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Uribe choisit la guerre

Publie le mardi 1er février 2005 par Open-Publishing

de Heinz Dieterich

1. Le gouvernement vénézuélien a géré l’enlèvement de Rodrigo Granda en considérant que le président Álvaro Uribe Vélez n’était pas impliqué dans le crime. Des raisons d’Etat et de haute diplomatie favorisaient cette position. Cependant, les déclarations récentes du gouvernement colombien et de ses mentors politiques à Washington montrent clairement que cette hypothèse est caduque. Une hypothèse qui expliquerait mieux le plan du président colombien et qui serait conforme aux informations dont nous disposons aujourd’hui est la suivante.

2. L’enlèvement n’a pas été un événement fortuit ou un acte commis par des fonctionnaires de second ordre, ou bien un acte de pure corruption, mais il s’agit d’une opération de Washington exécutée par Uribe avec un objectif tactique et un objectif stratégique : 1. l’objectif tactique consiste à créer les conditions de la rupture des relations diplomatiques avec le Venezuela ; 2. l’objectif stratégique c’est l’isolement et la destruction de la Révolution bolivarienne en utilisant l’Organisation des Etats Américains (OEA). Le plan comporte quatre étapes.

3. La logistique de l’enlèvement révèle qu’il s’agit d’une opération planifiée et Rodrigo Granda était suivi depuis longtemps pour en faciliter l’exécution. Ainsi, la détention aurait pu être réalisée en Colombie même et ou Forum Social Mondial (FSM) de Porto Alegre, auquel le dirigeant colombien aurait certainement assisté. Cependant, Washington a décidé de la réaliser à Caracas, dans le contexte de deux événements internationaux, afin de l’utiliser comme détonateur d’une chaîne de réactions destinée à détruire le projet bolivarien.

4. Pour parvenir à cet objectif tactique, Washington et son employé colombien sont en train d’organiser -à partir du crime initial- une campagne de mensonges médiatiques de dimension mondiale, mensonges qui vont de l’absence de liberté de presse et de respect de la propriété privée, jusqu’au soutien à des « groupes terroristes » comme les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), la « subversion des gouvernements démocratiquement élus », le combat insuffisant contre « le terrorisme et le narcotrafic » et l’« alliance militaire et stratégique » avec la Russie.

Actuellement le mensonge principal c’est, quand s’exprime la Ministre des affaires étrangères colombienne Carolina Barco, que le gouvernement de Hugo Chávez « protège » des chefs guérilleros des FARC sur le sol vénézuélien, permettant aux FARC « de monter des campements à la frontière » et de faire des opérations militaires « à partir du territoire vénézuélien ».

Le dispositif de Propaganda File [Dossier Propagande], de Washington, qui se charge de diffuser les mensonges de la nouvelle campagne, travaille à marche forcée, mettant en action ses caisses de résonances : au Venezuela et en Colombie les partis et médias de l’oligarchie et à l’extérieur les Mickey Mouse Media (MMM) des Etats-Unis, à la tête desquels se trouvent la CNN et le Washington Post, méticuleusement orchestrés par la menaçante Condoleezza Rice au Sénat américain -où elle a répété les idioties idéologiques de Woodrow Wilson d’il y a quatre-vingt-dix ans pour justifier l’agression impérialiste d’aujourd’hui-, l’ambassadeur de Washington à Bogotá et un groupes de Rambos de la « contra » et des escuálidos à Miami.

Dans l’une de ces opérations planifiées pour le futur, appelée « Opération Colibrí » circuleraient des vidéos trafiqués, des transcriptions de supposées conversations téléphoniques du président Chávez avec Fidel Castro et avec les FARC, l’arrestation de supposés terroristes islamiques « soutenus » par Hugo Chávez et resurgiraient les terribles machinations de l’article de US News and World Report « La terreur près de chez vous » (« Terror Close to Home »), écrit par la chef de la section Amérique latine, Linda Robinson, et commenté dans mon article sur www.rebelion.org le 2 novembre 2003.

5. L’avantage propagandistique actuel de l’enlèvement, basé sur la tentative de confondre les agressés avec les agresseurs, est le prélude à un conflit armé limité qu’Uribe lancera sur la frontière, afin de créer le prétexte international pour placer ses forces armées en état d’« alerte rouge » et pour rompre les relations diplomatiques avec Caracas.

6. Le choix doit être fait entre plusieurs scénarios. Il y en quatre qui sont les plus probables : a) que des unités paramilitaires ou des forces spéciales de l’armée colombienne se déguisent en guérilleros des FARC et attaquent des cibles à l’intérieur du Venezuela pour « venger » l’enlèvement de Rodrigo Granda, provoquant une réaction militaire locale vénézuélienne ; b) que des forces paramilitaires, ou régulières déguisées en paramilitaires, réalisent cette opération pour détruire les supposées « bases » des FARC au Venezuela ; c) l’enlèvement de personnalités au Venezuela ; ou d) une combinaison des ces scénarios.

Un cinquième scénario possible c’est une variante de l’incident du Caldas en 1987, lorsqu’un navire de guerre colombien était entré dans les eaux territoriales vénézuéliennes, durant le différend concernant la délimitation des eaux marines et sous-marines du Golfe du Venezuela, démonstration la souveraineté colombienne sur ces eaux.

7. Le danger de guerre entre la Colombie et le Venezuela donnerait des motifs pour convoquer une session d’urgence de l’OEA, dans laquelle on essaiera d’isoler le Venezuela, afin de lui appliquer la Charte Démocratique Interaméricaine (CDI) et autres arsenaux légalistes et interventionnistes de l’OEA, ainsi que des sanctions économiques. C’est le véritable plan d’Uribe-Bush, dont la première étape était l’enlèvement de Rodrigo Granda.

8. Les dates discutées par les organisateurs colombiens et américains de la conspiration pour exécuter la provocation tournent autour du 28 janvier et de la semaine du 1er au 5 février. Les actions externes seraient accompagnées d’une mobilisation du « front intérieur » de la contre-révolution, par la mobilisation de groupes de personnes de l’économie informelle qui réclament des terrains, du travail et des logements, et dont les demandes n’ont pas été satisfaites par les pouvoirs locaux et les ministères.

9. Le soutien interventionniste ouvert de l’ambassadeur américain en Colombie, William Wood, ex-assistant spécial du Bureau des Affaires politico-militaires du Département d’Etat ; l’affirmation de la ministre des affaires étrangères colombienne selon laquelle Uribe n’est pas inquiet d’une aggravation de la tension avec le Venezuela et le brusque rejet par Uribe de la médiation offerte par le président brésilien Lula da Silva, ce qui apporte des éléments supplémentaires confirmant l’hypothèse.

10. Uribe n’a pas le moindre intérêt de régler le problème de l’enlèvement conformément à la loi par la voie institutionnelle bilatérale, parce que tout règlement de ce type le ferai entrer en conflit avec ses maîtres de Washington. Autant par conviction qu’en raison de sa dépendance extrême, il essaiera d’exacerber le problème jusqu’à parvenir au point d’inflexion, ainsi que l’a fait Bush avec le mensonge des Armes de Destruction Massive de l’Irak au Conseil de Sécurité de l’ONU.

11. Pour Uribe il n’est pas important que le plan en exécution fasse couler le sang et violente la démocratie latinoaméricaine et son Etat de droit, parce que c’est une personne sans éthique entouré de hauts fonctionnaires de probité douteuse. Identifié en 1991 par la Defense Intelligence Agency (l’intelligence militaire des Etats-Unis) comme un ami personnel du capo du nacotrafic le plus puissant alors, Pablo Escobar, et lié au Cartel de Medellín, son bras droit est le ministre de la défense, ex-vice-président du Conseil des Entreprises d’Amérique Latine (CEAL), coresponsable des multiples crimes de lèse-humanité commis par ses Forces armées, en Colombie, et qui a eu une relation intime avec une trafiquante d’héroïne emprisonnée. Le commandant de la Police Nationale, le général Jorge García a menti à plusieurs reprises dans l’affaire Granda.

12. Le conflit entre Uribe-Bush et les forces démocratiques d’Amérique est d’une importance transcendantale pour le futur de la région, parce qu’il s’agit du choc antagonique entre la Doctrine Monroe et le droit à l’autodétermination des peuples latino-américains, humiliés deux siècles durant par les Etats-Unis. En se plaçant du côté de l’interventionnisme nord-américain et de la stratégie d’installation en Amérique latine d’un régime d’Etats gangsters, Uribe s’est converti, sans aucun doute, en ennemi public numéro un des peuples, de la démocratie et de l’intégration bolivarienne de Grande Patrie latino-américaine.

13. Sa manœuvre est cependant risquée et elle peut se convertir en défaite politique décisive pour lui et son projet néocolonial et terroriste, le Plan Colombie, si les forces démocratiques de la région, aussi bien les Etats, les partis et la société civile, savent lui faire payer le coût politique de son crime d’Etat. Vaincre Uribe ne signifie pas seulement rendre la paix dans l’espace andin, renforcer les Etats démocratiques et favoriser les conditions de l’intégration du Bloc Régional de Pouvoir Latino-américain, mais également, cela signifie ouvrir les portes à une solution négociée en Colombie même.

Le rôle du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay, dans cette conjoncture, est fondamental. Si le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay défendent les principes et le système de l’Etat de droit latino-américain, ainsi que les souverainetés nationales, et si l’Etat vénézuélien continue d’agir avec maturité, Bush et Uribe n’atteindront pas leur objectif.

Face à cette situation, il n’y a pas de place pour des erreurs qui pourraient fragiliser l’union des forces démocratiques antiterroristes du Continent.

Source :

www.rebelion.org

Adresse de l’article en espagnol :

http://www.rebelion.org/noticia.php?id=10419