opérant en Hongrie, afin que tous
contribuent plus ou moins à l’effort. Ce budget entend pourtant bien
ramener le déficit public à 3% en 2011, donc le désaccord ne porte pas sur
l’objectif à atteindre, mais sur la manière d’y parvenir.

Le mois suivant, l’Ukraine tombe dans la nasse du FMI. En échange d’un
prêt de 16,4 milliards de dollars, le parlement ukrainien est sommé
d’adopter un plan de « sauvetage » draconien de privatisations et de
coupes budgétaires. L’Ukraine doit reculer l’âge de la retraite des femmes
de 55 à 60 ans et augmenter de 20% le tarif du gaz. Mais la hausse du
salaire minimum de 11% inquiète le FMI qui bloque son programme et DSK
déclare : « Une mission récente du Fonds en Ukraine a conclu que les
politiques dans certains domaines, dont la nouvelle loi sur le salaire
minimum, menaçaient [la] stabilité » du pays. Rappelons que DSK avait
augmenté son salaire de plus de 7 % à son arrivée à la tête du FMI .

Après avoir enregistré un taux de croissance de 10% en moyenne sur
2003-2007, la Lettonie connaît une forte récession et, en décembre 2008,
le FMI, l’Union européenne et des pays nordiques s’engagent à injecter 7,5
milliards d’euros. Plutôt que de toucher aux profits du capital et au
patrimoine des plus riches, c’est aux travailleurs, retraités et chômeurs
qu’est imposée une cure d’austérité de deux ans, assortie d’une coupe dans
les dépenses équivalente à 15% du PIB. Les salaires sont réduits de 20%
dans la fonction publique, les retraites de 10%. En décembre 2009, la Cour
constitutionnelle de Lettonie juge anticonstitutionnelle cette baisse des
pensions de retraite demandée par le FMI, en violation du droit des
individus à une sécurité sociale. Toutefois, l’austérité se poursuit et le
FMI salue les « efforts extraordinaires » menés pour retrouver la
croissance grâce aux exportations compétitives, via une baisse des
salaires pouvant aller jusqu’à 80% ! Écoles et hôpitaux ferment par
dizaines et la TVA passe de 18 à 22%, alors que les sociétés bénéficient
d’un des taux d’imposition sur les bénéfices les plus avantageux de l’UE
(15% contre 23,5% en moyenne).

Fortement secouée par la crise, la Grèce voit elle aussi débarquer le FMI,
qui donne son accord le 9 mai 2010 pour un prêt « d’urgence » de 30
milliards d’euros sur trois ans. La situation en Grèce est encore aggravée
par des manipulations statistiques ayant permis de dissimuler les chiffres
réels de l’endettement, avec la complicité de la banque Goldman Sachs qui
conseillait le gouvernement tout en engrangeant de juteux profits en
spéculant sur la faillite de ce pays ! En février 2011, après plusieurs
séries de terribles mesures d’austérité, une réduction de 1,4 milliard
d’euros des dépenses de santé est réclamée par l’UE et le FMI alors qu’une
centaine de médecins campe devant le ministère de la Santé à Athènes.
L’objectif de privatisations de biens publics de l’État est revu à la
hausse, passant de 7 milliards d’euros de recettes d’ici 2013 à 50
milliards d’ici 2015. Sont alors visés les ports, les aéroports, les
chemins de fer, l’électricité ainsi que des plages touristiques du pays.

Islande, Roumanie, Irlande, Portugal et tant d’autres pays suivent une
logique identique. Face à cela, comme cela s’est produit voici quelques
mois en Tunisie et en Egypte, les résistances populaires se renforcent,
comme cette initiative espagnole d’occupation de la Puerta del Sol et de
toutes les grandes places pour s’opposer à l’austérité qui enrichit les
banquiers responsables de la crise et pénalise lourdement les populations
qui en sont les premières victimes. Mais la trajectoire du FMI ne dévie
pas. Loin de servir l’intérêt des populations affectées par la crise, le
FMI est au service des grandes puissances et des entreprises
transnationales, notamment les grandes sociétés financières privées.

Si le FMI a effectivement promu quelques amortisseurs sociaux à la fin
2008 après la faillite de la banque Lehman Brothers, ce fut en phase avec
les volontés de George W. Bush et José Manuel Barroso. Mais dès la
mi-2009, la stratégie du choc a été mise en place largement. Ce choc d’une
crise de grande ampleur a donc été utilisé pour imposer des mesures de
régression sociale impossibles à faire passer en temps normal. DSK est
donc loin d’être le néokeynésien pour lequel on voudrait le faire passer
aujourd’hui.

Dans ce contexte, à l’aune des conditions de vie des plus démunis dont
l’amélioration devrait guider toute politique digne de ce nom, il n’est
pas possible d’affirmer que le FMI est « redevenu utile ». En revanche, il
est possible de le combattre fermement, d’agir pour sa dissolution et son
remplacement par une institution démocratique et centrée sur la garantie
des droits fondamentaux, en un mot une institution « utile ». Tout le
contraire du FMI actuel…

Jérôme Duval, Damien Millet et Eric Toussaint sont membres du CADTM
(www.cadtm.org). A paraître : La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, juin 2011.

1 20 mai 2011,
http://sites.radiofrance.fr/franceinter/chro/ledebateconomique/

2 Jean-Baptiste Chastand, 19 mai 2011,
http://www.lemonde.fr/dsk/article/2011/05/19/dominique-strauss-kahn-quitte-un-fmi-redevenu-utile_1524181_1522571.html.
Voir aussi les articles d’Alain Faujas.

3 Son salaire annuel pour 2010 était de 441 980 euros, sans compter une
indemnité de 79 120 dollars pour couvrir ses frais de représentation.