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Vols de Vélibs & « Vitre cassée »
par Lionel Labosse
Publie le vendredi 11 octobre 2013 par Lionel Labosse - Open-Publishing5 commentaires
« La main à la pâte » version Vélib’
Alors que je dépose mon Vélib devant la piscine de la porte de Clignancourt dans le XVIIIe arrondissement de Paris, je suis interpellé par un petit black mignonnet. Ils sont cinq gamins, entre disons 6 et 9 ans. Le mignonnet demande candidement si je peux lui passer mon Vélib. Je m’approche et constate que – aussi mignonnet soit-il – le petit saligaud est en train de bricoler une bornette avec une tenaille, outil inapproprié autant que disproportionné dans ses mains de minot. J’avais entendu parler de ce type de vandalisation des Vélib, variante de l’arrachage des attaches, plus fréquent, mais je n’avais pas encore surpris un flagrant délit. L’Arsène Lupin se trouve être un Gavroche. Je réponds au têtard qu’il ferait mieux d’arrêter ce qu’il est en train de faire. Comme le doyen du groupe — 9 ans — est juché sur un superbe vélo tout terrain, et qu’il s’agit de mômes pas agressifs ni vulgaires, à qui on donnerait le bon dieu sans confession, j’entreprends une leçon de morale : « Qu’est-ce que vous diriez si quelqu’un cassait ou volait votre vélo ? » Les morveux ne se démontent pas, et argumentent avec une candeur désarmante : « Ben, nous on n’a pas de carte ». « Vous n’avez qu’à demander à vos parents d’en acheter, et puis de toute façon les Vélibs sont interdits en dessous de 14 ans, c’est trop lourd pour vous ». Les mômes n’insistent pas : « C’est bon, Monsieur, on s’en va ». Et le pire, c’est qu’ils s’en vont !
C’est la deuxième fois que je surprends des mômes qui vandalisent des Vélib. La première fois, cet été (qui a connu une recrudescence absolument délirante), c’étaient trois mômes un peu plus âgés, dont le plus grand donnait un cours au plus petit sur la meilleure façon de taper pour arracher un vélo. Je les avais chassés, mais ceux-là avaient répondu de façon agressive ; on était en terrain connu. Ce qui m’étonne chez cette giroflée de mômes-là, c’est l’apparente bonne foi : ils semblent croire réellement aux conneries candides qu’ils dégoisent. D’ailleurs, le mignonnet apprenti mécanicien, avant de s’éclipser, range docilement sa tenaille dans son petit sac à dos, sans doute le sac qu’il porte à l’école et dans lequel le prof a l’interdiction absolue de fouiller même s’il constate qu’un élève dans sa classe a volé un autre élève ou lancé une boule puante. À moins qu’il ne bénéficie d’une action pédagogique, du type « la main à la pâte », où on lui apprend comment bricoler en milieu hostile ?
Vélib : l’usager puni
En sortant de la piscine, comme la borne est vide d’aucun Vélib valide (il y en a comme d’hab quatre ou cinq inutilisables, selle retournée ou pas, en plus des bornettes bloquées par le débris d’une attache arrachée), je prends le métro pour aller à Marx Dormoy. À la sortie, je passe devant la station Vélib de la rue Riquet, pour constater avec consternation qu’elle est à nouveau « fermée provisoirement suite à des actes récurrents de vol et de vandalisme ». C’est tout récent, car je l’ai encore utilisée la veille ; nous sommes le 20 septembre, et elle est annoncée fermée jusqu’au 14 octobre. Or elle vient d’être déjà fermée pour les mêmes raisons, ainsi que plusieurs autres dans le quartier, à peu près du 20 juillet au 20 août. La station la plus proche, rue Pajol, est également fermée. Deux stations de suite ! Vu que ces stations sont toujours pleines le soir, et qu’on est déjà souvent obligés de tourner cinq minutes pour se garer dans le quartier, il va devenir impossible de prendre un Vélib pour rentrer, au risque de devoir retourner se garer à la borne où on l’a emprunté ! Encore une fois, c’est à cause de nous ; on est punis parce que des mômes de 7 ans habiles de leurs mains démontent les bornettes. C’est promis, monsieur le juge, je ne le ferai plus, la prochaine fois que j’achèterai un appartement de 300 mètres carrés, ce ne sera plus dans un quartier populaire, mais dans le 8e arrondissement !
Vol de Vélib’ : un rite initiatique à 400 € pièce
Rentré chez moi, je consulte le site de Vélib pour voir ce qu’il en est. La page d’accueil m’amène assez laborieusement vers un article intitulé « Vélib’ vandalisés, comment lutter contre le phénomène ? », dans lequel Julien Bargeton, adjoint au Maire, et Stéphane Thiébaut, chef de la division des déplacements en libre-service, font le point. Ils sont conscients de la gêne pour les usagers, le vandalisme étant surtout localisé, d’après eux, dans le nord-est et la banlieue limitrophe. Cela m’étonne : j’en vu partout à Paris. Pour lutter contre, ces responsables évoquent vaguement une « surveillance par caméra », sans donner le moindre détail. Ils « essay[ent] aussi, en lien avec la Préfecture de Police, de mener des actions de communication et de sensibilisation, dans les écoles notamment ». Enfin, ils évoquent pour les « mineurs de 16 à 18 ans […] une mesure éducative en centre de réparation », dont on apprend dans d’autres articles qu’il s’agit de travailler un jour ou deux dans un atelier. On propose aux usagers de téléphoner au numéro de Vélib pour, je cite, « signaler un vélo volé ou abandonné ». Quant aux actes de vandalisme dont on pourrait être témoin en direct, on ne nous suggère rien du tout ; ce serait sans doute considéré comme de la délation. On apprend qu’un vélo est censé coûter 600 euros.
Un article de Libération du 12 août 2013, signé Guillaume Gendron, « Les Vélib’, plus volés que jamais », nous apprend que selon la mairie d’Aubervilliers, « Dans les quartiers, c’est un peu devenu un rite initiatique, un symbole de virilité pour les 13-16 ans que de voler un Vélib’ ». La mairie de Paris se serait « engagée avec JCDecaux à prendre en charge les frais au-delà de 5 % de dégradation ou de disparition du parc de Vélib’, à hauteur de 400 euros par vélo perdu ». Voici un petit calcul auquel le journaliste de Libé n’a pas songé : sachant que sur le site de Vélib, Stéphane Thiébaut déclare que « Le point culminant a été l’année 2009 avec 10800 vélos volés ou vandalisés », et que d’après Wikipédia, le parc serait en 2010, de 19600 Vélib, 5 % de 19600 = 980, reste donc 10800 - 980, soit 9820 vélos indemnisés à 400 € pièce, soit près de 4 millions d’euros. Autre calcul : 4 millions d’euros, c’est 138 000 abonnements Vélib d’un an à 29 €, et 210 000 abonnements réduits à 19 €, le tarif ultra compétitif proposé aux jeunes (à partir de 14 ans) et aux nécessiteux. Serait-ce de l’humour noir de suggérer aux édiles parisiens d’offrir discrètement à tous les apprentis mécaniciens et casseurs une carte gratuite (elle ne serait donc payante que pour les filles, rite de féminité oblige), ce qui reviendrait moins cher au contribuable… Pour 21 cartes offertes à des voyous en herbe, la collectivité économiserait le coût d’un vélo ! Le prix m’étonne pourtant, car je me souviens bien à l’ouverture de Vélib, avoir lu que le prix de gros d’un vélo était autour de 70 € pièce, mais ne parviens plus à trouver la référence de l’info. Sachant qu’on trouve facilement des vélos dans les magasins à moins de 100 euros, on s’étonne que des vélos — certes beaucoup plus lourds et robustes — achetés par milliers puissent coûter 600 euros pièce, prix d’usine.
JCDecaux : opacité d’une société de com
Un article fort édifiant des Échos, « La facture salée du Vélib’ », nous apprend que la société publicitaire JCDecaux communique fort peu (étonnant pour une société de « com »). Citation : « ce type de marché manque de transparence. Difficile, en effet, de vérifier les statistiques transmises par l’exploitant en matière de vandalisme : la municipalité se contente de contrôles aléatoires. Impossible, par ailleurs, de savoir quel est le prix de revient d’un Vélib’ pour l’opérateur ». En effet, comment aligner un prétendu coût de 600 € par unité avec le fait que la caution pour louer un vélo soit seulement de 150 € ? Je serais un juge, ou un journaliste curieux, j’insérerais mon nez entre cet arbre et cette écorce… Un article de Cyclesud sur les vélos municipaux de Marseille confirme l’opacité de la société JCDecaux : « Le directeur régional de la communication extérieure de JCDecaux n’a pas souhaité divulguer le prix de revient d’un vélo (comme du coût total de l’opération "Le vélo") : « Pour des raisons confidentielles » a-t-il argumenté. Il nous a cependant précisé : « Le prix d’un vélo est supérieur à celui affiché dans le commerce ». […] Les vélos sont produits à Tószeg en Hongrie, une ville de 4700 habitants située à 120 kilomètres au sud-est de Budapest. C’est la multinationale néerlandaise Accell qui a obtenu le contrat de production via sa filiale française Lapierre. Cette dernière fabrique donc les vélos dans son usine de Tószeg où les ouvriers sont payés 350 euros par mois ». Je ne suis pas économiste, mais je doute que dans une usine moderne avec des ouvriers payés 350 €, on produise des vélos à 600 €… Qu’il me soit permis, en tant que citoyen abonné, de proposer une petite « grivèlerie éco-participative citoyenne » à la ville de Paris : discrétos, sans le dire à JCDecaux, nous « perdons » nos Vélib. Nous payons illico recta la caution de 150 €. La ville « retrouve » immédiatement les Vélibs égarés (où avions-nous la tête !), et les revend à Decaux pour un prix d’ami de 200 €, tout bénef par rapport aux 400 € du contrat… Si ce n’est pas de la « démocratie participative »… Mais chut !
Théorie de la vitre brisée
La France est championne du monde de la petite phrase politicienne assortie de la plus crasse inefficacité, selon le bon vieux Principe de Peter. Entre les Pasqua (« Nous allons terroriser les terroristes »), les Sarkozy (« kärcheriser les banlieues ») et les Valls avec ses « zones de sécurité prioritaires », c’est toujours le même blabla, toujours la même focalisation sur la prison ferme dans des conditions inhumaines pour quelques pauvres types qu’on dirait choisis au hasard, et l’impunité totale, voulue, organisée dans le plus grand laxisme, pour la délinquance quotidienne dans les quartiers que ne fréquentent jamais les politiciens ni leurs proches conseillers. À New York comme dans le reste des États-Unis, la politique de la « vitre brisée », connue aussi sous le nom trompeur de « tolérance zéro » menée par le fameux Rudolph Giuliani, a connu des résultats positifs depuis les années 1995. À Rio, ville réputée pour sa criminalité, j’ai pu constater qu’il était impossible, comme à Londres, de prendre un bus ou le métro sans ticket. Mais à Paris, celui qui s’acquitte de son billet, celui qui paie ses 29 € annuels pour utiliser autant de fois qu’il veut Vélib, est un « boloss ».
La « Théorie de la vitre brisée » est le contraire d’une sévérité sans bornes qui serait tournée exclusivement contre les classes populaires, mais doit être considérée comme la réaction saine d’un(e) « bon(ne) p/mère de famille » qui éduque son enfant et le punit de façon proportionnée dès la première bêtise, pour éviter une bêtise plus grave. Personnellement, j’aurais tendance à considérer que le fait de ne pas intervenir lorsqu’on est témoin d’une dégradation commise par un mineur devrait être assimilé à une « non-assistance à personne en danger ». C’est le travail des éducateurs et des juges pour enfants. Mais en période de vaches maigres, voilà des métiers bien inutiles sans doute. Dans plusieurs articles cités ci-dessus, on ne parle (sauf une exception) que d’adolescents, de mineurs de plus de 13 ans, or de mon côté, j’ai beaucoup plus souvent vu des mineurs de moins de 13 ans, voire beaucoup moins. Il n’est pas question de les mettre en prison, mais ne serait-il pas temps de revoir notre politique de prévention, et de ne pas laisser ces enfants gravir dans l’indifférence tous les degrés de la délinquance, de la bêtise au délit, du délit au trafic, etc. ? Les petits blacks bricoleurs par lesquels j’ai commencé mon article, ne peut-on pas les sauver si on les prend à temps, entre quatre-z-yeux, avec leurs parents ? Si on les laisse faire en se disant qu’après tout un Vélib volé ce n’est pas grave, que ça fait tourner le commerce, on tombe dans le sophisme de la vitre cassée mis en évidence au XIXe siècle par l’économiste Frédéric Bastiat, et qui, contrairement à une idée reçue, a un rapport certain avec la théorie de la vitre brisée.
Un policier qui passe sans le regarder devant un enfant qui vole un Vélib, pour faire du chiffre en allant alpaguer un fumeur de pétard, une racoleuse, ou un automobiliste qui roule à 3 km/h de plus que la vitesse autorisée, n’est-ce pas le symbole même de l’inversion des valeurs d’une société qui déraille ?
Lionel Labosse
Voir une version plus développée de l’article : Vols de Vélibs & « Vitre cassée ».
Messages
1. Vols de Vélibs & « Vitre cassée », 12 octobre 2013, 15:39
"Boloss" ceux qui paient leur ticket de métro ? Probablement, n’en déplaise à l’auteur.
L’avenir est évidemment à la gratuité des transports publics pour tous et tout le temps.
1. Vols de Vélibs & « Vitre cassée », 12 octobre 2013, 15:45, par v
Quand on songe aux pratiques de flicage, aux coûts exorbitants payés par les pouvoirs publics pour essayer de faire payer les voyageurs pour utiliser un réseau, disons peu confortable (machines, contrôleurs, comptabilité, contentieux...), on se dit que ne pas payer n’a rien à voir avec le vandalisme contre les Velib.
Vive le RATP ! (Réseau Pour l’Abolition des Transports Payants )
2. Vols de Vélibs & « Vitre cassée », 12 octobre 2013, 22:14
Le vandalisme des vélibs n’est pas une activité intéressante, même si je suis bien d’accord pour boycotter vélib à cause des profits privés, et d ela traçabilité des personnes.
Comme de nombreuses villes de taille moyenne l’ont déjà décidé et
expérimenté avec succès, il faut rendre les transports publics gratuits.
Contrôleur est un "metier" misérable, surtout quand ces honnêtes agents assermentés se décident à appeler la police pour ...un ticket de métro !
Plutôt chômeur que contrôleur.
2. Vols de Vélibs & « Vitre cassée », 13 octobre 2013, 14:17, par PierreP
" lorsqu’on est témoin d’une dégradation commise par un mineur devrait être assimilé à une « non-assistance à personne en danger »." ... Bon courage !!
Sinon, la gratuité des transports collectifs, quel qu’ils soient résoudrait pas mal de problèmes de délinquances liées aux transports ; ou bien avoir son vélo quand on en a les moyens.
3. Vols de Vélibs & « Vitre cassée », 14 octobre 2013, 19:41, par taratata
"...sans doute le sac qu’il porte à l’école et dans lequel le prof a l’interdiction absolue de fouiller..."
Ben , encore heureux !