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VENEZUELA : LA REVOLUTION BOLIVARIENNE A LA CROISEE DES CHEMINS

Publie le dimanche 10 avril 2005 par Open-Publishing
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La lutte des classes au Venezuela

Hugo Chavez cite Trotsky, parle du socialisme du XXI° siècle et enflamme les altermondialistes à Porto Alegre. Quelques semaines plus tard, il embrasse Chirac et négocie avec Total. Il n’en faut pas davantage pour qu’une partie de celles et ceux qui s’étaient enthousiasmés reçoivent une douche froide, manifestant par là même une incompréhension des contradictions ô combien dialectiques de la situation.

Hugo Chavez peut citer un jour Bolivar et Trotsky et le lendemain invoquer les évangiles ou saint Thomas d’Aquin. C’est révélateur des ambiguïtés de sa personnalité et de l’éclectisme de sa formation, mais cela ne permet pas de caractériser ce qu’il est convenu d’appeler la « révolution bolivarienne ». Les individus ont un rôle dans l’histoire, mais celle des révolutions procède avant tout du mouvement des masses. Pour citer plus précisément Trotsky, une révolution c’est justement l’irruption violente des masses dans le domaine où se décide leur propre destinée. C’est à partir de ce critère que nous caractérisons ce qui se passe actuellement au Venezuela comme un processus révolutionnaire.

Militaire d’origine populaire, Chavez a gravi les échelons dans un pays où la carrière des armes est un moyen de promotion sociale. Révolté par les inégalités, par le racisme qu’il a probablement subi lui-même et par la corruption des « élites », il est de ceux qui rêvent d’une « seconde indépendance » qui affranchira l’Amérique latine de la domination de l’impérialisme US. Mais avec quel projet ? Celui de Chavez se limite, au moins au départ, au développement d’un capitalisme autonome et moralisé : il considère que les ressources du Venezuela et des autres pays de la région peuvent permettre un développement indépendant. De Simon Bolivar il revendique logiquement à la fois la lutte d’indépendance et l’aspiration à l’unification sud-américaine.

Hugo Chavez est un militaire réformiste, progressiste et nationaliste comme le continent en a connu quelques-uns, de Torres en Bolivie à Velasco au Pérou pour ne parler que des exemples les plus récents. Nous ajouterons que c’est un réformiste honnête, là encore pour paraphraser Trotsky, lequel estimait, parlant du fondateur de l’APRA au Pérou, Haya de la Torre, qu’ils valent quelquefois mieux que de mauvais socialistes. Il ne faut pas oublier la tentative avortée de coup d’Etat conduite par Chavez en 1992. Elle ne peut offusquer que les thuriféraires de la démocratie formelle. C’était une réaction à la corruption du régime et à l’emploi des forces armées dans la répression sanglante (sans doute 3000 morts) du « Caracazo », l’insurrection populaire contre les mesures d’austérité décrétées par le gouvernement social-démocrate de Andres Perez. Cette tentative et l’emprisonnement qui s’en est suivi ont valu à Chavez un immense prestige parmi les classes opprimées.

Un gouvernement bourgeois vomi par la bourgeoisie

La première élection de Chavez, en 1998, n’a pas été suivie immédiatement d’importantes mesures sociales. Compte tenu de la situation économique catastrophique du pays et du niveau relativement bas des cours du pétrole, des « réformes radicales » auraient nécessité de s’attaquer directement aux intérêts des capitalistes nationaux et étrangers ; il aurait fallu aussi suspendre le remboursement de la dette, ce à quoi Chavez n’était nullement enclin. En revanche le président élu a mis rapidement en pratique son programme de démocratisation des institutions : assemblée constituante et référendum permettent l’adoption de la nouvelle constitution bolivarienne qui représente sans doute aujourd’hui ce qu’un Etat bourgeois peut offrir de plus démocratique au niveau des institutions.

Mais si le programme social de Chavez ne s’est pas d’emblée avéré très radical, il n’en dépassait pas moins ce que pouvaient tolérer l’impérialisme et les classes dominantes du Venezuela. Pour le gouvernement des USA, les velléités d’indépendance nationale de Chavez constituent un exemple inacceptable au moment où se développe le projet de l’ALCA, un marché unique continental placé sous sa domination, et cela même si Chavez paie rubis sur l’ongle les intérêts de la dette.

Pour l’oligarchie habituée à mettre le pays en coupe réglée, l’idée même que les pauvres puissent bénéficier d’un minimum de droits sociaux est intolérable : où allons-nous s’il faut verser un salaire décent aux domestiques ? Les premiers programmes de scolarisation impulsés par le gouvernement ne font qu’accroître ce rejet, qui gagne une partie des classes moyennes et même bon nombre d’intellectuels dits de gauche, voire des anciens de la guérilla. Ils vont révéler rapidement leur crainte des classes populaires, dont la marmaille turbulente et dépenaillée risque d’envahir les écoles. C’est d’ailleurs leur point de vue qui sera relayé par leurs homologues européens, notamment ceux qui fustigent le « populisme » de Chavez dans les colonnes du Monde et de Libération ou dans leurs chroniques de France Culture. Les mêmes, comme c’est bizarre, dénoncent le « communautarisme » en France.

Cette haine de classe se combine avec une haine raciale. L’oligarchie blanche, descendante directe des colons espagnols, méprise les noirs, les indiens et les métis qui composent l’écrasante majorité des classes populaires. Cette arrogance est largement partagée par une petite bourgeoisie qui compte bon nombre d’immigrants européens de l’après-guerre. Chavez lui-même est affublé du délicat sobriquet de « singe noir » ! Au Venezuela aussi le racisme post-colonial est une réalité. On voit bien ce fossé quand on regarde les manifestations : les adversaires de Chavez recrutent largement dans les classes moyennes blanches, les cortèges de ses partisans réunissent une population métissée. Cela n’est pas sans influence sur la fidélité des militaires du rang envers l’officier métis Hugo Chavez.

Tout cela n’a rien de surprenant pour les marxistes révolutionnaires. Le capitalisme mondialisé ne peut plus tolérer aucune politique réformiste un tant soit peu conséquente : l’exemple du Venezuela montre que toute entorse, même timide, aux directives du FMI doit être sanctionnée. Il ne suffit pas de rembourser la dette, le développement des budgets sociaux est rigoureusement prohibé. De plus la bourgeoisie vénézuélienne est une bourgeoisie « compradore », totalement inféodée à l’impérialisme US et vivant sur la rente pétrolière : elle ne saurait jouer aucun rôle progressiste, c’est à la classe ouvrière et aux couches populaires qu’il revient de mener la lutte pour la « seconde indépendance », de parachever les tâches de la révolution démocratique et y compris de mener jusqu’au bout la réforme agraire.

Les affrontements de classe ne sont pas terminés

Après l’adoption de la constitution bolivarienne et à partir du moment ou Chavez a mis à profit la hausse du prix du pétrole pour financer une série d’actions en faveur des classes populaires, notamment à travers le développement des « missions », l’opposition s’est faite plus virulente et s’est engagée dans des campagnes pour déstabiliser et renverser son gouvernement, avec l’aide du gouvernement Bush. Ce furent les lock-out patronaux, la tentative de coup d’Etat d’avril 2002 et enfin le référendum révocatoire du 15 août 2004.

Si chacune de ces tentatives s’est soldée par un échec, ce n’est pas dû à une particulière habileté de Chavez et de son gouvernement mais à la force de la mobilisation populaire. Les grèves orchestrées par les patrons et par les cadres de l’entreprise pétrolière PDVSA ont été brisées par les travailleurs alors que le gouvernement désemparé était incapable de réquisitionner les entreprises. Les putschistes avaient réussi à séquestrer Hugo Chavez et à proclamer un gouvernement provisoire présidé par Pedro Carmona, le dirigeant de FEDECAMARAS, le MEDEF local. La riposte n’est pas venue des ministres, contraints de se terrer, mais d’une mobilisation populaire très largement spontanée, des centaines de milliers de manifestants qui ont fait fi du danger et qui ont convergé sur le palais présidentiel et les casernes pour exiger le retour de Chavez : c’est cette mobilisation qui a provoqué le sursaut des militaires chavistes, comme on le voit nettement dans le film tourné lors du coup d’Etat.

Quant au référendum révocatoire, la victoire du Non et surtout son ampleur ont été assurées par l’activité des comités populaires, les structures mises en place par le gouvernement s’étant révélées d’une totale inefficacité.
Après la nouvelle victoire des bolivariens aux élections régionales de l’automne 2004, également marquées par les divisions de l’opposition, l’impérialisme et la réaction peuvent difficilement miser sur le suffrage universel pour se débarrasser de Chavez. De ce fait les accusations portées par ce dernier contre la CIA qui préparerait son assassinat sont crédibles. Une autre possibilité serait que des incidents à la frontière de la Colombie, suite par exemple à des incursions de l’armée colombienne sous prétexte de pourchasser la guérilla ou les narcotrafiquants, permettent aux Etats Unis d’intervenir militairement. Beaucoup de choses dépendent toutefois de la situation internationale. Bush est embourbé en Irak et peut difficilement risquer une aventure militaire : le Venezuela ne serait pas aussi facile à occuper que la Grenade ou le Panama.

Le danger est pourtant bien réel et nécessite une campagne internationale de solidarité pour interdire toute agression.

Les classes populaires ont gagné en expérience et en organisation

Mais si l’on peut penser que la réaction et l’impérialisme ne resteront pas longtemps les bras croisés, pour le moment ils n’ont pas l’initiative. A l’inverse, les affrontements de ces dernières années ont permis à la classe ouvrière et à tous les secteurs populaires de progresser en expérience et en organisation. On peut certes déplorer que cela n’aille pas plus vite, notamment au plan politique, mais il ne faut pas sous-estimer ce qui existe déjà.

Ainsi il serait faux de parler de double pouvoir, mais le succès des « missions » dans les domaines du logement, de l’assainissement, de la santé et de l’éducation n’aurait pas été possible sans un contournement de l’appareil d’Etat. Les fonctionnaires liés à l’ancien régime sont totalement inefficaces - quand ils ne sabotent pas ouvertement les mesures progressistes du gouvernement. Le développement des missions s’est donc appuyé sur des comités de quartiers, des centaines de regroupements militants locaux, d’importance inégale. Bien que non centralisés, ces regroupements ont joué un rôle important dans la mobilisation populaire qui a imposé le retour de Chavez, puis dans la constitution des commandos électoraux qui ont assuré la victoire du Non au référendum révocatoire.

La création de l’UNT (Union nationale des travailleurs), au sein de laquelle les marxistes révolutionnaires jouent un rôle clé, constitue également une grande avancée dans un pays où depuis des décennies le syndicalisme était représentée par la CTV, centrale dirigée par une bureaucratie corrompue qui s’est acoquinée avec le patronat pour tenter de renverser Chavez. C’est un enjeu considérable et un combat qui n’est pas totalement gagné car si l’UNT continue à se développer dans de nouvelles entreprises et localités, elle est actuellement confrontée à une offensive menée par des bureaucrates issus de l’appareil de la CTV. Ces transfuges parfois tardivement ralliés au chavisme voudraient constituer une nouvelle « centrale officielle » avec adhésion obligatoire et cotisation directement prélevée sur le salaire, d’où leur proposition ahurissante d’élection de la direction syndicale par l’ensemble des affiliés à la sécurité sociale...

L’UNT est à l’origine d’importantes luttes ouvrières, d’autres se développent dans des secteurs qui n’étaient pas encore organisés. Si une partie de ces grèves ont des objectifs revendicatifs classiques comme les augmentations de salaire ou l’amélioration des conditions de travail, d’autres sont beaucoup plus radicales et concernent la gestion des entreprises. Ainsi les travailleurs de Venepal, le principal producteur de papier et de carton du pays, ont obtenu après trois mois de lutte la nationalisation de l’entreprise que les propriétaires avaient mise en faillite et le contrôle ouvrier sur sa gestion. Ce succès a servi d’exemple pour d’autres luttes ouvrières où la défense de l’emploi se mêle à la dénonciation des patrons qui ont participé au sabotage économique et appuyé le coup d’Etat d’avril 2002. Il faut ajouter que des usines fermées ont été reprises par les travailleurs sous forme de coopératives et que l’exigence d’une « cogestion » - en fait d’un contrôle - se développe dans le secteur public.

Le Venezuela à la croisée des chemins

Les multiples tentatives de la bourgeoisie et de l’impérialisme pour se débarrasser de Chavez démontrent une fois de plus que « celui qui fait une révolution à moitié creuse sa propre tombe ». Aucun secteur de la bourgeoisie soi-disant nationale n’a appuyé les réformes du gouvernement bolivarien, réformes dont l’application est entravée par la majorité des hauts fonctionnaires et par nombre de politiciens ralliés au chavisme par pur opportunisme. En revanche Chavez a été sauvé à plusieurs reprises par la mobilisation populaire. Il n’en a tiré aucune leçon dans la désignation des candidats officiels aux élections régionales de l’automne 2004, même s’il a concédé ensuite que pour les élections à venir les comités populaires auraient leur mot à dire.

De la même manière, si nul ne saurait contester à Chavez le droit de mener les relations diplomatiques qu’il estime nécessaires, il est évident que les gouvernements de centre gauche du Brésil, de l’Argentine, de l’Equateur, du Chili et de l’Uruguay ne constitueront pas un axe de défense de la révolution bolivarienne en cas de menace sérieuse de l’impérialisme américain : il n’est qu’à voir comment Lula a accepté de participer à la « force de paix » en Haïti. Et si la recherche de nouveaux partenaires commerciaux pour que les exportations de brut ne dépendent plus du seul client nord américain est parfaitement légitime, il n’était pas utile d’en rajouter avec Chirac. Chavez serait-il dupe des engagements de ce dernier contre l’hégémonie US ?

Ce n’est pas la personne de Chavez qui est en cause ; nous ne contestons pas sa sincérité ni son honnêteté, ni sa sensibilité à la pression populaire. Au delà de ses discours, l’approfondissement de la réforme agraire qui s’attaque désormais aux grandes propriétés non exploitées, expropriées sans indemnité ni rachat, va dans le bon sens : à comparer avec le bilan en la matière de Lula et de Rossetto... De même la nationalisation sous contrôle ouvrier de Venepal. Mais les limites de Chavez sont manifestes et notamment son refus ou son incapacité de s’attaquer réellement à l’appareil d’Etat, de prendre totalement en main la production pétrolière. Et ce n’est que très récemment qu’il s’est décidé abandonner les tentatives de « réconciliation nationale » avec ses ennemis et à poursuivre les responsables du coup d’Etat. La question des forces armées est également déterminante : si la majorité de la troupe est acquise au « président issu du peuple », la fidélité des officiers supérieurs est plus problématique. Quant aux chefs de la police, ils sont clairement du côté de l’opposition.

Notre soutien à Chavez contre la réaction et l’impérialisme ne saurait donc constituer une adhésion politique à sa stratégie de révolution par étapes et d’approfondissement de la démocratie. Si l’on ne peut écarter l’hypothèse que Chavez aille plus loin que son programme initial, l’avenir de la révolution bolivarienne passe par une mobilisation indépendante des masses, la destruction de l’Etat bourgeois et le pouvoir des travailleurs et du peuple. Il y a fort à parier que ce combat pour le socialisme ne resterait pas confiné au Venezuela.

Gérard Combes

Article publié dans Avanti ! - courant de la LCR - n° 23 Avril 2005
http://avanti-lcr.org

Messages

  • lire aussi cet article : Venezuela at the Crossroads of the New Humanity Century sur zmag.org, en anglais.

    trouvé via dedefensa.org qui présente ainsi : "Ce long article de Vladimir Bravo-Salazar place la “révolution bolivariste” de Hugo Chavez au coeur du dilemme qui déchire le monde : poursuivre le modèle capitaliste qui va nécessairement s’abîmer dans les troubles et les déchirements parce qu’il appuie une croissance exponentielle sur des ressources désormais en déclin ou chercher un autre modèle. * Chavez et sa “révolution bolivariste” en propose un."

    un passage notamment sur la Constitution vénézuélienne, qui fait honte au projet qu’on voudrait nous imposer, et renforce la conviction de voter NON le 29 mai !

    le voici :
    "The People of Venezuela have democratically re-founded their republic as the Bolivarian Republic of Venezuela and given themselves what is arguably the most advanced Constitution in the world . It is a Constitution that establishes (in its Preamble and in its Articles 2 and 3), among its values, not only freedom but independence, peace, solidarity, common good and coexistence.

    And among its rights, not only to life but to work, to healthcare (Article 83 and 84), to culture, to education, to social justice and equality without discrimination and subordination.

    One example of its avant-garde social and humanistic perspective is that it recognizes work at home as an economic activity that entitles housewives to social security (Article 88).

    Article 90 mandates the eight hour work day and stipulates that no employer has the right to demand a worker to work overtime.

    The Constitution also insures that the ultimate power remains with the People through multiple Popular Referenda, including those that can revoke the mandate of any elected official."

    Si la "constitution" européenne passe, on pourra demander l’asile politique au Vénézuéla !!!

    biEsz